mardi 23 février 2010

La fête Dieu et autres événements

Le boa de Gédéon (cliquez pour agrandir)

C’était la fête de Dieu, mon petit-fils Gédéon, samedi dernier. Né un 13 février, il a eu 4 ans. Comme il a des parents hors de l’ordinaire (n’importe qui ne s’improvise pas parent de Dieu, vous admettrez), il a eu droit à une zoo-fête avec ses amis de la garderie et une zoo-animatrice qui avait amené avec elle des animaux rares : une araignée, un mille-pattes de 6 pouces de long, un furet qui puait semble-t-il. Les enfants étaient drôlement impressionnés et Ged a joué le rôle d’assistant de la jeune dame qui faisait la présentation. Lui, il était presque intimidé.

Non seulement les amis de la garderie étaient-ils présents en compagnie de Wawa, le super gardien en chef, mais les mères (qui d’autres) étaient aussi de la partie. Si le spectacle a duré une heure, la fête elle, s’est étendue sur plus de trois. Trois heures de bonheur en compagnie d’enfants qui se connaissent, qui ont appris à jouer ensemble et qui, visiblement, s’apprécient. Il y avait Nichita-les-beaux-yeux, le petit Roumain arrivé au Québec il y a cinq mois et qui parle déjà français couramment; Léna-l'enchanteresse, le savant Ziri, fils de Wawa, le beau Léonard, le petit Loïk, Florent-le-magnifique, le petit Lionel, Jack le-blond-aux-yeux-bleus aussi. J’imagine qu’ils apprécient aussi Gédéon puisque, généreux, chacun d’eux lui a remis un cadeau de fort bon goût, des « play-mobiles », des légos, des livres et un costume de Sam Sam le super héro. L’était content le Ged, un peu gêné de tant d’attentions, et il avait surtout faim. Comme toute la marmaille sur place, il a fait honneur au « lunch » et au gâteau de fête à l’effigie des bagnoles. Une bien belle fête, vraiement.

Ah, oui, saviez vous que le nombre de pattes des mille-pattes augmente au fur et à mesure que la bête grandit? Et dire qu’il y a des mille-pattes qui font plus de 10 pouces. Ça fait combien, ça en centimètres? Et ça fait combien de pattes au bout du compte?

Loïk et le chat

En après-midi, Loïk et sa mère, la petite Sophie, sont venus à la maison. L’énigmatique beau blond aux yeux bleus a passé plus d’une heure dehors avec sa grand-mère Loulou à marcher dans la neige, à rire et à sourire, à boire du chocolat chaud et à suivre Vivaldi le chat. Cet animal aime nos petits-fils autant que nous, dirait-on. Quand ils sont chez nous, il les suit pas à pas et il n’est pas rare qu’il monte se coucher avec eux. Mais avec Loïk, il faut dire que ça clique particulièrement fort.

Loïk adore Vivaldi. Il le suit partout dans la maison, lui fait des câlins, lui parle de son charabia unique, l’habille d’une serviette, d’un jeu de cartes, d’autos. Le gros, lui, se laisse faire jusqu’à ce qu’il en ait trop sur le dos. Alors, il se lève et se déplace de quelques pas pour s'éloigner... mais à peine.

Loïk a à peine un an et demi et comme rien ne lui fait peur, il nous fallait trouvé un truc pour l’empêcher d’approcher du poêle. Ma douce, inventive comme pas une, lui a fait un chemin qui passait assez loin devant le dit poêle avec du « masking tape » beige collé au sol. Eh bien, croyez-le ou non, ça a marché! Non seulement le petit empruntait le couloir tracé par ma douce, mais le chat a fait de même.

« J’ai eu cette idée à cause de ce film de Lars Von Trier où Nicole Kidman joue le rôle d’une sympathique ingénue qui devient la victime de tout un village. Ah oui, Dogville, ça s’appelle. Dans ce film d’une cruauté inouïe, le décor et les différentes pièces ne sont divisés que par des lignes au sol. Pas de décor en fait, mais un film drôlement fort sur fond noir. Nous, on n’a pas torturé Loïk, mais, sachez-le, tracer des lignes au sol, ça oriente!

