mercredi 31 octobre 2018

Sacré Charlie




Au même titre qu’un Charles Mingus, par exemple, Charlie Haden est un musicien sacré du jazz. Pas seulement parce qu’il aussi fabuleux contrebassiste que le premier, mais aussi parce que son rôle d’éveilleur de conscience marque toute sa carrière, particulièrement lors des réunions de son Liberation Music Orchestra dont les enregistrements ont marqué chacune des des décennies de sa carrière à compter de 1969. Contre les dictatures sud-américaines, contre l’apartheid, contre la dictature franquiste en Espagne, en concert à Montréal et avec cet hommage posthume concocté par la chef d’orchestre Carla Bley suite au décès de Charlie.

L’autre trait notable de sa carrière, ce sont les duos qu’il a réalisés avec les musiciens qu’il aimait, et même celui qu’il détestait un peu, l’imbuvable Kid Jarret. Ces albums, qui ont surtout marqué les deux dernières décennies de sa carrière, ont un point commun, celui de l’intimité et de la douceur. Attention, ça ne veut pas dire qu’il y avait absence de swing. Suffit de jeter l’oreille sur son magnifique opus avec le guitariste Jim Hall enregistré, en 1990, au Festival international de Jazz de Montréal pour s’en convaincre (disque Impulse). 

Un si beau duo...
Mais c’est avant tout la douceur qui marque ces duos, particulièrement à partir ceux du 21esiècle. Le Tokyo Adagioen concert en 2005 dans cette ville en compagnie du virtuose cubain Gonzalo Rubacalba (, 2005) et le tout dernier album qui vient tout juste de sortir sur Impulse encore, Long Ago and Far Awayen compagnie de Brad Mehldau (Mannheim, 2007) sont de véritables chefs-d’œuvre du genre. Il rendre grâce à sa conjointe et complice de toujours, Ruth Cameron, pour ces parutions. Dans chaque cas, les invités sont à l’écoute du contrebassiste et les concerts portent de sceau Haden pour la couleur. Voici quelques titres dignes de mention que vous aurez plaisir à (re)découvrir :

-      None but the Lonely Heart, Charlie Haden et Chris Anderson, disque naim.
-      Night and the City, Charlie Haden et Kenny Barron, disque Verve
-      Steal Away, spirituals, Hymna & folks songs, Charlie Haden et Hank Jones, disque ECM
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-      Jasmine, Charlie Haden et Kid Jarret, disque ECM

dimanche 24 juin 2018

Faut que je vous raconte…



On est ce dimanche de la Fête nationale des Québécois. Bon, pour faire bonne impression, je devrais ajouter des Québécoises, ou utiliser cette forme nouvelle, dite inclusive (criss que cette impression bien pensante m’énerve, m’enfin) Québécois.e.s et spécifier, de toutes origines. Mais que dire alors des Amérindiens et des Inuit qui ne veulent pas nécessairement être qualifiés de Québécois et qui sont quand même ceux qui fréquentent ce territoire depuis 10 000 ans…

Bon, je m’égare totalement, ce n’est pas du tout l’objet de ce billet qui se veut le témoignage d’une rencontre inusité et amusante. Bref, en ce 24 juin, je vais dîner au resto où mon fils Nico, travaille, le Mille et une pizzas. L’ambiance y est bonne, la musique aussi, et il y a un monde fou. Seul serveur, le fiston a la broue dans le toupet qu’il a heureusement fort court. Du jazz avec un bon saxo, baigne l'ambiance d'une belle humeur chaloupée, malgré la grisaille extérieure. Je lui fais compliment et lui de me rétorquer : « ça fait trois fois que l’album joue, je vais changer ».  Quelques clients plus tard, il met son projet à exécution. Le Johnny Cash des grandes occasions fait maintenant entendre sa voix profonde dans tout le resto. Je l’adore, Johnny, cet album de fin de vie plus particulièrement, grave et beau.. Mais un 24 juin, à l’occasion de notre fête, était-ce judicieux? En quittant, je lui en ai fait la remarque, tout en sachant qu’il avait beaucoup de boulot et peu de temps pour choisir la musique. N’empêche, la musique, c’est aussi l’âme d’un lieu. J'aurais rêvé d'entendre cette chanson éternelle de Félix, Le tour de l'île. Mais bon, c'est sans doute parce que j'ai l'âge que j'ai, pis l'histoire qui vient avec...

