lundi 13 janvier 2014

Violoncelle


Ma grande amie Claire (Minguy), m’a fait un inspirant cadeau à l’occasion de mon anniversaire, une petit livre de Philippe Delerm intitulé « Les mots que j’aime ». Il y en a ainsi plus d’une centaine auxquels il donne, non pas une définition, mais une description de ce que chaque mot lui suggère, sens, émotion, objet. Euh, enfin, quelque chose comme ça. Quelle bonne idée à développer dans les Chroniques du lundi! Commençons par… violoncelle.


Son opulent, rond, pas tout à fait grave, mais assez quand même, velouté et, surtout chantant, tel m’apparaît le violoncelle. En fait, rien ne me semble plus beau que la longue phrase du violoncelle, avec son vibrato intense et long. Tellement de belles voix du 20ième siècle semblent calquées sur sa sonorité envoûtante : Ella Fitzgerald, Frank Sinatra, Jacques Bertin par exemple.

Et que dire de sa forme! Toute en courbes et en rondeurs opulentes des plus sensuelles, douces au toucher… Une sensualité exacerbée par ses teintes allant du brun pâle au brun rouge ocre le plus enivrant. Le violoncelle, c'est l'instrument que l'on remarque d'abord dans un quatuor à cordes. Et quand il est tenu par une Emmanuelle Bertrand, une Ophélie Gaillard ou une Tatiana Vassilieva, alors là, on est en droit d'être troublé.

Tatiana Vassilieva.

Pourtant, l'histoire a surtout retenu de grands violoncellistes masculins : d'Auguste Franchomme à Pieter Wispelwey en passant par Pau Casals, Mtislav Rostropovich, Pierre Fournier, Janos Starker, Anner Bylsma. À ces noms, il faut ajouter celui de la grande Jacqueline du Pré, musicienne anglaise au tempérament de feu que des complications dûes à la sclérose en plaques ont contrainte à une retraite prématurée. Son interprétation du concerto pour violoncelle d'Anton Dvorak sous la direction du flamboyant chef Sergiu Celibidache reste une référence absolue! Écoutez-la!!!! 

Aujourd'hui, on peut croire qu'une Emmanuelle Bertrand pourrait bien lui succéder.

Malgré sa popularité contemporaine, il en aura fallu du temps, à cet instrument, pour prendre sa place parmi au sein du monde musical universel. Disons d'abord que le plus vieux violoncelle répertorié date de 1570, œuvre du luthier Crémonais Andrea Amati (1505 ? – 1577). Nommé « Le Roi », parce qu’il a été remis au roi de France Charles IX en 1574, il est encore utilisé aujourd'hui, à l’occasion. J’avais d’ailleurs un disque Accent d’œuvres de chambre baroques où il sert de continuo, de basse finalement. Faudrait bien que je le retrouve! Je me souviens juste que l’interprète en était le violiste Wieland Kuijken, de la célèbre famille de baroqueux flamands. Ce violoncelle et les autres instruments de la famille des violons allaient d'ailleurs faire la renommée de cette ville italienne dans les siècles suivants. Outre les Amati, on y trouvait le clan des Guarneri et des Stradivari… Rien que ça!



Mais il faudra attendre encore une soixantaine d'années avant que les premières pièces solos lui soient consacrées; œuvres de Frescobaldi, Battista Degli Antonii, Jacchini et surtout, de Domenico Gabrielli, qui tous, firent les belles heures de la musique italienne du 17ième siècle. En fait, dès qu’on a fileté de métal la corde de basse, l’instrument est devenu tout à coup beaucoup plus intéressant comme soliste. Aux canzones, canons et ricercates du début du siècle ont succédé les sonates et concertos qui devaient pulluler au 18ième sous l’impulsion des Leo, Porpora et autres Vivaldi qui lui donnèrent une réel popularité… sans toutefois atteindre celle de maître violon. Faut dire qu’entretemps, un certain Jean-Sébastien Bach avait créé six suites qui allaient devenir l’alpha et l’oméga de l’instrument jusqu’à aujourd’hui. 