Blues…

Savez ce qu’il disait le bluesman Champion Jack Dupree? Il disait « Sometimes, I wake up cryin’, and I don’t know what i’m crying for… ». Il disait aussi, à ceux qui lui demandait ce qu’était le blues : « the blues is something between the yellow and the green ». Enfin, plus sérieusement, il expliquait : « You know, a lot of people don’t know what the blues is about. If you have a good woman you love and she leave you for somebody else, that’s make you feel bad. That’s what the blues is about. » Et d’ajouter pour conclure : « And when she come back, you felle the same. That make no différence, you still have the blues…», et il se met à rigoler en entonnant sur superbe riff de piano larmoyant à souhait.

So, le blues, comme vous le savez sans doute, n’est pas réservé aux bluesmen de ce monde, il peut affecter tout un chacun, particulièrement quand un de nos proches feel bad, que vous vous assoyez avec lui pour jaser, comprendre et si possible l’aider et que ça ne donne rien de tangible, que vous ne réussissez même pas à connaître la cause de ses angoisses. C’est aussi « …what the blues is about and, for sure, you feel bad. »

Y a aussi une autre formule qui résume bien la chose, même elle ne permet pas de faire ressentir l’impuissance de l’inaction et la douleur morale qu’elle engendre. Vous la connaissez, c’est : « Y en n’aura pas de facile. »

Bref, on se sent poche même si le soleil brille de tous ses feux pré-printaniers, que les oiseaux piaillent par milliers et que le feu chauffe doucement la maison. Reste que je peux facilement me passer de quatre mois de printemps, qu’on ne peut plus faire de ski et que les cris des oiseaux couvrent à peine le bruit de la machinerie qui massacre le territoire au bas de la côte de Saint-Adolphe pour y construire une autoroute aussi inutile que nuisible. Hé misère…

Pour en savoir plus sur ce bon Champion Jack Dupree… et sur l’album Forever and ever dont j’ai tiré mes citations. La toune s’appelle They Give me away.

Grande musique

Concert exceptionnel, samedi, au Grand Théâtre où Yannick Nézet-Seguin dirigeait son orchestre symphonique de Rotterdam. Si on aurait pu se passer du trop bruyant Concerto pour orchestre de Bêta Bartok, quel plaisir ce fut par contre d’entendre le chef et ses musiciens accompagner l’incomparable Viktoria Mullova dans une des plus belles œuvres du répertoire classique, le Concerto pour violon de Johannes Brahms. La dame y fut royale, d’une élégance musicale rare, un jeu raffiné, précis, clair qui a donné de grands moments comme dans la cadence pour violon seul de la fin du premier mouvement et l’ensemble de l’adagio qui a été joué avec une tendresse infinie. La beauté à l’état pure.

Si vous ne connaissez pas cette œuvre, vous pouvez la découvrir avec dame Mullova et le Philharmonique de Berlin sur Philips ou avec Vadim Repin, lui aussi magistral, en compagnie de l’orchestre du Gewandhaus dirigé par Riccardo Chailly, disque Deutsche Grammophon. Disponibles, évidemment, chez Sillons, le disquaire de la rue Cartier!

Autre découverte d’un supême beauté, les motets de Jean-Sébastien Bach interprétés par le Bach Collegium Japan dirigé par Masaaki Suzuki. Des Japonais qui jouent du Bach? Ben oui, pis ça fonctionne merveilleusement bien. Faut dire que le sieur Suzuki a étudié avec les grands maîtres néerlandais de la musique baroque, dont le claveciniste Ton Koopman et qu’au cours de la dernière décennie, il a érigé une véritable œuvre enregistrée de la musique du grand J.S. Écoutez plus particulièrement le « O Jesus Christ, miens lebens licht », BWV 118. Grandiose.

