mercredi 26 novembre 2014

La retraite… peut-être pas longtemps!

Une Loulou bienheureuse... (photo: Pierre Castonguay)

J´ai pour toi un lac quelque part au monde
Un beau lac tout bleu
Comme un œil ouvert sur la nuit profonde
Un cristal frileux
Qui tremble à ton nom comme tremble feuille
À brise d´automne et chanson d´hiver
S´y mire le temps, s´y meurent et s´y cueillent
Mes jours à l´endroit, mes nuits à l´envers.

Il est 10 h, ce jeudi matin, et ma douce chante Vigneault. C’est le premier jour de sa retraite et, après avoir paressé quelque temps au lit, s’est levé et mis son Vigneault chéri, son chanteur poète préféré avec son ancien voisin abitibien, Richard Desjardins. Elle exulte, Loulou, et la retraite, finalement lui va drôlement bien.

La veille, collègues et amis étaient réunis au Café Babylone, rue Saint-Vallier, à Québec, pour la saluer et surtout, pour la remercier de tant d'années au service de ses concitoyens, particulièrement ceux des régions. Un travail qu'elle a accompli avec une passion peu commune, une empathie rare et un amour incontesté des gens. Une bien belle fête.

Amis et collègues au rendez-vous : Christine Chaumel, Claude Desrochers, Dany Otis,
 Pierre Hersberger, Peggie Lamarche, Ruslan Tanasa et Loulou (photo : Pierre Castonguay)

« - Je n’ai pas du tout envie de travailler… pour l’instant », m’a-t-elle confié, sur l’oreiller ; là où les confidences sont les plus vraies comme chacun sait. Elle se sent comme dans cette autre chanson de Vigneault, celle qui parle des gens du pays, « Je vous entends demain, parler de liberté ». Demain, c’est aujourd’hui dans son cas, parce qu’hier, c’était la fête de son départ et ses collègues comme ceux du monde du plein air étaient sur place pour lui dire merci. Un beau merci empreint de chaleur et de reconnaissance pour celle qui a contribué, comme peu d’autres, à mettre le plein air québécois, sur la carte du tourisme international.

Le développement touristique, surtout celui des régions nordiques, c’était toute sa vie professionnelle, à Loulou. Elle, qui a tant le sens des régions et des gens qui les habitent, s’était découvert une mission du temps où elle oeuvrait comme journaliste au Secrétariat aux affaires autochtones. C’est elle qui avait choisi le tourisme comme thème principal de ce numéro spécial de la revue Rencontre, publiée par le SAA, à l’intention des populations amérindiennes et inuit du Québec. La Loulou avait été particulièrement marquée par la vision de l’ancien chef Ilnu de Mashteuiash, entrepreneur et sénateur, Aurélien Gill, qui y voyait un moyen d’illuminer l’avenir des siens.

Les animateurs de la soirée d'adieu : la fidèle Suzanne Asselin et le gars.
(photo : Pierre Castonguay)

« Le bon, je n’ai pas envie de travailler, pour l’instant… », pourrait bien être de courte durée. La madame n’a eu de cesse de rencontrer organismes et clients du « milieu » pour voir si on ne serait pas intéressé par son expertise de passionnée, une fois qu’elle serait libre. Eh bien, je vous l’annonce, ces jours-ci, elle en profite de sa liberté. Se lève tard, lit beaucoup, rit autant, s’indigne encore plus contre les pétrolières et autres destructueurs de l’environnement, nos gouvernements insanes.
Et elle nage. Tout l’automne, elle a pris des cours pour parfaire sa technique de crawl et de brasse, et tous les deux jours, se prend un couloir et fait d’éternelles longueurs, de célestes longueurs comme aurait dit Robert Schumann (à propos des symphonies de Schubert), qui me la ramènent à la vois euphorique et heureuse. Apaisée. Ce qui n’est vraiment dans sa nature, mais, je m’en rends compte, maintenant, la nature change parfois.

Douce Loulou, si tu savais à quel point je suis heureux de t’avoir à mes côtés. Même que je suis prêt à te suivre (à l’occasion, comme ce midi) à tes inteeeeeeerminaaaaaables séances de piscine qui s’étirent sans cesse en longueurs. Mais criss que ça fait drôle de t’avoir assise à côté de moi au comptoir de la cuisine, pendant que je t’écris… Ça fait drôlement plaisir de trainasser au lit avec toi le matin à commenter nos lectures respectives, les jambes entremêlées, pendant que dehors, le vent forci et que la température descend sous zéro.

Les boss de Loulou, qui lui doivent leur prestige (hi, hi) : François Côté, Patrick Dubé et François Diguer
(photo : Pierre Castonguay)


Bon, elle aura sans doute des velléités de repartir au large du développement touristique, ma douce, mais pour l’instant, nous profitons de notre lune de miel. Un autre…




Le Bach… italien de Giuliano Carmognola

Alors, autant vous dire qu’on va encore causer de Bach, Jean-Sébastien le géant, et vous dire que je viens de tomber sur le cul pour une énième version de ses si beaux concertos pour violon. Je ne vous rappellerai pas de précédents enregistrements qui, pour plusieurs, sont magnifiques (Viktoria Mullova, Amandine Beyer, Orchestre baroque de Fribourg). Je vous parle de celle-ci, que dirige, de son pupitre, le violoniste du baroque italien, Giuliano Carmignola, accompagné, une fois n’est pas coutume, par le Concerto Köln, célébrissime ensemble allemand.