Peu mis en vedette par les classiques, sauf dans quelques œuvres de Haydn et de Beethoven, il le sera plus par les romantiques qui sauront mettre en valeur son chant et ses chaudes sonorités. Brahms, Mendelssohn, Schubert, Liszt, Chopin, Rachmaninov (violoncelle et piano) et Dvorak (un immense concerto pour violoncelle) écriront tous des œuvres significatives et intenses pour l’instrument.  Et l’on ne parle pas de ces courtes pièces si célèbres comme Le Cygne (Saint-Saëns), le Chant des oiseaux (traditionnel adapté par le grand Pablo Casals), Après un rêve (Fauré), et autres qui ont drôlement contribué à faire du violoncelle l’instrument romantique par excellence… qu’il n’est vraiment pas.

Mstislav Rostropovich au pied du mur de Berlin.

Et le XXe siècle, avec des dizaines d’œuvres puissantes et exigeantes ne réussira pas à défaire cette réputation. Par contre, quel beau répertoire nous avons! Il faut au moins nommer ( et écouter!) la monumentale sonate pour violoncelle seul de Zoltan Kodaly (1915), les trois sonates pour le même instrument de l’Anglais Benjamin Britten et de Sir Edward Elgar son magnifique concerto. Les Hongrois Gÿorgy Kurtag et Gÿorgy Ligeti, le Roumain George Enescu ou le Catalan Gaspar Cassado ont tous écrit des œuvres remarquées pour l’instrument.

La musique de film s’est également illustrée en mettant de l’avant le violoncelle, notamment avec le célèbre et merveilleux « Smile » de Charlie Chaplin. On retrouve le violoncelle aussi dans le jazz où les contrebassistes l’utilisent à l’occasion, à l’instar de Ray Brown, George Duvivier, Charles Mingus ou Dave Holland pour n’en nommer que les plus illustres. Le plus important est cependant le New Yorkais Erik Friedlander qui, depuis plus d’un quart de siècle, improvise sur l’instrument en solo, avec son band Prowl, en compagnie des différentes formations Masada de John Zorn. Friedlander est un merveilleux violoncelliste.

Enfin, au cours des dernières années, la musique populaire l’a aussi intégré à son répertoire, on n’a qu’à penser aux Québécois Jorane et Claude Lamothe, aux Avett Brothers, Crooked Still et Andrew Bird, à la Brésilienne Dom La Nena et l’hallucinant groupe de violoncellistes Apocalyptica qui reprend des tounes de rock métal (de Metallica, entre autres). Bref, on n’a pas fini d’entendre le violoncelle!

Quelques enregistrements remarquables

Anner Bylsma, Le violoncelle au 17e siècle. Deutsche Harmonia Mundi.


Pieter Wispelwey. Jean-sébastien Bach, Suites pour violoncelle. Channel Classics


Andras Schiff/Myklos Perényi. Beethoven, Musique pour piano et violoncelleECM


Pierre Fournier. Dvorak, Concerto pour violoncelle. Deutsche Grammophon
Gauthier Capuçon, Gabriela Montero. Rhapsody, Sonates pour violoncelle de Rachmaninov et Prokofiev. Virgin Classics


Jean-Guyhen Queyras. Kodaly, Sonate pour violoncelle seul. Hatmonia Mundi


Erik Friedlander. Prowl. CryptoGramophon


Et pour en savoir plus sur l'histoire et la facture du violoncelle…

dimanche 5 janvier 2014

Confiteor, le livre du mal et du mal absolu


« Ce n’est qu’hier soir, alors que je marchais dans les rues trempées de Vallcarca, que j’ai compris que naître dans cette famille avait été une erreur impardonnable.  »

Ainsi débute Confiteor, le quatrième roman du philologue et universitaire catalan Jaume Cabré, un livre d’un profondeur abyssale, tant dans la beauté que dans l’horreur. Et en effet, le jeune Adria a été élevé dans une famille aisée qui a construit sa fortune sur le vol et la dénonciation, mené par un père rusé et véreux, Félix, qui n’a aucune affection pour son fils mais qui exige de le voir réussir en tout ce qu’il lui dictera. La mère, Carme Bosch, effacée et repliée du vivant du mari, deviendra une administratrice redoutable de la boutique d’antiquité familiale lorsque celui-ci sera assassiné. Si, comme son conjoint, elle est aussi affectueuse qu’un poteau de clôture, elle assurera cependant l’avenir de ce fils doué en tout, particulièrement pour la musique et les études de civilisation.