Un mot enfin sur le nouvel opus de Peter Gabriel intitulé « Scratch my back ». Ben oui, gratte mon dos. Douze reprises de chansons de grands noms comme David Bowie, Paul Simon ou Lou Reed. Des reprises comme lui seul peut s’en permettre, avec piano et cordes, avec un fond minimaliste emprunté à un Philip Glass ou à un John Cage. C’est grave, lent, sérieux, d’une beauté cérébrale indéniable. J’aime.

mardi 9 février 2010

Misères et splendeurs de l’amer Indien


Ai passé une partie de ma vie près des cultures amérindiennes d’ici. Mes fils sont, d’un peu loin c’est vrai, des métis d’Ilnus de Mashteuiash que j’ai fréquentés plusieurs années. J’ai été, plus de 10 ans, rédacteur en chef de Rencontre, un magazine gouvernemental publié quatre fois l’an à l’intention des populations amérindiennes et inuit du Québec. Ce magazine était principalement constitué de reportages que nous réalisions quatre fois l’an dans l’une ou l’autre des 54 communautés. J’ai ainsi pu vivre plusieurs séjours dans des réserves et au cœur de la forêt amérindienne qui, croyez-moi, n’a rien à voir avec celles des Blancs.

C’est à Rencontre que j’ai engagé ma Loulou qui est devenue ma conjointe, elle qui a vécue chez les Inuit de nombreuses années et travaillé auprès des Cris comme coordonnatrice de la cour itinérante du Québec. C’est pourquoi j’ai pu apprécier à sa juste valeur le roman si émouvant de Lucie Lachapelle, Rivière Mékiskan.

Lucie, c'est celle qui tient le melon d'eau. Elle est entourée de Mylène Martel, de Marie-Ève, la fille de Lucie à qui est dédié le livre, de Janine Parent et de ma Loulou. Une soirée d'amies où les fruits et les légumes étaient à l'honneur... hi, hi, hi.

Lucie, c’est une grande amie de ma douce qui l’a rencontré à Puvirnituq, dans les années 1970. Lucie n’est pas romancière, mais cinéaste, scénariste et réalisatrice. Il y a une quinzaine d’années, elle a fait paraître, pour le compte de l’Office nationale du film, La Rencontre (qui n’a surtout rien à voir avec la revue!) qui portait sur les conjoints blancs qui vivaient avec des Autochtones, soit dans les communautés soit en ville. Enfin, le père des enfants de Lucie est cri par sa mère et plusieurs aspects de Rivière Mékiskan sont inspirés de la vie de cette famille abitibienne.

L’histoire? Alice, la jeune vingtaine, vit à Montréal depuis sa tendre jeunesse. Un jour elle reçoit un appel du bureau du coroner qui lui apprend que son père est mort. Cause du décès : intoxication à l’alcool sur fond d’itinérance. La jeune fille n’est pas surprise. Elle n’a que faire de ce père qu’elle déteste et que sa mère a fui du cœur de l’Abitibi. Contre toute attente, Alice décide de ramener les cendres de ce père indigne au cœur de ce pays inconnu pour elle, dont elle n’a que de vagues réminiscences.

Si l’on a quelques difficultés à comprendre la logique d’Alice en début de roman, si on ne saisit pas trop pourquoi elle doit assumer seule la charge de disposer du corps (si ce n’est que Louise, sa mère, a décidé de nier complètement l’existence de cet homme et de sa famille), on est tout de suite happé par le récit qui suit, dès qu’Alice met le pied dans le train qui la mène dans ce coin perdu de Mékiskan.

Il s’agit d’un puissant voyage initiatique où Alice découvrira le drame irréparable qu’ont subi son père et les siens au cours de leur existence : dépossession territoriale, morale et physique de ces gens qui, pour certains, vivent tant bien que mal le long de la ligne de chemin de fer qui va de La Tuque à Senneterre alors que d’autres arpentent les réserves. Désoeuvrement et alcoolisme font des ravages mais l’étincelle demeure, le rire, la magie de la vie en forêt et des êtres mythiques et mystiques qui y vivent.

Dans sa « …Trop bruyante solitude », le grand écrivain tchèque Bohumil Hrabal fait dire ceci à son héros, pilonneur de livres : « si je savais écrire, moi, j’écriras un livre sur les plus grands malheurs et les plus grands bonheurs des hommes. » Lucie Lachapelle a écrit ce livre. Avec elle, on a droit à un récit de l’intérieur de cette vie de semi-nomades du Moyen Nord. La vieille Lucy, tenante d’un savoir ancestrale, initiera sa petite-nièce au quotidien difficile des siens et fera rencontrer à la petite urbaine la partie amérindienne de sa famille. C’est d’elle aussi qu’Alice apprendra leur triste histoire.

