lundi 21 décembre 2020

2020 m'a bercé



Je vis par la musique. La mélomanie, je veux dire, parce que pour ce qui est de la pratique, je laisse ça à mes fistons qui ont le talent, eux. Moi, j’écoute et je vibre de tous mes atomes. Depuis toujours, à ce que je me souvienne. Toujours préféré les musiques lentes, une sorte d’adagiomanie qui me réconforte, la tristesse en musique me rassure me fait du bien. C’est cette préférence qui me fait aussi apprécier les musiques plus tordues et libre comme le free jazz, par exemple, comme la musique socialement engagée, mais ça c’est autre chose.

 




2020 plus que toute autre année a été propice à l’écoute musicale, confinés que nous fûmes de longs moments de l’année. L’un des albums qui albums qui a le plus marqué mon début d’année s’intitule Feuilles nocturnes. C’est du meilleur piano de Frédéric Chopin ( interprété par Evgeni Koriolov, le même qui a enregistré ces Bach d’anthologie : L’Art de la fugue (Tacet 13) et les Variations Goldberg (Hänssler Edition 112). Ce Chopin-ci a été soigneusement pensé comme une longue rêverie onirique. C’est tout plein d’une intense douceur, de tendres emportements, d’émotion délicate, de sourires bienveillants, de bienfaisante mélancolie. Si c’est excellent pour entretenir les insomnuits, c’est aussi magique au réveil que ça l’est, avec un Grand Marnier après le souper. C’est une musique qui brille au soleil et irradie sous la lune

 




Pour rester en l’esprit, en y ajoutant des couleurs et une forme de modernité, il y a eu le Debussy - Rameau du jeune (36 ans quand même) Islandais Vikingur Olafsson. Sérieux, un nom comme ça, ça ne s’invente pas! Mais bon. Après d’impressionnants albums de piano consacrés Philip Glass et Jean-Sébastien, voilà qu’il consacre un enregistrement à deux novateurs français, Jean-Philippe Rameau (1683-1764) dont les œuvres pour clavecin comptent parmi les plus expressives du 18 siècle et la musique pour piano de Claude Debussy (1862-1918). Il y a ici une sorte de sorcellerie à nous faire croire que ces musiciens sont frères d’âme, des coloristes nés. À cet égard, la pochette du disque est révélatrice à plus d’un titre, le pianiste pratiquant aussi la peinture. Coup de cœur assuré. Il n’est pas une semaine que j’y revienne depuis des mois. (Deutsche Grammophon 483 8283)

 

Ça sonne ainsi : https://www.youtube.com/watch?v=wChgk4qq3Kc

 




Ludwig fête ses 250 ans et, pour l’occasion, l’excellent Quatuor Ébène a fait le tour des cinq continents de la planète pour nous offrir l’intégralité des 16 quatuors du maître. Les grandes versions de ces œuvres, celles Berg et des Prazak entre autres, ne manquent pas. Pourtant, celle-ci m’a particulièrement fait vibrer, non seulement par la cohésion et l’engagement de l’ensemble, mais surtout par son intensité et l’émotion vive qui s’en dégage. De cette somme, je retiens particulièrement le 14e en do # mineur, op.131, de loin mon préféré, avec ses longs et riches mouvements lents qui te chavire le cœur à tout moment. Pour en connaître plus sur cette aventure qui s’échelonne sur 6 sans, il y a ce papier du journal Le Monde.      

 

 



Si le Kronos Quartet, ce quatuor à cordes américain qui se « spécialise » dans les musiques de genres différents  de continents différents et d’époques plus ou moins anciennes, il s’intéresse aussi aux folk songs de sa contrée d’origine. Après un fort bel album intitulé Folks Songs sorti chez Nonesuch en 2017, qui réunit quelques grandes artistes chanteuses (Olivia Chaney, Rhiannon Giddens, Natalie Merchant, et un gars, Sam Amidon), le Kronos Quartet célèbre, cette année, l’œuvre d’un grand maître du genre, musicologue, compositeur engagé, un passeur unique, Pete Seeger.  Intitulé Long Time Passing, réunit une multitudes de chanteurs et choristes autour d’œuvre qui ont imprégnées les cultures nord-américaines à plus d’un titre :  Turn, Turn, TurnWe Shall Overcome;  If I Had a HammerWhere Have All the Flowers Gone? pour n’en nommer que quelques-unes. C’est beau, riche et varié.