Confiteor, c’est donc l’histoire de cet Adria Ardèvol élevé dans l’Espagne franquiste, qui deviendra grand spécialiste de l’histoire de la pensée européenne et de sa douce Sara Voltes-Epstein à qui le héros écrit une longue lettre de 771 pages qui constitue, en fait, le roman. Non seulement y raconte-t-il sa vie et celle de ceux qui l’entourent, Bernat, violoniste moyen qui deviendra aussi écrivain moyen, de sa femme Tecla, de Max, le frère de Sara, et du destin rocambolesque et tragique du violon d’exception qui appartient (?) à la famille, œuvre du luthier Lorenzo Storioni, Crémonais de la fin du 18e siècle.

 C’est encore et surtout celle de l’œuvre d’historien de la pensée et de l’esthétique d’Adria Ardèvol, qui nous promène de la fin du 15ième siècle au début du 21ième. Au cœur de ce long et fascinant périple, le mal. Celui qui, par la « sainte » Inquisition a marqué le Moyen-Âge et la Renaissance, celui qui, au 20ième siècle, a causé l’extermination de dizaines de millions de personnes sous la botte de totalitarismes d’une sauvagerie sans nom. On y cause tortures, violence extrême et de l’horreur sans nom du crime gratuit. :

« -     La haine justifierait-elle le crime?
-       Non, mais elle l’explique. Et le crime gratuit est non seulement épouvantable,  mais inexplicable
-       Et un crime au nom de Dieu? intervint Sara.
-       C’est un crime gratuit, mais avec un alibi subjectif.
-       Et si c’est au nom de la liberté? Ou du progrès? Ou de l’avenir?
-       Tuer au nom de Dieu ou au nom de l’avenir, cela revient au même. Quand la justification est idéologique, l’empathie et le sentiment de compassion disparaissent. On tue froidement, sans que la conscience en soit affectée. Comme dans le crime gratuit d’uns psychopathe. » p.547

 Et à l’inverse, de tout temps, l’humain a été en quête de beauté et s’est exprimé au moyen de formes d’art qu’il a poussé vers des sommets vertigineux, tant en peinture qu’en musique, ce que Cabré démontre avec virtuosité dans Confiteor.

Mais le plus remarquable dans ce bouquin, magnifiquement imaginé et écrit, c’est sa construction. On assiste, tout au long de l’œuvre, à un maelström spacio-temporel savamment ordonné. Les lieux, les actions, les réflexions, les histoires de tous les personnages s’imbriquent d’un paragraphe à l’autre.
Ainsi une discussion qui commence entre Adria et Bernat sur la magie de la musique de Schubert, se poursuit-elle, dans le même paragraphe, entre deux nazis du camp d’Auschwitz-Birkenau qui font des expériences cruelles sur des enfants. Le plus dérangeant, c’est que tout ce beau monde a le même point de vue.

Adria parle-t-il du violon, qu’on se retrouve derechef avec Jachiam Mureda, chanteur de bois, au cœur de l’Italie de la fin du 17ième siècle. C’est lui qui a trouvé le bois dont Storioni construira le violon qui sera proposé plus tard au violoniste de la Cour de France, Jean-Marie Leclair et qu’on retrouvera chez les Ardèvol à la fin du 20ième. Et ce bois, provient des environs du monastère de Sant Pere del Purgal, construit au 14ième siècle et qui figure sur un tableau de Modest Urgell installé chez les Ardèvol et qui aura toujours fasciné Adria, comme si c’était son monde qu’on y trouvait.


Que ce soit dans les faiblesses du quotidien qui affligent les personnages, Adria et Bernat en premier lieu, ou dans les grandes tragédies inhumaines de l'Histoire, le mal est partout dans ce livre. Le mal… et le mal absolu. La beauté aussi, par ailleurs, dans une partita de Bach, une sonate de Leclair, le tableau d'Urger, et dans les Sara, Laura, Tecla, les personnages féminins de ce beau livre.