Aucune complaisance dans ce récit où l’on traîne une femme saoule, ivrognesse d’habitude, dans les poubelles sous les yeux de son fils; la famine qui tuait autrefois des familles et cette histoire, vraie, de la grand-mère d’Alice qui a tué un orignal d’un coup de hache. On y découvre aussi des pages sublimes sur la vie quasi spirituelle au campement, sur le pouvoir du shaman chasseur et la place des animaux, sur la purification et les visions dans la tente de suée où Alice revoie son père.

Mais au-delà du récit, c’est le ton qui frappe, la vérité qui s’en dégage. L’auteure connaît intimement le monde dont elle parle et, avec l’expérience que j’en ai, tout ce qu’elle raconte est profondément vrai. Alice ne peut que sortir grandie de son voyage. Le lecteur aussi.

À mon avis, un seul roman avait, jusqu’ici, réussit (brillamment) à mettre en lumière la relation ambiguë des Québécois blancs et des amérindiens. C’est le Cowboy, de Louis Hamelin. Aujourd’hui, Lucie Lachapelle reprend le flambeau, aussi simplement que la vieille Lucy, qui raconte la vie des siens du haut de sa misère et de sa sagesse. La parution de ce livre est un événement.

Quarante ans de blues?

La semaine dernière, j’ai attrapé un coup de vieux. Assez violent même. J’écoutais un disque intitulé Three for All, un trio jazziste mené par le saxophoniste Jerry Bergonzi. C’est ex-cel-lent. Le Jerry, il a toute une sonorité, un phrasé chaleureux et ses compos sont résolument modernes sans rien de free, mais avec beaucoup d’invention et d’idées qui se succèdent à bon rythme. Ses deux copains, le bassiste Dave Santoro et le batteur Andrea Michelutti, ne lui cèdent en rien, dialoguant, pardon trialogant allègrement le patron. Ressemble un peu au regretté Bob Berg, le Bergonzi, et ce n’est pas parce que leur nom commence par les mêmes trois premières lettres.

Mais ce n’est pas la musique qui m’a donné un coup de vieux. Je n’avais, avant ce mardi, jamais écouté ce musicien qui avait pourtant joué avec Dave Brubeck au début des années 1970 et qui a enregistré une dizaine d’albums sous son propre nom. Et moi qui raffole des saxos ténor. ET c’est là que ça a commencé à faire mal. Depuis combien de temps est-ce que j’écoute du jazz et des saxos ténor? Ça fait, ça fait… ouch, ayoye, ça fait presque que 35 ans! J’ai commencé à 23 ans, je pensais avoir entendu tous les grands de Traumbauer à Murray en passant par tous les Young Hawkins Rollins Coltrane Shepp Ayler et compagnie. Heureusement, heureusement; il n’y a pas de retraite pour les jazzeux, peuvent devenir gâteux et s’adonner à leur vice en toute quiétude jusqu’à ce que la mort les sépare. Et en apprendre jusqu’au dernier moment!

Exaltatant!

Par le passé, on a trop souvent associé la musique de Fryderyk Chopin à du divertissement de demoiselle en mal de pamoison. Peut-être est-ce parce que le souffreteux personnage détestait donner des concerts devant de grandes salles et préférait ceux, plus intimes, des salons. Peut-être aussi est-ce que son œuvre est essentiellement pianistique? Pourtant, études préludes nocturnes ballades scherzos et polonaises connaissent tous des moments forts, voire d’une puissance suprême. Cette force, on a pu la découvrir au cours des dernières décennies grâce à des musiciens de caractère comme Samson François, Arturo Benedetti Michelangeli, Krystian Zimerman entre autres. En fait, Chopin, dont c’est le deux centième anniversaire cette année, ne manque pas de grands interprètes pour défendre son œuvre.

Le dernier en date s’appelle Nelson Goerner. Il est d’origine brésilienne et vient d’enregistrer, pour l’institut Chopin de Varsovie, un récital mêlant ballades et nocturnes. Non seulement offre-t-il un jeu des plus étonnant et brillant, mais il le fait sur le piano préféré de Chopin, un Pleyel datant de 1848. Quelle sonorité, quelle force, quelle émotion nous sont transmis dans cet enregistrement remarquable. Une merveille!

Bonne semaine!