 

Pour comprendre de quoi il retourne, faut écouter cette version de Where Have All the Flowers Gone!

 



Le californien Ben Harper a fait de tout pas mal amalgamé au cours de sa carrière; blues, gospel, reggae, rock, funk avec, entre autres, The Innocent Criminals. En ce temps pandémique, il est revenu à ses sources, le folk. Ses grands-parents avaient fondé, dans les années 1950, un magasin de musique, The Music Center and Museum. Ses parents sa mère surtout est une folksinger accomplie. Il a été élevé dans un mode de guitares acoustiques, de banjos  et s’est entiché de la Weissenborn dont il a fait son instrument de prédilection. Son Winter Is for Lovers  est un album de guitare solo, 15 titres comme autant de villes autour du monde, un voyage musical envoûtant de 35 minutes et quelque d’invention et de rêveries sur « lap steel guitar ». Un beau voyage d’hiver.

 



Côté jazz, je suis toujours épaté par la richesse de la scène londonienne avec toutes ces musiques métissées d’influences tant caribéennes et africaines qu’américaines. Le ténor et leader Shabaka Hutchings est particulièrement actif et créatif, tant avec ses Sons of Kemet qu’avec ses Ancestors sud-africains avec qui il a fait paraître le « messianique » We Are Sent Here By historyCet album magistral dont le magazine Pitchwork offre un brillant compte, se veut comme une prémonition à notre avenir assise sur une réflexion sur le passé. Les rythmes sont fous, la poésie écrite et scandée par Siyambonga Nthembu est puissante, le jeu de Shabaka tant au saxo ténor qu’à la clarinette est souvent saisissant. C’est à la fois incantatoire et dansant; la vie quoi!

 



Le confinement a, bien sûr, chamboulé la vie de tous et des musiciens en particulier. Pour certains, l’influence a été si notable qu’ils en ont fait une œuvre, comme le pianiste Brad Mehldau, qui a sorti cet album unique qui s’intituleSuite : April 2020, une série de mouvements comme autant de réflexions sur une journée au temps de la covid. Impressionnant comme exercice! Un de mes albums favoris de l’année. Il y a dans cette prestation, comme une bienveillance, une intériorité qui fait du bien. Le jazz est partout dans tous les aspects de la vie et Brad Mehldau est un des plus importants pianistes et compositeurs vivants.

 




Le dernier et non le moindre, le grand maître de la poésie contemporaine en chanson, Bob Dylan, a publié une sorte de somme de son époque, des années 1960 à aujourd’hui, Rough and Rowdy Ways. Foin de poésie ici, mais un regard pragmatique et inquiet sur le passé récent et l’avenir de son Amérique. L’album culmine avec Murder Most foul, une longue chanson, une litanie musicale, où il raconte que le meurtre de John F. Kennedy marque le début du déclin inexorable de son pays. 

 

Dans une entrevue au journaliste Douglas Brinkley du New York Times, il confie, clairement et sans métaphores pour une fois, sa réflexion et ses appréhensions. Cet album, riche des musiques qu’il a affectionné et pratiqué toute sa vie durant, peut être vue comme une sorte de testament. Album essentiel s’il en est…  

mercredi 18 novembre 2020

What's up, docteur?



 

Tout à coup, nous sommes trois dans une clairière lumineuse. Mon ex, l'inconnu sans visage, cette ombre qui hante régulièrement mes rêves, et moi. À l'orée de la clairière, il y a un bois et au centre, un ouverture rocheuse qui permet d'accéder au ruisseau en contrebas. Nous (je) décidons d'y descendre avec notre canot , de nous y installer pour rejoindre la rivière Saint-Charles qui nous amènera à Québec. 

