lundi 29 septembre 2008

De la musique

C’est la journée internationale de la musique ce mercredi, 1er octobre. Il n’y a pas un lecteur ou une lectrice de cette chronique qui ne sache à quel point je suis accro à cette forme d’art, à quel point j’y trouve matière à mieux vivre. Harassé, l’esprit brouillon et un peu mélangé de la veille, c’est la musique du grand Sébastien Bach qui me réorganise. Sa rigueur et sa poésie puissantes agissent comme un baume bienfaisant, me remettent les idées en place comme rien d’autres. Les musiques anciennes, pour leur part, m’aident à mieux saisir la pérennité du génie humain et le vain sens du mot progrès en ce qui concerne l’humanité. Fébrile, le jazz soutient mon énergie et m’invite à garder l’esprit ouvert. En auto, pour de longs voyages, le country rend le paysage plus beau, plus vrai, et me rappelle, à cause des histoires invraisemblables qu’il raconte à propos de gens ordinaires, que chacun de nous peut-être un personnage à condition de se laisser découvrir. Les voyages facilitent ces découvertes. Et bien sûr, j’ai un faible pour la chanson en français, celle, intelligente, émouvante engagée, qui me fait mieux comprendre le monde dans lequel je vis. Bref, je vis de musiques et d’humains.

Zorrino

C’est pourquoi ma première rencontre avec Zorrino m’a tellement émue. En fait, il ne s’appelle pas vraiment Zorrino. C’est Loïc, son nom et il est le cinquième petit-fils de ma Loulou, le premier de sa fille cadette Sophie, la graphiste, et de son conjoint Pierre, l’homme des cavernes (il est spéléologue). C’était il y a deux semaines et le petit allait avoir un mois. Si petit me semblait-il, mais si fort déjà à essayer de se lever la tête à tout moment, si fort des poumons quand il a faim, si confortable dans nos bras où il se laisse volontiers aller, bienheureux et confiant.

Bien que totalement inexpérimentés et un peu inquiets, ses parents ont vite « pris le tour » avec le soutien bienveillant de ma douce au cours de la première semaine de vie du petit. Les Sophie et Pierre Les parents que j’ai rencontrés étaient si relaxes que Zorrino s’endormait sur le sein de la première et se laissait porter comme une poche repue sur l’épaule de l’autre. Comme la famille demeure à deux pas du splendide parc de la Visitation, Zorrino, euh pardon, Loïc fait quotidiennement de longues randonnées dont il revient fourbu comme le montre la photo.

Et voilà d’où lui vient ce surnom de Zorrino; de ce chapeau sud-américain qu’il porte si fièrement. Pour les incultes, sachez que Zorrino est un jeune amérindien Quechua qui joue un rôle primordial dans le sauvetage du professeur Tournesol dans Tintin et le temple du soleil. C’est d’ailleurs au cours de notre promenade du dimanche matin, dans le parc, que l’analogie s’est faite… à l’initiative de la mère, grande amatrice de bande dessinée.

La rando
Il pleuvait d’abondance ce dimanche, mais il n’était pas question pour Loulou et moi de rester enfermés. À la première accalmie, nous sommes partis vers la vallée de la Jacques-Cartier avec l’intention de grimper L’Éperon, une rando de 6,5 kilomètres.

Mais à cause de l’inactivité de la veille et parce que ma douce avait singulièrement manqué d’exercice tout au long de sa semaine au Nunavik (faut le faire sur le plus grand territoire vierge du Québec! Que voulez-vous travail oblige), nous avons finalement opté pour Les Loups et ses 10 kilomètres bien pentus. Quelle belle séance de défoulement, enfermés que nous étions dans la brume, sous une pluie tantôt fine, tantôt forte, mais toujours vivifiante. On s’est arrêté une fois rendu en haut, la tête complètement dans les nuages. Dommage, mais on n’a rien vu des couleurs magiques de la vallée, du moins d’en haut. Puis on est redescendu illico, à une vitesse surprenante compte tenu d’un genou plutôt enflé qui me tiraillait la jambe droite. Hé, misère!

Toutefois, vue d’en bas, la vallée, c’était pas mal…

Une fois rendu à la maison, on s’est coulé un bain chaud et on a mis le feu dans le poêle à bois. Comme on sortait de la forêt, on a décidé de se cuisiner un filet mignon de chevreuil avec des champignons et des frites maisons. Dans l’enthousiasme, on s’est un peu emporté avant de se rendre compte qu’il ne restait qu’un fond à notre deuxième bouteille de vin.

Faut dire que le duo saxo-piano de Lee Konitz et de Renato Sellani avec ses ballades jouées avec une grande intelligence et une totale détente, donnait un ton drôlement tendre à nos discussions. Bof, ce n’est pas tous les jours fête et le lendemain, on est allé s’entraîné… pas trop fort quand même.