Histoires de jazz et de libraires…



Alors voici mon histoire… Repu à la fin du repas, je suis monté sur la rue Saint-Jean, question de faire un peu d’exercice et l’aller chez Pantoute, la librairie. Ça faisait une éternité que je n'y avait mis les pieds. Au moins deux semaines, c’est dire! J’y allais pour les bds. Mais bon, j’ai fait le tour, suis monté à l’étage pour consulter les livres sur la musique et j’ai trouvé ce titre inspirant, de la sociologue des genres, Marie Buscatto Femmes du jazz, musicalités, féminités et marginalisations. Wow, quelle trouvaille pour un animateur de radio qui fait dans le jazz! Si rare qu’on cause de la place des femmes dans le jazz, outre les grandes voix, peut-être archi connues mais pas nécessairement traitées équitablement. Et dans son livre, qui m'a l'air vraiment savant, j'y retrouve des noms de jeunesses qui cartonnent en Europe comme Joëlle Léandre, Sophie Alour, Mina Agossi... et la façon dont on les "traite" tant dans les médias que dans la promo. Bon, je m’égare encore. 

Je vais payer mon livre à une jeune femme au sourire lumineux et qui semble fort intéressée par le livre. Je lui dis aussi que je suis très concept, parce qu'il y a déjà un disque de vinyle de jazz dans mon sac où je fourre le livre… sans lui laisser le temps de voir la chose pour laquelle elle s’est un peu étirée le cou, pris que j’étais à aussi jaser avec sa voisine Émilie, toute aussi libraire et que je connais depuis qu’elle m'a fait mes emballages cadeau (mais c'est surtout une vrai libraire bédéisante accomplie). Et je sors…

Une fois dehors, que vois-je dans la vitrine que je n’avais pas vue en entrant? Ce livre de Gilles Archambault dont j’avais l’annonce quelques semaines auparavant et qui s’intitule En toute reconnaissance, Carnet de citations plutôt littérairesbellement édité chez Boréal. Je rentre à la librairie et me mets en quête de la chose. 

Voyez-vous, autre digression,  Gilles Archambault est un écrivain fétiche pour moi. Son humilité, son écriture minimaliste où chaque mot est soigneusement choisi pour exprimer une émotion, une idée si juste chaque fois, que chaque phrase me semble parfaite. Ajoutons un sens de la dérision toujours à point et rappelons-nous qu’il est un des plus remarquables jazzophiles vivants, longtemps animateur de Jazz soliloque à la SRC et vous comprenez mon enthousiasme devant cette nouvelle parution.
Donc, je cherche le livre, un peu en vain, avant que Monsieur Dumont, le libraire mythique, ne vienne à mon secours. Il me trouve et me tend le livre pendant que je lui raconte ma rencontre d’il y a deux ans avec le sieur Archambault dans le cadre de Québec en toutes lettres où il y a eu une soirée jazz en compagnie de l’autre Monsieur Jazz, Stanley Péan, l'animateur de la quotidienne Quand le jazz est là! Monsieur Dumont m’amène au comptoir où trône la même jeune fille au sourire lumineux. « Est-ce que tu connais Laura? » me demande-t-il, avec son sourire le plus espiègle. Non, mais je sens que je vais la connaitre, je réponds. Et j’ajoute, stupidement, Laura Secord? 

« Non, me reprend, Monsieur Dumont, Laura Péan. » Oui, la fille de Stanley Péan elle-même en personne!!! Voilà pourquoi elle s’intéressait à mon délire jazziste, à mon délire tout court quand je cause littérature et jazz et que je deviens plus fou que d'habitude. Vraiment, Pantoute, tu fais toujours les choses en grand!!!! Laura Péan...

Et en passant, Laura, l’album que j’avais dans mon sac est une réédition de l’excellent Juju de Wayne Shorter…



Le Bourg Saint-Louis




À Neuville, j’habite rue Courval, au cœur du quartier historique qu’on appelle Bourg Saint-Louis et dont les plus anciennes maisons remontent aussi loin que ls fin du 17e siècle. L’an dernier, pour célébrer les 350 ans du village, la municipalité a délimité le quadrilatère historique au moyen d’une signalisation représentative et mis en ligne, sur les internets, une Balado Découverte intitulée Histoires de Neuville, La vie au Bourg Saint-Louis qui raconte l’histoire des principaux lieux.