L'inconnu, l'ombre, a disparu. L'ex s'installe à l'avant et je pousse le canot à travers les roches jusqu'à atteindre un plat d'eau qui nous permet de pagayer. Après un temps indéfini à naviguer,  protégé par la canopée, nous arrivons à la rivière que me semble plus large que prévue. Et là, par où descendre? Il n'y a pas de courant; on dirait un lac. Sans se poser de question, sans parler, (aucun mot n'est dit depuis le début de l'aventure), nous nous remettons à pagayer jusqu'à arriver en ville, à l'école primaire Jacques-Cartier que j'ai fréquenté, enfant (cette école a laissé place à un hlm il y a 40 ans). Nous montons au cinquième étage, dans un classe vide dont les fenêtres donnent sur le dessus des érables de la rue et la vue, sur le clocher de l'église en biais. 

Pour la première fois, l'ex parle : j'aimerais que tu me ramènes chez ma mère. J'acquiesce. Au moment de partir, mon patron, le directeur des communications (que fait-il ici, lui, cette école est vide) entre et me demande de rédiger un communiqué de presse pour le ministre. Il n'en connaît pas le sujet mais dit que, comme d'habitude, je vais m'en tirer. Je n'ai aucune intention de faire ce communiqué. Profitant qu'il jase avec un collègue, on se faufile vers l'escalier où des gens commencent à monter et à circuler sur les étages.

Au tournant du dernier étage avant la sortie, un avorton bossu avec les lunettes croches, puant la cigarette, me lance une vacherie que je ne comprends mais qui a une odeur de mépris. Ce n'est pas le temps de répliquer et nous sortons pour aller prendre d'auto. Clés oubliées, évidemment. Nous devons remonter. Au deuxième étage, à la porte d'une classe devant laquelle circulent des gens, l'avorton discute méchamment, avec force rictus, avec une laideronne fausse blonde et gueule croche. Tout un chacun les contournent avec une espèce de dédain. C'est le moment de me venger. Passant derrière lui, je lui fauche les jambes d'un croc-en-jambe arrière et v'là l'avorton su'l cul. Rire général.

Il se relève, grandi, athlétique, avec une balafre sanglante à la joue. C'est le fils de l'ex, mon fils.  


dimanche 5 avril 2020

S’enfleuvir inexorablement


Rorqual bleu, Grandes-Bergeronnes .
(Photo Louise Séguin)
Je m'enfleuvis. De plus en plus, tellement que parfois, j'ai des idées de mer, d'océan, totalement fasciné par ces immensités aqueuses, tantôt miroirs, tantôt d'une folie titanesque. J'ai toujours adoré le sillonner, ce fleuve. Par tous les moyens: canot, kayak, voilier, traversiers. De Sorel à Gaspé, de Saint-Ignace-de Loyola à Harrington Harbor. Ou alors à le border, de ses rives, en auto, en campant sur ses plages : Tadoussac, Kamouraska, Grandes-Bergeronnes, Pointe-aux-Pères, Île-aux-Œufs, Saint-Anne-des-Monts, Baie Trinité, Percé, Mingan, Havre-Saint-Pierre, Forillon, et j’en passe.

Deux lieux privilégiés,  la haute Côte-Nord, entre Tadou et Les Escoumins, et le Kamouraska jusqu'aux Trois-Pistiles, dans le Bas-du-Fleuve, qui sont nos lieux de fréquentation annuels pour communier avec la faune marine, phoques, bélugas, rorquals, eiders, macreuses, et celle, ailée, des rives, pluviers, chevaliers, hérons, oies, canards, rapaces de toutes sortes. 