À écouter de toute éternité
En cette journée de la musique, voici quelques albums que j’apporteais sans hésiter sur une île déserte, dussé-je y passer le reste de ma vie…

  • Les concertos italiens de Bach sous les doigts du très poétique pianiste Alexandre Tharaud; une musique d’une grande intériorité dont on ne se lasse jamais, peu importe l’heure du jour. (disque Harmonia Mundi)
  • La Messe en si mineur du même J.S Bach, dans la version de l’Akademie für Alte Musik de Berlin dirigée par René Jacobs, sur étiquette (Disque Berlin Classics). On peut être un foutu athée dans mon genre et être transportée par tant de grandeur. Rien à voir avec la religion.
  • A Love Supreme du compositeur et saxophoniste John Coltrane, qui est au jazz ce que la messe en si est au baroque, un monument. (Disque Impulse)
  • Sweet Old World d’Emmylou Harris pour du country folk de première grandeur grâce à la voix envoûtante de la dame et aux arrangements sophistiqués de Daniel Lanois (l’arrangeur de U2!)
  • Songs of Leonard Cohen et Live at Massey Hall 1971 de Neil Young (un concert en solo!)me semble être les deux plus grands disques de la chanson canadienne.
  • J’apporterais encore Tu m’aimes-tu? de Richard Desjardins. Une poésie aussi forte ne peut que transcender les décennies comme le fait pour Jaune de Jean-Pierrre Ferland depuis plus de 30 ans.
  • Enfin, hors catégorie, l’œuvre pour piano de Ludwig van Beethoven (avec le Russe Emil Gilels de préférence, Deutsche Grammophon) et toute celle, ou presque, des Beatles (Apple).

Bonne semaine!


Gilles Chaumel
Chronique du lundi 29 septembre 2008

lundi 8 septembre 2008

Du Guatemala à la toundra

«Mon oncle me disait: "Si une femme t'aimait, et si tu avais la présence d'esprit de mesurer l'étendue de ce privilège, aucune divinité ne t'arriverait à la cheville." »
-Yasmina Khadra, Ce que le jour doit à la nuit, éd. Julliard.

Un premier lundi de septembre magnifique, presque sans nuages. Un vent léger souffle juste assez fort pour nous faire sourire de bien-être, ma Loulou et moi. La météo prévoit un maximum de 23 degrés Celsius et à 9 h30, il est presque déjà atteint. Nous nous sommes levés à la première heure pour partir tôt et nous voilà au pied du Saguenay, à Anse-Saint-Jean, à nous apprêter à gravir la montagne Blanche, un des hauts sommets du Parc du Saguenay.

Il y a longtemps que ma douce rêve de cette ascension au sommet de laquelle on se retrouve dans… la toundra! En effet, le dessus de la montagne est constitué entièrement de pierres granitiques entre lesquelles poussent quelques arbrisseaux comme l’airelle rouge, la camarine noire et le bleuet. Après à peine deux heures d’ascension, nous nous sommes retrouvés au cœur de ce paysage si cher à ma douce, elle qui a habité longtemps le pays des Inuit. Outre l’ivresse de la montée le long d’un ruisseau se transformant en cascade dans les pentes les plus abruptes, outre le vent qui faisait bruisser joyeusement les feuilles des arbres sous un ciel bleu tacheté de quelques nuages d’un blanc immaculé, c’est la diversité botanique qui avait de quoi étonner. Partis dans une forêt tempérée où dominaient les érables, nous somme arrivées dans la toundra après avoir traversé un paysage mixte de feuillus et de conifère et finalement de taïga.

D’en haut, la vue sur le Saguenay n’est rien moins que spectaculaire, la montagne Blanche constituant l’un des sommets les plus élevés du fjord. Après quelques minutes d’extase visuelle, ma douce est vite revenue à des réalités totalement terre à terre en constatant la quantité phénoménale de graines rouges (les airelles) présentes. Elle a rapidement sorti un sac de plastique en m’ordonnant (presque) de ramasser avec elle le fruit si rare sous nos latitudes et qui fait une excellente confiture, plutôt sucrée mais avec une légère amertume.

Puis il a fallu redescendre. Au total, cette rando de 13 kilomètres aura duré à peine cinq heures, en comptant l’heure du dîner et de la cueillette. Elle est en grande forme, ma blonde!

Que ce soit en randonnée sur la montagne ou sur la mer, en kayak, au travail et au quotidien où, sans cesse, nous pensons à l’avenir de nos enfants, Loulou et moi sommes devenus des inséparables de l’amour et de la tendresse. C’est pourquoi, après 15 ans de vie commune, nous avons décidé de nous marier. Ça se fera chez nous, le 27 décembre prochain, en compagnie de nos enfants, de nos familles proches et de quelques amis.

