mercredi 20 février 2019

Jordi et moi


Le maître s'apprêtant à signer des autographes
 à des admirateurs respectueux.

C’était le concert du violiste (ou gambiste) humaniste Jordi Savall, ce mardi 19 février; un évènement, qui affichait complet depuis plusieurs semaines et qui a eu lieu au Palais Montcalm et qui était présenté par le Club musical de Québec. Pour l’occasion, le Catalan était accompagné de quelques musiciens de son Concert des nations pour un retour sur des musiques qui ont contribué à son renom et aux et souvenir les plus vivaces de mon état de mélomane, celle qui tournent autour du merveilleux film d’Alain Corneau, Tous les matins du monde, une fiction totalement inventée vie du sieur de Saint-Colombe et de son élève, Marin Marais, compositeur à la Cour de France des Louis XIII et XIV d’après le roman du même nom de Pascal Quignard.

Jordi Savall fait partie intégrante de ma vie musicale depuis le début des années 1980 au moment où j’ai découvert son enregistrement si envoûtant du Llibre Vermell de Montserrat, recueil de musiques de la fin du 14esiècle espagnol destinées aux pèlerins du monastère de l’endroit. C’est en pensant à lui que j’ai proposé à CKRL, au milieu des années 1980, une émission de musique ancienne sur instruments d’époques. C’est mon ami et collègue dans l’aventure, Jean Perron, qui en a trouvé le nom : La Folia. La Folia, cette danse de la Renaissance qui devait mener ses adeptes en enfer ou au ciel, selon le rythme qu’elle déployait. Danse à la fois honnie et bénie qui, au cours des sièble,est devenue prétexte à variations mettant en valeurs les talents des compositeurs, les Ortiz, Corelli, Vivaldi, Marais, Rachmaninov pour n’en nommer quelques-uns. J’y ai consacré 10 ans, dix ans de musiques à l’image de celles que travaillait Jordi Savall qui a joué tant et tant sur les ondes du 89,1 et que je continue de découvrir religieusement.  


C’est vous dire qu’assister, hier soir, à ce retour sur les musiques de Tous les matins du monde, ne pouvait que m’émouvoir profondément.  M’émouvoir d’entendre ma pièce fétiche, la Sonnerie-de-Sainte-Geneviève-du Mont-de-Paris de Marais, ses variations sur les Folies d’Espagne aussi, et un concert à deux violes de Sainte-Colombe, un délicat Concert royal de François Couperin, tant d’autres musiques de Lully, Du Caurroy,  Rameau, Leclair… M’émouvoir aussi, d’accompagner mon ami Denis Jodoin, à la table de vente des disques du maître où se sont pressés des acheteurs passionnés eux-aussi. M’émouvoir d’être assis tout près d’un Jordi Savall venu signer des autographes à notre table, m’émouvoir enfin, de pouvoir jaser quelques minutes avec lui, si affable, si serein et qui irradie tant de bonté. Une grande soirée pour moi.


Précisons que Savall a d’abord étudié le violoncelle au conservatoire de Barcelone, puis par passion pour les musiques anciennes, est rapidement devenu l’artisan de la renaissance de la viole de gambe, instrument qui a régné sur l’Europe occidentale jusqu’au début du 18esiècle. C’est là, au conservatoire, qu’il rencontre sa compagne de vie, la soprano Montserrat Figueras avec qui l partagera absolument tout jusqu’au décès de la dame en 2011. Ensemble, ils voyageront dans toutes les époques musicales de l’Europe et du Moyen-Orient, du Moyen-Âge jusqu’au XIXe siècle, Savall développant des qualités rares de chef de chœur et de chef l’orchestre. Ils ont fait revivre la musique des troubadours et des trobairitz (les poétesses occitanes), comme celle des musiciens de la tradition arabo-andalouse, puis celle de la renaissance et du baroque de tout le pourtour méditerranéen, avec une affection particulière pour certaines œuvres de Jean-Sébastien Bach.

Toutefois, impossible de passer outre le riche répertoire de viole de la cour de France des 17eet 18esiècle qui ont fait leur renommée, particulièrement avec la parution du film Tous les matins du monde, véritable chef-d’œuvre cinématographique qui mettait en vedette Jean-Pierre Marielle (M. de Sainte-Colombe), les Depardieu, père et fils jouant Marin Marais jeune et vieux, Anne Brochet, la fille aînée de Sainte-Colombe; la musique, omniprésente, sous la direction de Jordi Savall. Donc, tous les maîtres de la viole de l’époque ont enrichi le catalogue du musicien, les Marais, Saint-Colombe, Forquery, Mr Demachy, et les anglais aussi, les Purcelle, Byrd, Holborne, Hume, Coperario (Cooper), etc.
Une partie seulement de ma discothèque
des enregistrements de Jordi Savall.

La discographie du maître est pléthorique, plus de 127 titres enregistrés successivement pour EMI, puis Astrée-Auvidis avant qu’il se mette lui-même à l’édition discographique avec un soin unique dans toute l’industrie avec sa maison de production Aliavox.  Le critique musical du Devoir, Christophe Huss, en fait d’ailleurs, une belle recension dans l’édition du 9 février du quotidien.

Dans tout cela, Savall et sa défunte conjointe n’avaient qu’un but, rapprocher les humains par la musique qui les rassemble, à commencer par leurs enfants, Arianne et Ferran, également musiciens. Ils l’ont fait en couple, en famille, avec des ensembles qui ont pour nom Cappella Reial de Catalunya, Hesperion XXI, Concert des nations, Orient-Occident…

Bref, s’il y avait un Nobel pour la musique, je proposerais son nom comme premier récipiendaire. Où alors pour celui de la Paix.

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