jeudi 31 mai 2012

216, Arago Est, Thibault (3)


La côte Badelard qui mène de la rue Lavigueur à la rue Arago (en descendant)
Photo : Ludovica
Au début, je pensais que mon chum Thibault n’avait pas de mère. Pourtant, il semblait quand même y avoir une femme dans la maison. Il l’appelait « la bonne femme chez nous ». C’est elle qui lavait son linge, préparait ses repas et ses lunchs, roulait ses cigarettes parce qu’il fumait. C’est elle aussi qui le réveillait pour aller à l’école. Bref, elle faisait tout ce qu’une mère faisait dans le temps. Ça fait qu’une bonne fois, en marchant sur la rue pour aller nulle part comme on faisait souvent, j’ai fini par lui demander : c’est qui la bonne femme chez vous? 

Il m’a regardé de travers, comme s’il n’avait pas vraiment compris le sens de ma question, comme si j’étais un peu demeuré quoi, pis y m’a dit : ben c’est ma mère, voyons. J’ai rien répondu et j’ai rapidement changé de sujet. Il ne me serait jamais venu à l’idée d’appeler la mienne comme lui appelait la sienne. J’ai rencontré Thibault en 9e année. Il avait les cheveux longs presque roux et vaguant, une veste à carreau bleue et noire avec ROLLING STONES écrit dans le dos avec du tape blanc. C’était comme ça dans le temps. La mienne était rouge et noir et j’en ai aussi eu une jaune et noir. Ça fessait dans l’dash… Mais je n’ai jamais été capable de me coller un BEATLES qui avait de l’allure. Une fois, j’avais presque réussi et ma mère a mis la chemise au lavage… À l’époque, t’avais un choix, où tu étais Beatles, ou tu étais Rolling Stones. Moi, j’adorais (et c’est toujours le cas) les Beatles mais j’aimais aussi le côté voyou des Stones.

Thibault, je l’ai rencontré en 9e année à l’école Cardinal-Roy. Mais ce n’est qu’en 12e (secondaire V) qu’on a commencé à se tenir ensemble régulièrement. Il était bon à l’école et moi, j’étais tanné de faire du sport. Ça tombait bien, lui détestait ça. Pis qu’il soit bon en maths ne pouvait que m’aider, me disais-je. Je me trompais, j’étais nul et le suis resté malgré son aide. Par contre, j’ai découvert un vrai philosophe en lui, un peu sophiste et raciste sur les bords, du genre qui disait que tous les Noirs se ressemblaient. Fallait rester à Québec la blanche pour dire un truc de même. Moi je savais bien que c’était faux, j’étais un fan de baseball et je reconnaissais tous les joueurs sur les cartes que je collectionnais, peu importent leur couleur.

Mais je laissais dire, il était divertissant avec ses échafaudages intellectuels, lui qui venait du quartier ouvrier de Saint-Malo, dont le père, peintre en bâtiment, avait toujours rêvé d’être artiste-peintre. Ça doit être pour ça, qu’après le travail, le « bonhomme » se rendait régulièrement au bureau avant de rentrer à la maison. Ça aussi, j’ai mais du temps à le comprendre. Comment un peintre pouvait-il avoir un bureau? J’ai compris quand nous l’avons rencontré un soir, titubant, à la sortie de la taverne chez Ti-Mé. C’était là son bureau et cette fois-là, il avait essayé d’égaler le barman de la place qui prenait régulièrement ses 50 draughts par jour.

Bref, son métier lui pesait, d’autant plus qu’il devait compter sur de longs mois d’assurance-chômage pour subvenir aux besoins de sa femme et de ses quatre enfants. C’est lui aussi qui, chaque année, descendait la statue du christ qui trônait au-dessus de la porte du salon pour en repeindre les différentes parties du corps. Hilarant de le voir refaire les yeux en râlant «  Tu me donnes d’la marde, mon ostie de tabarnac… »
La côte Aqueduc qui au bas de laquelle résidait Thibault dans sa jeunesse.
Photo : Ludovica
Thibault, André de son prénom, était à l’image de son bonhomme, de son voisin Tibi Leblond et de leur ami commun, le ramoneur des pauvres, Ti-Dré Godbout. Il était gauchiste, tendance communiste. Pour résumer, disons que le Tibi s’appelait en réalité Adjutor et qu’il avait quitté sa terre de sa région de Beaumont pour gagner sa vie comme assisté social en ville. Le pauvre prenait Marx à témoin pour justifier son incapacité totale à s’adapter à la vie urbaine. Son inactivité physique l’a rapidement rendu obèse. C’était pourtant un chic type avec il faisait bon discuter, mais que le chômage chronique a tué.