Bref, à chaque page, presque qu'à chaque paragraphe de Confiteor, on voyage tant dans le temps, les lieux, les actions, la pensée et les personnages. Si bien, qu'on ne peut se risquer à sauter une seule ligne de ce pavé de quelque 770 pages sous peine d'être perdu dans l'espace-temps. D'ailleurs, le temps existe-t-il? 

On ressort de Confiteor une peu changé… et c’est pour le mieux.



Pour vous accompagner…



Pour vous accompagner dans la lecture de ce roman, je vous propose la musique de Jean-Marie Leclair, ses merveilleuses sonates pour le violon, tirées de son Quatrième livre et qui ont été enregistrées par Luis Otavio Santos, pour la maison Ramée. Écoutez ce bel Andante Affettuoso!

Le goût des mots



Un petit livre pour les amants des mots de la part de Philippe Delerm, le gars qui a écrit La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, ainsi que le très beau Sundborn ou Les Jours de lumière. Ici, d'autres plaisir minuscules à décrire les mots qu'il aime en 20 lignes, plus ou moins.

Il en aime ainsi une centaine qu'il décrit à sa façon qui ne serait pas nécessairement celle qu'on choisirait. Tant mieux, peut-être que ça pourra forcer quelques lecteurs et lectrices à se prêter à l'exercice et finalement, à apprendre à mieux se connaître en définissant à son tour les mots qu'ils aiment…

L'exercice est plus complexe qu'il n'y paraît, parce qu'il ne s'agit pas d'en donner une définition, y a des dictionnaires pour ça, mais bien d'explique ce qu'ils suggèrent à l'auteur. Par exemple…

Bonheur : S'il n'y avait qu'un mot, ce serait celui-ci. Bonheur, ce luxe douloureux, ce beau souci (…) Le monde nous envoie les pires nouvelles du monde, mais nous ne sommes pas dupes : tout ce pessimisme s'il n'y avait la certitude qu'autre chose nous mène qui dépasse de beaucoup la zénitude, la paix, l'équilibre ou l'harmonie…

Poire : …la poire est femme, avec des hanches douces et rondes; une courbe infinie dont on ne saurait dire où commence l'ampleur, mais c'est en bas que s'épanouit cette indolence souveraine qui donne soif de chair fondante, d'une mouillure lourdement sucrée…

Enfance : Comme il poigne loin, à l'intérieur, ai plus profond, comme il s'enfonce! On y échappe seulement quand on le vit!…

Mordoré : C'est un mot pour l'automne…

Bref, il y a beaucoup à découvrir dans cet exercice aux apparences légères. Lisez-le et essayez vous!

Philippe Delerm, Les mots que j'aime, Éditions Points (Hors-Série), octobre 2013, 128 p. 

mercredi 1 janvier 2014

Année de rêves

Maëllie, photo : Marie-Pier Simard


Froid de canard, heureusement sans vent, ce 31 décembre 2013 marque la fin d’une année éprouvante. Et rien ne dit que 2014 le sera moins. On vit une drôle d’époque où les rêveurs et les optimistes sont suspects, accusés en silence de déviationnisme. Nul ne doit contester la loi du progrès. Mais on s’en fout. Rêvons et faisons que nos rêves soient plus longs que la nuit, qu’ils prennent des airs de réalité et les chantent bien haut. Entonnons le chant des rêves et illustrons-le d’images aussi paradisiaques que terrestres. Bonne année 2014!

St-Laurent pur glace

Pommier neuvillois. Photo : Louise Séguin

Printemps rural. Photo : Louise Séguin

Ciel boréal…

Cultures portneuvoises.

Minganie.

Pavot.

Canardière. Photo : Louise Séguin

Abitibi.

Mer du Nord.

Sculptures marines

Parc précambrien. Photo : Louise Séguin

Chevaliers.

Automne.

L'art de Janine.

Mère nature…


Pour accompagner le tout