Ça fait des décennies que ça a débuté quand, tout petit, à Québec, mon père m'amenait au "bateau de Lévis" comme on appelait alors le traversier. C’était, pour moi un voyage. D’abord de prendre le bus no.1, coin Dorchester et Charest, pour se rendre à cette Place Royale qui n’existait pas encore, loin de là. Il y avait le quai d’embarquement avec son grand resto avec vue sur le fleuve, où l’on prenait une crème glacée avant de s’embarquer sur le quai flottant où s’amarrait le bateau, s’adaptant ainsi aux marées. Pour .25 cents $ par adulte et gratos pour les enfants, on pouvait faire l'aller-retour tout l'après-midi sur le d’Iberville ou le Radisson. Ce plaisir d’être sur la passerelle, ou la terrasse avant, par grand soleil et vents légers, cernés de toute part par les goélands, si nombreux dans mon souvenir, contournant tantôt un rare voilier ou un cargo transatlantique crachant sa fumée noire de charbon. Et, bien sûr, la vue de carte postale sur Québec et son château Frontenac qui font toujours le même effet de grandeur inexpugnable.





Le fleuve, ça a aussi été, à l’adolescence, la pêche à l’éperlan de nuit, dans le bassin Louise, en ville d’abord, puis, parfois, à Pointe-aux-Pic pour une nuit de pêche aux vers et aux fanaux. C’est avec Denis Jodoin que je me suis initié à sa navigation en kayak, à la baie de Cap-Rouge. Depuis, et de longue années durant, Loulou et moi l’avons sillonné du lac Saint-Pierre à l’archipel des Îles-de-Mingan, rive nord, comme rive sud, parfois entourés de bélugas, de baleines, de phoques, ou de carpes géantes et d’oiseaux de mers fantastiques, macreuses, cormorans, eiders « stroboscopiques » à duvet, fous de bassan, mouettes de toutes sortes, comme les goélands d’ailleurs.





Puis, de Stoneham, Louise et moi sommes descendus à Neuville, pour le voir tous les jours, été comme hiver, pour l’habiter toujours. C’est Loulou qui a insisté, et je lui en vouerai une éternelle reconnaissance. (En fait, je lui vouerai une éternelle reconnaissance pour tout, mais ça, c’est une autre histoire.)
De plus en plus, je m’identifie à ce fleuve, je le côtoie tous les jours, chez nous, je le photographie souvent, en toute saison pour le garder en mémoire, même lorsque je l’aurai perdue…

Bref, si je manque de mots pour continuer, je ne manque toutefois pas d'images prises au cours des dernières années!





jeudi 26 mars 2020

216, Arago Est, (5) La Côte-de-la-Négresse

Photo: archives de la ville de Québec.

Autant le dire tout de suite, la Côte-de-la-Négresse n'a jamais existé ailleurs que dans l'imagination d'une ou deux générations qui la voisinait, coin Arago est, dans le quartier Saint-Roch de Québec. Elle existait cependant totalement dans la mienne qui n'ai vraiment appris son vrai nom que lorsque j'ai su lire. Sur l'affiche, c'était écrit, et ça l'est toujours, Côte-Badelard.

Aujourd'hui piétonnière, luxuriante tout l'été, elle s'affiche quasiment comme un parc où la circulation automobile est interdite (à moins que ça n'ait changé dernièrement). C'est un magnifique lieu urbain qui relie la basse et la haute-ville, au milieu duquel trône un imposant escalier de bois qui semble exister depuis la nuit des temps et qui est constamment rénové.

Quand j'étais petit, les années 1950, la côte n'était fermée que l'hiver et devenait, pour les ti-culs, notre terrain de jeu hivernal.  Avec les Bérubé, Drolet, Marcoux, Lagacé, on était quelques dizaines à la dévaler à nos risques et périls. La côte avec son virage quasiment à 180 degrés, était un vrai défi pour nos traineaux et nos traînes sauvages, enfin pour les pilotes en herbe que nous étions. En effet, le muret de ciment qui bordait le virage n'avait pas un mètre de haut. En hiver, ce mètre disparaissait sous la neige et le danger était réel de le franchir et de débouler dans le cap jusqu'aux maisons en contrebas. Si c'était haut? Pas mal plus haut que les maisons à deux ou trois étages où l'on risquait de plonger au fond des cours. Faque, on montait l'escalier qui était notre téléférique et on déboulait jusqu'en bas.

Photo Louis Lanouette : archives de la ville de Québec.