C’est sur la télé noir et blanc de ce Tibi que nous avons vu les premières images de la Crise d’octobre 1970 et pas besoin de vous faire de dessin pour que vous compreniez de quel bord de la clôture nous étions. C’est de là, et du cégep de Limoilou que nous commencions à fréquenter alors, que nous avons suivi et commentés les événements…

Ti-Dré Godbout, lui, c’était un véritable personnage représentatif de la classe ouvrière… du 19e siècle. Même dans les années 1970, il ne restait plus grand chose à ramoner dans le quartier. Mais Luc-André, tous les jours, été comme hiver, sortait sa voiture à deux roues ornée de tout le matériel de ramonage qu’il trimbalait de par les rues à la recherche d’une cheminée à nettoyer, de quelqu’un à aider. S’adressait à qui voulait l’entendre pour dénoncer les têtes vertes (les étudiants), les têtes chromées (les riches capitalistes). Surtout, il dénonçait quiconque se moquait des pauvres. Enfin, il avait développé un fascinant vocabulaire pour décrire les différentes parties du corps féminin  que rigoureusement ma mère m’interdit de nommer ici.

Alors, c’est avec ce Thibault là, qu’à partir de la rue Arago, nous montions au Café Buade de la rue du même nom, pour prendre un café et jaser des heures durant de Kierkegaard, Sartre, Marx, Hegel, Marcuse, Teilhard de Chardin et Edgar Morin… entre autres. Le vendredi, lorsque nous avions un peu d’argent de poche, on s’essayait à la taverne du Château Champlain où l’on trouve maintenant… l’Auberivière! Que d’aventures y avons-nous vécus avec l’ami Maheux et d’autres poivrots du lieu.
Au cours de ces années, nous avons aussi visité le chic bar de feu l’hôtel Saint-Roch et ses péripatéticiennes, les bars minables de la rue Saint-Joseph d’alors : le Charivari, le Damier rose et même le Bal Tabarin de la rue de la Couronne! 

Mais peu importe l’endroit, toutes nos discussions se terminaient ne causant des filles, celles que nous fréquentions à l’occasion et surtout celles que nous aurions aimé connaître de plus près.
Et si, par hasard, l’un d’entre nous avait la chance de rencontrer une dulcinée, nous rencontres hebdomadaires se distançaient d’elles-mêmes. On s’est suivi comme ça jusqu’à l’Université Laval. Là, nous avions trop d’intérêts divergents et trop peu de temps à y consacrer, lui en philo, moi en histoire, pour continuer à nous côtoyer.  Pour être honnête, son énorme égo égocentrique commençait à me taper sérieusement sur les nerfs…

Bon, on s’est revu plus tard, à nos mariages respectifs. Mais ça, c’est une autre histoire.

Kayak

Depuis le début du printemps, et même tout l’hiver (à l’intérieur), c’est le vélo qui a retenu qui a requis l’essentiel de mon énergie physique. Mais comment mettre de côté de le kayak de mer lorsque pratiqué comme ce le fut il y a quelques semaines avec les amis Denis (Jodoin) et Michel (Lamoureux). Une magnifique sortie de plus de 25 km qui nous a mené de Cap-Santé à la Pointe-Platon puis le long de la falaise qui nous mène presqu’à Leclercville avant de revenir à notre point de départ via Portneuf. Si le long des falaises, ce sont les les aigles dorés qui nous ont accompagnés, entre Portneuf et Cap-Santé, ce sont les oies blanches et les bernaches qui nous entouraient. Si elles sont difficiles à voir sur la vidéo, on  les entend clairement!!! Merci les gars…

Anne Ducros

Purple Songs n’est pas une nouveauté. Même que l’album date de 2001 et qu’il obtenait cette année là un Victoire de la musique dans la catégorie jazz. Anne Ducros a une voix somptueuse et le style d’un vraie chanteuse de jazz, elle qui a pourtant été formée originellement au chant classique et baroque. Mais avec cet album qui réunit Gordon Beck au piano, Didier Lockwood au violon, Sal La Rocca à la contrebasse et Bruno Castellucci aux percussions, la dame a réalisé ce qui demeure pour moi un des plus beaux albums de jazz vocal que j’aie entendu. À écouter prioritairement : You Must Believe In Spring et In the Wee Hours of the Morning. (Disque Dreyfus)

Élisabeth Kontomanou et Geri Allen


Il y a deux ans, la chanteuse française Élisabeth Kontomanou (née d’un père guinéen et d’une mère grecque(!), était invitée par le FIJM à donner un concert à la maison du jazz de la rue Saint-Catherine en compagnie de la merveilleuse pianiste et compositrice Geri Allen. Les deux femmes se sont rencontrées pour la première fois à 16 h. le jour du concert qui commençait à 20 h. Bien sûr, ce ne fut pas parfait, mais on a entendu ce soir-là deux grandes voix et quelques moments magiques.