La fugue de Dieu
Ben non, il ne s’agit pas ici d’une fugue du grand Jean-Sébastien Bach dédié à son père éternel. Le Dieu en question, c’est mon petit-fils Gédéon qui, à deux ans et demi, a décidé de partir seul en vélo pour une petite promenade. Résultat : il s’est ramassé dans une auto de police… au grand désarroi de ses parents! Voici l’incroyable histoire…

Par un beau matin, Gédéon s’amuse avec ses autos dans le salon pendant que sa mère, Rosemarie, allaite le petit dernier, Florent, dans la chambre. Christian, le père, est dehors, derrière la maison, à rafistoler la clôture. Connaissant l’esprit d’indépendance de leur fils aîné, les parents avaient eu la bonne idée de barrer la porte avant de la maison. Malheureusement, ce qu’ils ne savaient pas, c’est que Dieu a aussi appris à débarrer cette fichue porte.

Donc maman allaite tout en tendant l’oreille au bruit que fait Ged dans l’autre pièce. Tout d’un coup, elle prend conscience… du silence. Elle se rhabille vite fait et court vers le salon, son bébé dans les bras. Horreur, la porte est ouverte et Gédéon et son vélo ont disparu. Au même moment, Christian entre dans la maison. Rosemarie lui crie de Gédéon est sorti et le père part à toute vitesse derrière lui. Paniquée (on le serait à moins !) Rosemarie ne fait ni un ni deux et compose le 911 pour signaler la disparition de son fils.

Pendant ce temps, le petit, qui s’est rendu jusqu’au coin de la rue avec son vélo, est intercepté par une patrouille de police. Le voyant totalement seul, vêtu d’un gilet mais en couche, les deux policiers tentent de savoir d’où il vient. Mais Dieu demeure silencieux. La consigne en pareille circonstance, on amène l’enfant au bureau de la DPJ le plus proche…

Sans le savoir, Christian arrive sur les lieux quelques instants quelques secondes après le départ des policiers. Pendant ce temps, la standardiste du 911 rappelle Rosemarie pour lui dire que son fils est sain et sauf et qu’il se trouve à la DPJ. Tout n’aura été, au fond, qu’une question de minute, voire de secondes. Ouf direz-vous…

Ben non, pas si ouf que ça. Deux semaines avant cet événement affolant, Gédéon revenait d’un séjour chez nous avec sa mère et sa grand-mère, ma Loulou. En sortant de l’auto, il demande à sa mère les clés de la porte qu’il veut ouvrir lui-même. Armée de bagages, la mère passe outre et insère la clé dans la serrure. Colère de Gédéon qui se jette à terre et se frappe violemment la joue sur le marchepied. Le temps de le dire, une strie bleue-mauve lui barre le visage, strie dont on perçoit toujours la trace en ce matin fatidique de fugue. Alors, vous me voyez venir, les responsables de la DPJ n’allaient pas délivrer le petit sans d’abord poser quelques questions aux parents. Misère!

Bon, résumons en disant que tout s’est bien terminé et rapidement. Mais Christian et Rosemarie en sont encore secoués, eux qui, pourtant, comptent parmi les parents les plus dévoués et attentifs que j’ai connu en 56 ans de vie.

Et vous savez quoi? Depuis ces événements, chaque fois qu’il voit une patrouille, Gédéon dit : « encore aller dans l’auto de police! » P’tit criss!

Musique
Vous connaissez le slam, ce genre poétique vaguement dérivé du hip-hop et dont le représentant le plus connu est Grand corps malade? Eh oui, même avec un nom aussi idiot, le bonhomme offre une proposition poético musicale des plus passionnantes. Mais ce n’est pas de lui dont je veux vous causer, mais de Souleymane Diamanka, un Afro-européen originaire du peuple Peul (Sénégal notamment), dont la belle voix grave et drôlement séduite distille une poésie parlée d’une rare finesse sur un fond musical tout en langueur jazzé. Souleymane Diamanka a remporté le Prix Miroir de la chanson francophone lors de l’édition 2008 du Festival d’été de Québec pour un concert qui a unanimement séduit le jury. Le grand Noir a enregistré un disque magnifique que j’ai toujours à l’oreille dès que j’ai une seconde à consacrer à la musique. Ça s’appelle L’hiver peul et il y est question d’amour, de négritude, d’écritures, de souffrance et d’espoir. Écoutez les très sensuelles Muse amoureuse et Marchand de cendres, Le chagrin des anges qui cause sur l’abandon des enfants qui deviennent violents (Après avoir gagné les parties d’échecs-scolaires/chacun tourne le dos à son avenir) ou le duo formidable d’invention avec Grand corps malade justement (...et j’écris sur la haine pour trouver son vaccin).

P. S. Ah oui, pourquoi ce titre Du Guatemala à la toundra? C’est simple. Arrivé au sommet, nous avons sorti le lunch dans lequel il y avait une banane avec sa petite étiquette collante. Il y était inscrit : Produit du Guatemala.

Gilles Chaumel
Le lundi 08 septembre 2008