Ce matin, un monsieur (dont, à mon grand dam, je n'ai pas retenu le nom) est venu me remettre une lettre du maire et un porte-clés à l’effigie du Bourg, afin que, comme habitant de ce lieu, j’en fasse la promotion, que j’en sois fer, quoi. Bien sûr que j’en suis fier. À chaque saison, je le photographie pour le montrer à face de bouc, je l’arpente quotidiennement, toujours ébahi par son charme, rassuré par sa pérennité. Faites-en la visite vous aussi, virtuelle ou physique, vous aussi. Je vous y invite.




lundi 11 juin 2018

Un si beau dimanche à Saint-Antoine-de-Tilly



Jour lumineux que ce dimanche 11 juin, ciel clair d’un bleu intense et tous ces arbres brillants de verts mouvants portés par une brise douce d’une émouvante tiédeur. C’était enivrant à Neuville et, en après-midi, magique à Saint-Antoine de-Tilly où Loulou et moi avions rendez-vous avec un grand poète-chanteur malheureusement devenu trop confidentiel : Jacques Bertin.

Mais avant, on s’est arrêté chez nos amis Janine et Bertrand, qui ont leur maison juste en haut de la côte qui mène au quai. Eux aussi venaient voir Bertin. Mais comme il était tôt, on en a profité pour arpenter cette terre de rêve qu’ils habitent et enrichissent d’art et de cultures, jardins et vergers, entre autres. Janine Parent est une céramiste exceptionnelle, grande spécialiste de la technique du raku, dont le travail est reconnu internationalement. Mais pour l’heure, elle était surtout fière de son potager et de son champ d’ail…




Le dimanche après-midi, on dirait que ce lieu est encore plus pur, comme hors des vicissitudes et des tempêtes de ce monde de plus en plus policier et fasciste. Là,  où « …tout est beauté, luxe calme et volupté » comme le chante Bertin de ce poème de Beaudelaire mis en musique par Ferré. 



Ce Bertin, dont on disait, au début des années 1970, qu’il était le futur de la grande chanson française, celle des Morelli, Soleville, Brassens, Brel et Méo Ferré. Et c’était vrai. Fallait l’avoir entendu, au milieu des années ’80, au Théâtre du Petit-Champlain, distiller sa verve, magnifier ses mots avec un esprit caustique, chanter de sa belle voix sonnante comme celle d’un violoncelle. Avec les deux déjà sur scène, ça en faisait trois. C’était riche de sons et de mots, comme cette Fête étrange avec laquelle il a commencé son concert… Tout comme ce disque en spectacle nommé Café de la danse 1989 qui demeure mon préféré de tous et que j’écoute encore, 30 ans plus tard, avec beaucoup d’émotions.


Photo : Dominique Denis 

Je voudrais une fête étrange et très calme

Je voudrais une fête étrange et très calme
avec des musiciens silencieux et doux
ce serait par un soir d’automne un dimanche
un manège très lent, une fine musique
 
Des femmes nues assises sur la pierre blanche
Se baissent pour nouer les lacets des enfants
Des enfants en rubans et qui tirent des cerfs-volants blancs
Les femmes fredonnent un peu, leur tête penche
 
Je voudrais d’éternelles chutes de feuilles
L’amour en un sanglot un sourire léger
Comme on fait entre ses doigts glisser des herbes
Des femmes calmement éperdues allongées
 
Des serpentins qui voguent comme des prières
Une danse dans l’herbe et le ciel gris très bas
lentement. Et le blanc et le roux et le gris et le vert
Et des fils de la vierge pendent sur nos bras
 
Et mourir aux genoux d’une femme très douce
Des balançoires vont et viennent des appels
Doucement. Sur son ventre lourd poser ma tête
Et parler gravement des corps. Le jour s’en va
 
Des dentelles des tulles dans l’herbe une brise
Dans les haies des corsages pendent des nylons
Des cheveux balancent mollement on voit des nuques grises
Et les bras renvoient vaguement de lourds ballons


Hier, comme c’est le cas depuis quelques années, il s’arrête à Saint-Antoine-de-Tilly pour un tour de chant. Concert intime, privé, devant des amies et des amis qui connaissent son œuvre de longue date, concert donné dans une grande maison appartenant à Claire, la sœur de Madame Culture, à Québec, Paulette Dufour. Et, sur le bord du grand fleuve, nous avons retrouvé avec bonheur le poète chanteur et ses mots tant graves, tantôt drôles. Ce grand pessimiste qui rêve d'espoir! Que faire?