Alors, ne voilà t’y pas que la maison Out Note (française, évidemment, avec un nom semblable), vient d’enregistrer les deux dames sur un album intitulé Secret of the Wind, qui propose des musiques intimistes hautement inspirées, notamment les quelques Negro Spirituals (Sometimes I Feel Like a Motherless Child, Were You There notamment), et des chansons plus directement associées au jazz comme Nature Boy.

Et dire que les deux dames seront de nouveau réunies à Montréal le 8 septembre prochain (2012), toujours à la Maison du jazz!!!

mardi 8 mai 2012

Jeux de chat



Max est fru. Il pleut et ça l’emmerde royalement d’être mouillé. Il sort et rentre au bout de quelques secondes. Que je ne m’avise surtout pas de fermer la porte moustiquaire, elle risque d’en manger une maudite…

Bon, ça y est, il a apprivoisé la pluie. Ça fait 20 minutes que le vois courir sur l’herbe, grimper aux arbres, se cacher sous la plateforme de la cour, essayer de voler comme les oiseaux qu’il veut attraper et tiens, attraper une musaraigne. L’écoeurant, il ne la bouffe pas, il se contente de jongler avec, jeu en noir et gris sur fond vert… avec un ti peu de sang rouge qui, finalement, tache le poil gris…

Et je ne sais pas si des mésanges ont un nid tout près, mais lorsqu’il se présente sous la mangeoire des oiseaux, elles sont quelques-unes à venir lui raser les oreilles pour qu’il déguerpisse. Pour l’instant, il est un peu circonspect sur l’action à prendre. Moi, je le suis moins : « Max, déguerpit! » et je lui lance un ballon à la tête qui le fait fuir… momentanément.

Je rentre et il fait de même. M’assois à mon clavier, il me grimpe sur les cuisses. Puis sur les épaules où il va se coucher, comme d’habitude. Il ronronne et je ploie du cou. À trois mois, c’était rigolo, maintenant je risque le lumbago. Si ça m’arrive, faudra que je demande à madame Chose quoi faire…Y en n’aura pas de facile.

Ça fait quelques semaines que ce chat a la permission d’aller jouer dehors et déjà, il étend son territoire jusqu’à des endroits insoupçonnés. On lui a mis un collier avec une médaille portant son nom et notre no de téléphone. Mais comme il ne sait pas lire, il ne pourra faire grand-chose avec. S’il se fait écraser par une auto, la médaille servira sans doute à la police pour nous aviser de sa mort. La police aime ça quand il y a du sang, parlez-en aux étudiants!

Une des activités préférées de Max est d’aller trouver les enfants dans la cour d’école jouxtant la maison, à l’heure de la récréation. Aussitôt qu’il arrive, une douzaine d’enfants l’entourent et il se frotte sur les jambes des uns et des autres, se laisse caresser aussi. Hier, alors que je ramassais des feuilles sur le terrain, j’ai bien vu le manège qui se déroulait tout près de la clôture… Je suis allé voir Max pour lui demander ce qu’il faisait là et il est retraversé me rejoindre.

J’ai jasé avec les enfants, gars et filles d’une dizaines d’années, tous et toutes plus gentils les uns que les autres. Je leur ai juste demandé de ne pas le prendre, parce que tout affectueux qu’il soit, il n’est pas patient, Max. quand il veut descendre des bras de quelqu’un, il mord et grafigne. Mais les enfants n’allaient pas en rester là. Chacun avait son histoire de chat à raconter. Tous auraient voulu avoir un Max comme le nôtre, si sociable. Même que la prof est venue nous rejoindre pour demander comment on l’avait élévé pour qu’il soit aussi bien de sa personne.

