mardi 6 septembre 2005

À la recherche du grand orignal mythique


« Il est presque 6 h et il fait jour, me souffle doucement à l'oreille ma belle Loulou. Je pars en kayak, poursuit-elle. » Éberlué quoique encore pratiquement inconscient, je sors un bras de mon sac de couchage et il gèle du coup. J'ouvre péniblement un oeil pour regarder par la fenêtre de la tente l'univers gris figé dans une gangue de brume glauque et dense. Je souris à ma douce avec l'air endormi le plus naturel possible et retourne à mon rêve dont elle est douillettement la vedette. Je ne vous donnerai pas de détails, mais ils étaient autrement plus confortables que l'univers froid et humide dans lequel elle veut m'entraîner. Pas question donc que je bouge d'ici!

Ma douce sort donc de la tente toute seule comme la grande fille autonome qu'elle est, après s'être rapidement et chaudement habillée. Je l'entends tout de suite farfouiller autour du campement et dans son kayak. Puis, après un instant de silence absolu, je perçois les premiers coups de pagaie de mon amour vers l'inconnu. On est en Mauricie, en plein coeur de ce grand lac Mékinac aux rives presque aussi impressionnantes que celles du Saguenay. Nous sommes campés là avec un couple d'amis précieux, Nadine et Pierre, tout juste à l'embouchure de la rivière du Milieu, affluent principal du lac. Sans qu'elle le dise, je sais que c'est sur cette rivière que ma Loulou retourne.

Connaissant Louise et sa passion dévorante pour le mystère de la nature, je savais qu'en partant ainsi dès potron-minet, elle s'aventurerait de nouveau dans les mille et un méandres de la rivière que nous avions eu le plaisir d'explorer tous les quatre la veille. Cette rivière recèle des marais d'une grande beauté, riches d'une vie qui doit être foisonnante au printemps et au début de l'été. Ensemble, en ce beau samedi du tout début de septembre, nous y avons découvert quelques grands hérons à l'affût, des canards noirs, des rats musqués bien dodus et deux louloutres curieuses qui sortaient alternativement la tête de l'eau comme des billes de bois ballottées par le courant. Et c'était sans compter les oiseaux, jaseurs des cèdres, roitelets. pics flamboyants et même un très rarissime trio de troglodytes mignons (c'est déjà rare d'en voir un seul) que la même Loulou avait aperçu alors qu'elle était accroupi lors d'une intense séance d'observation.

Alors, en cette aube cotonneuse du dimanche matin, Louise cherchait dans la brume, l'inédit, le magique, rien d'autre, j'en suis sûr, que le grand orignal mythique tapi dans notre inconscient collectif et qu'on espère entrevoir pour qu'il nous conforte dans notre identité d'humain habitant l'est de l'Amérique du Nord. Comme le dit la sagesse populaire, on sort peut-être une fille de l'Abitibi, mais impossible de sortir l'Abitibi de la fille!

Bien que la bête merveilleuse ne soit pas au rendez-vous, ma douce fit une sortie enchanteresse, étant courtisée un long moment par trois castors qui encerclaient presque son embarcation, heureux, en ce petit matin, d'avoir un témoin de leur existence.

Un joyau de la nature de chez nous
L'idée de cette expédition de trois jours durant la fin de semaine de la fête du travail vient de ma Loulou, vous vous en doutez bien. Chez elle, dès qu'il s'agit de nature, un projet n'attend pas l'autre. Et comme Nadine et Pierre avaient soumis l'idée de passer quelques jours de vacances avec nous, Louise a proposé une expédition en kayak de mer sur le grand lac Mékinac. Pierre connaissait l'endroit de réputation, on est parti!

À Grandes-Piles, nous sommes allés chez Exit-nature où Jean-René Carpentier nous a loué les kayaks, offert une carte du lac après nous avoir montré, avec passion et émotion, les différents endroits où camper et quoi visiter. « Vous ne le regretterez pas! », qu'il nous a lancé lorsque nous avons repris la route 55.

Vous dire la beauté de ce plan d'eau! Imaginez un lac de quelque 18 kilomètres long par, à peu près... deux de large. La partie sud, d'où nous partons et où est situé le joli camping municipal, ressemble à une plaine douce parsemée de collines. À peine à plus d'un kilomètre vers le Nord, à droite, se dresse tout à coup une paroi rocheuse qui s'étendra jusqu'à l'autre bout du lac. À gauche, quelques chalets bordent la rive jusqu'à une profonde baie (à cet endroit, le lac atteint 11 kilomètres de large). De l'autre côté, toujours vers le Nord, un autre cap se dresse sur quelque kilomètres, nous amenant dans un véritable et fort impressionnant fjord.

Nous partons donc tous les cinq. Ah oui, j'oubliais de vous dire que nos amis n'ayant pas trouvé de gardien adéquat, ils ont amené leur petite chienne Chinook. Pierre l'installe sur le devant de son kayak aussi amoureusement que confortablement dans une caisse de plastique rembourrée d'un couverture chaude pendant que Nadine lui parle affectueusement. Quelle famille!

Au départ, un vent d'ouest souffle assez généreusement, nous amenant des belles vagues qui nous bercent d'une douce langueur monotone dans les sanglots longs de l'automne (s'cuse Verlaine pour le verlan). Puis, il prend de la vigueur et en exige autant de nous. C'est donc avec un certain soulagement que nous abordons, plus de trois heures plus tard,une toute petite plage. Nous en profitons pour bouffer et nous baigner et Chinook part en coup de vent (hi, hi) se dégourdir les pattes. Comme le dit toujours ma blonde : « Tu peux pas avoir le beurre et l'argent du beurre. » Nous avons choisi de longer le côté est pour profiter de la magie du cap qui tombe à pic dans l'eau. Il ne nous restait qu'à pagayer jusqu'à ce que le cap décide de nous faire une petite place.

Tout en pagayant, une question nous hante. Comment tous ces cèdres et ces pins peuvent-ils pousser sur cette paroi rocheuse, sans terre ou presque, et résister à tous les vents et froids d'hiver qui doivent être particulièrement intenses dans les hauteurs? Vous vous direz sûrement que ça ne prend pas grand chose pour nous hanter. En effet, et nous vous répondrons en choeur : la nature suffit!

Pour le reste, les repas préparés en commun et bien arrosés, les conversations animées près du feu, le plaisir d'être avec des amis sensibles et infiniment gentils qui partagent la même passion du plein air, les huards qui se pavanent et lancent leur cri fantomatique, les outardes déjà de retour et qui, même tard la nuit, nous rappellent que l'automne sera bientôt à notre porte, la voûte étoilée et sans lune, le clapotis des vagues sur le rivage... Pour tout cela, il reste la mémoire.