D'ailleurs, plié à 90 degrés, le mur se prolongeait tout le long de la côte. Et nous, été comme hiver on marchait dessus sans vergogne au mépris du danger. Me souviens pas que quiconque s'y soit sérieusement cassé la gueule...

-M'man, Coco pis moé, on s'en va glisser dans côte da Négresse.

Tout le monde l'appelait comme ça, sans poser de question. Alors quand j'ai su suffisamment lire pour comprendre l'affiche toponymique, j'ai demandé à ma mère...

- C'est quoi, ça, la côte Badelard?
- Ben, c'est là où t'es toujours fourré pour jouer.
- Ben non, ça c'est la côte da Négresse...
- Ouais, bon... y aurait eu une négresse qui aurait resté dans maison ousque vit ton ami Denis   Morissette aujourd'hui.
- ...
Je n'ai pas été long à aller raconter à mes amis cette histoire. Ça a l'air qui avait juste moi pis mes 6 ans qui ne savaient pas qu'une dame noire aurait vendu ses charmes en ce lieu en des temps si immémoriaux et imprécis qu'on n'en savait pas plus. Sur le coup, je n'ai bien sûr rien compris à cette explication. C'était devenu, dans l'esprit populaire et dans le mien, la Côte-de-la-Négresse où, ado, j'allais fumer un joint avec mon frère et un peu, si peu, jouer timidement avec les seins d'une voisine...

En tout cas, cette mystérieuse dame n'était pas la maîtresse de mon grand-père Beaulieu. Celle de qui ma mère et sa soeur Yolande avait réglé le cas quand elles ont eu vent de la chose. Mais ça, c'est une autre histoire...


Un peu d'histoire à propos de la Côte Badelard, voir Mon Saint-Roch




lundi 2 mars 2020

MONK!




Dans l’histoire de la musique, aucun pianiste ne ressemble à Thelonious « Sphere » Monk. Je ne parle pas de son physique, quoi que…, mais de son jeu, de sa technique. Né en Caroline du Nord mais arrivé très jeune à New York, il prendra d’abord des cours de piano classique (ses deux parents jouaient du piano, ça incite). Mais il préférera de loin le swing stride des leçons d’Alberta Simmons et celui des musiques d’église auxquelles il participe en accompagnant sa mère jusque vers sa vingtième année.

Sa technique, à Thelonious, est totalement inorthodoxe. Doigts allongés, raides, il frappe le clavier comme s’il avait des maillets de vibraphones dans les mains. Il n’aime rien moins que le swing et même ses ballades, lorsqu’il en joue, s’en ressentent. Pas un romantique, Melodious. Cette dévotion au swing hérité du blues et de la musique d’église, il en fera son pain et son beurre tant que la folie ne le cloîtra pas dans un mutisme absolu. Thelonious Sphere Monk est et, au fond, a toujours été un musicien de jazz. L’improvisation le définit. S’il a toujours dit n’avoir subi aucune influence, ni même celle des Charlie Parker et Dizzie Gillespie ses contemporains, ou de Duke Ellington qu’il admire profondément, il n’aurait jamais, jamais connu la carrière et la renommée qui fut la sienne sans les femmes de sa vie : sa mère Barbara, sa femme Nellie (une vraie sainte!!) et la baronne Kathleen Annie Pannonica de Koenigswarter, riche héritière de la branche anglaise de la famille Rothschild.

C’est sur cette relation des plus étonnante que repose le magnifique roman graphique de Youssef Daooudi, MONK!, Thelonious, Pannocica… une amitié, une révolution musicale,* publié aux Éditions Martin de Halleux.

La baronne est, bien sûr, un personnage excentrique, à l’image de son oncle Walter qui ramenait toutes sortes d’animaux exotiques qu’il installait dans son jardin, et de son père, entomologiste un peu fou, qui parcourait le monde à la recherche de papillon rares dont l’eublemma pannonica… d’où le prénom de la baronne.