Je n’ai pas su quoi répondre. Pourtant, les raisons sont nombreuses. D’abord, ma Loulou raffole de Max. Il passe ses soirées couché sur elle qui regarde la télé sur son i-pad. Ma douce lui porte toutes les attentions possibles, quitte à ce que le cœur lui lève quand elle lui sert sa bouffe en can à l’odeur si dégueulasse. À 6h le matin, c’est tough comme disent les Anglais. Moi, je l’ai constamment sur le dos dans la cuisine et sur la poitrine, dans le bain. De plus, comme on a huit petits enfants, le chat a intérêt à être accueillant. Enfin, dans la mesure du possible, on le laisse libre d’aller à sa guise. Et chacun sait que la liberté rend sûr de soi...

La chute


Après des mois à remettre sans cesse cette escapade, nous nous sommes enfin pointé, ma Loulou et moi, à la Vallée du Bras-du-Nord en fin de semaine dernière. Il y avait si longtemps que nous ne nous étions retrouvé dans un milieu forestier avec rivière, montagnes et une superbe chute pour décanter de la folie quotidienne. La chute Delaney est un joyau du Québec. Alors voilà, nous avons grimpé, marché, lu, mangé, bu et dormi comme des perdus au coeur du paradis terrestre. Deux jours de liberté totale...



La bible du jazz rééditée


Le dictionnaire du jazz, publié originellement en 1989 dans la collection « Bouquins » des éditions Robert Laffont vient enfin d’être réédité et mis à jour. S’appelle maintenant Le nouveau dictionnaire du jazz. Réalisé par Philippe Carles (Jazz Magazine), André Clergeat et Jean-Louis Comolli (Free Jazz, Black Power), ce vrai dictionnaire recense plusieurs « jeunots », des milliers de musiciens présents et passés, des définitions de styles jazzistes, d’expressions musicales et que sais-je encore. Bon, il y a des oublis et il y en aura toujours. D’ailleurs, comme nul n’est prophète en son pays, ce sont les Français qui râlent le plus sur l’absence de l’un ou l’autre musicien de leur hexagone. Mais franchement, devant tant de recherche et d’érudition, on s’en tape et on profite de ce véritable livre de chevet.
En écoutant Delbecq, Benita, Ellington, Akinmusire, Bley, Coltrane, Miles et autres génies.

Les Suites pour violoncelle seul

On parle de celles de Jean-Sébastien Bach, bien sûr, ces musiques secrètes, savantes, intimes, aux sonorités riches et complexes. Je vous ai sans doute parlé des interprétations magnifiques de Pieter Wispelwey, Anner Bylsma ou Jean-Guilhen Queyras (comparez le même prélude de la part de l’un et de l’autre!)  de ces œuvres uniques dans l’histoire de la musique.


Ces œuvres ont aussi marqué le journaliste et historien montréalais Eric Siblin qui a réalisé un essai remarquable sur ces œuvres il y a quelques années et dont mon ami Denis (Jodoin) m’avait fait cadeau. Publié sousle titre original de The Cello Suites: J. S. Bach, Pablo Casals, and the Search for a Baroque Masterpiece, ce fascinant bouquin vient d’être traduit en français sous le titre de Les Suites pour violoncelle seul, en quête d’un chef-d’œuvre baroque. » Vous pouvez entendre la présentation de ce livre par l’auteur à l’émission de Catherine Perrin sur les ondes de Radio-Canada. C’est superbement écrit et aussi remarquablement traduit par Robert Melançon, traducteur, critique et poète québécois. Un autre passionnant livre de chevet.

Crescendo In Duke


Benoît Delbecq est un pianiste français qui a fait ses classes avec les contrebassistes Alan Silva et Dave Holland et le pianiste Muhal Richard Abrams, grand maître de l’Association for the Advancement of Creative Musicians. C’est donc dire qu’il loge à l’enseigne du jazz dit libre et moderne. Le monsieur « …a développé un style à la fois sobre et élégant, au phrasé très vocalisé, attentif aux rythme du souffle et de la parole, donc intégrant le silence et la suspension comme effet de ponctuation. » (Nouveau dicto du jazz, p. 346)

Tout cela pour dire que son Crescendo in Duke, en hommage à l’esprit de la danse chez le sieur d’Ellington, est une galette orchestrale aux couleurs multiples et au style à la fois sobre et élégant dont on vient de causer. Malgré certains titres ellingtoniens, il ne s’agit absolument pas d’un album de reprises. Tout est neuf, nouveau, même si on si trouve l’esprit, je dis bien l’esprit, de la danse. Un disque qui a de la classe!!