La bd, toute en or et noir... et blanc (mais le blanc, comme chacun sait, n’est pas une couleur) débute par la fin, alors que Monk, complètement hors de ses pompes et ne jouant de piano depuis plusieurs années déjà, finit ses jours chez la baronne, avec la complicité de sa femme Nellie. On fait connaissance avec la baronne qui se raconte à Thelonious. Puis on tombe dans le New York des années 1920 où s’installe la famille Monk et où grandit le jeune Thelonious au milieu de la fureur musicale qui s’empare de la ville, fin des années trente. Et c’est parti : ça danse, ça swing, joue du saxo, du piano, de la basse de la trompette, de la batterie, ça raconte des amitiés de musiciens avec les Charlie, Parker d’abord, Rouse ensuite, ce ténor qui sera sa voix durant 10 ans, avant de le quitter épuisé par la folie qui s’empare de plus en plus de Monk. Ça boit et ça se drogue itou, tout y est.




Tout au long, l’histoire est raconté de façon non linéaire, par compositions interposées ou par interventions ponctuelles de la baronne dans la vie des jazzmen et surtout de Thelonious. C’est une bd fabuleusement musicale où l’on reconnait une tonne de boppers (Mary Lou, Duke, Dizzie, Sonny Rollins, James P. Johson, et tant d'autres), l’appartement des Monk où le piano déborde dans la cuisine, où l’on sent la présence forte de Nellie qui s’accommode fort bien du soutien de la baronne dans leur vie. Parce que, voyez-vous, vivre avec un personnage dont les troubles bipolaires ne font que s’accentuer, n’est pas de tout repos. Sans Nellie, Monk n'aurait même pas survécu au quotidien.

L’album aurait tout aussi bien s’appeler Pannonica, tant le rôle et la vie de cette femme d’exception, prennent de place dans la bd et l'univers de Monk. Quoi?! Une femme blanche qui reçoit, voire entretient (?), des musiciens noirs dans des hôtels chics de NY, qui accueille un Charlie Parker dépenaillé qui ne trouve rien de mieux que de venir mourir chez elle. Pis, elle y abrite des dizaines de chats!!! Intolérable!!!! Pas besoin de dire qu’elle n'avait que faire des qu'en dira0t0on et qu'elle a dû déménager souvent!!! 



Cette bd grouille de vie, de rythmes, de musiques bop qui swinguent, des musiques que l’on voit, que l’on sent comme si on les entendait. On le lit, ce livre, en claquant des doigts sur Rythm-A-Ning, Well,You Needn’t, Monk’s Dream, et les ballades chaloupantes, Crepuscule with Nellie, Pannonica, Ruby My Dear





Merci Youssef! Au fait qui est ce Youssef Daoudi qui connait si bien son Monk? Ben, je dirais un personnage peut-être aussi étonnant que Thelonious. Si j’ai bien compris, cette bd est traduite de l’américain, son auteur est un Marocain qui a étudié en ex-URSS avant de devenir publiciste et se mettre au dessin qu’il affectionne depuis son enfance. Viendra la série Maday (sur l’aviation commerciale), participe à la série Nestor Burma de Léo Malet inaugurée par Tardi. Bref, c’est un vrai. Mais voilà, un Marocain, quand ça ne parle pas arabe ou berbère, ça cause français, non? Pas tant semble-t-il… Jeune Afrique en a fait un portait intéressant en 2009 qui fait état de son parcours jusqu’à cette date.

Alors, on comprend que la bd serait d’abord parue en anglais sous le titre de Monk!: Thelonious Pannonica, and the Friendship Behind a Musical Revolution by Youssef Daoudi (First Second), et qu’il a remporté le prix d’excellence du Pope Culture Classroom pour son œuvre.

En français, la critique est dithyrambique comme on peut le voir sur la page de l’éditeur…

Je dois à Simon Veilleux, un fan de Monk de Québec, d'avoir porté ce livre à mon attention. Je l'en remercie chaleureusement. 

Et, après cette lecture vous voulez entendre la musique de Thelonious Monk, je vous suggère deux titres de sa pléthorique production :

Monk’s Dream, disque Columbia



Thelonious Himself, Disque Prestige Riverside