Le Carmignola, en Vénitien qu’il est, s’est fait remarquer comme soliste au sein de la Sonatori de la Gioiosa Marca et de l’Orchestre baroque de Venise que dirige son ami Andrea Marcon. Leur héros, Antonio Vivaldi, qu’ils ont monté au pinacle de la discographie le concernant avec plusieurs enregistrements remarquables.

Pour son Bach, Giuliano Carmignola a choisi un ensemble rompu au répertoire du Cantor, le Concerto Köln, ensemble on ne peut plus allemand. Par son jeu flamboyant, précis, plein de rebondissement et d’ornementations, il donne à son Bach, une sonorité véritablement italienne. On a donc droit à une interprétation lumineuse, vive, extravertie dans les mouvements extrêmes, et tendrement chantante dans les mouvements lents. Le violoniste est un virtuose, oui, mais d’abord un musicien pour qui chaque détail compte et les membres du Concerto Köln l’ont compris. L’accompagnement fourmille de pétillement et d’imagination, particulièrement de la part de l’excellent claveciniste Gianluca Capuano.

Le programme propose non seulement les deux concertos habituels pour violon et orchestre BWV 1041-1042, et celui pour deux violons BWV 1043, mais aussi des transcriptions des concertos pour clavecins BWV 1056 et 1052, deux œuvres que Bach aurait réécrites d’après ceux de Vivaldi. D’où, la couleur générale que le soliste a voulu donner à son enregistrement. Pour moi, c’est une version de référence. Point.

Giuliano Carmignola, Concerto Köln, Bach Violin Concertos. Disque Archiv Produktion

Jazzy Nowell

Chaque année, j’acquiers un album de Noël, un seul. En 2014, j’ai choisi celui du quintette de Paolo Fresu, un des meilleurs trompettistes de jazz d’Italie. Ça prenait peut-être un Italien (un autre!) pour nous proposer un disque jazz de Noël, comme une berceuse. Contrairement à plein d’autres albums du genre où le swing domine (Diana Krall, Ella, John Zorn…) celui-ci insiste sur la douceur, l’intériorité, la sérénité.

Entouré de musiciens phares du jazz italien (Roberto Cipelli au piano, Tino Tracana au saxo ténor, de d’excellent bandonéoniste Daniele di Bonaventura), le quintette nous berce les oreilles de son White Christmas, Have Yourself a Merry Little Christmas, The Christmas Song, mais aussi quelques œuvres du pays, comme In Sa Notte Profundha ou Notte De Chelu. Bref, si vous êtes d’humeur contemplative, ce beau disque de jazz fêtant Noël est pour vous!


Paolo Fresu Quintet, Jazzy Christmas, disque Bonsaï Music.
Disponible chez Sillons le disquaire, à Québec.

dimanche 9 novembre 2014

Love In Vain, vie et mort de Robert Johnson


Robert Johnson est autant connu pour le mythe qui l’entoure que pour les blues inoubliables qu’il a composés. C’est qu’il a fait un pacte avec le diable pour devenir un des fondateurs du blues moderne, développant en un temps record et pour peu de temps, une technique incroyable qu’il a toujours voulu gardé secrète; alimentant lui-même cette rumeur de pacte du diable. Si l’on qualifié le blues, et plus tard, le rock and roll, de musique du diable. Robert Johnson en est le Satan et les Johnny Shines, Son House, Jimmy Hendrix, Eric Clapton, Led Zeppelin et, bien sûr, les Rolling Stones en sont les suppôts. Et pour vous en raconter l’histoire, rien de plus fascinant que ce roman graphique en noir et blanc de Mezzo et J.-M. Dupont intitulé LOVE IN VAIN, Robert Johnson 1911-1938, publié, avec grands soins, chez Glenat.


Musicien errant, plus qu’itinérant, né dans une plantation au cœur d’une famille pauvre et plutôt erratique, Johnson avait choisi de commencer sa vie de la manière la plus stable pour assurer le bien-être de sa très jeune épouse… qui est morte en couche. Le (mauvais) sort en était jeté. Seule la musique comptera pour lui pour lui désormais. Si les débuts sont difficiles, malgré les leçons de Son House (ou peut-être à cause d’elles!), il revient transformé, après une éclipse d’un an, en un démoniaque virtuose. Il peut jouer de tout! Des blues, bien sûr, mais aussi des polkas, des gigues et autres danses en vogues dans les Juke Joint du Mississippi ou de la Louisiane.

Et sa réputation, il se fera avec ses Cross Road Blues, Me and the Devil Blues où raconte qu’il fait son pacte à une carrefour du d’une route du Mississippi, près de Clarksdale, ou peut-être Rosedale, qui sait? Bref, je ne vous raconte pas, il vous suffit de lire cette admirable BD.

Le dessinateur Mezzo s’est associé au scénariste Jean-Michel Dupont pour raconter la vie et les truculence de ce jeune homme « mystérieusement » mort à 27 ans après avoir enregistré… 29 chansons, toutes aussi mythique que sa vie. Présenté en format paysage, couverture noir et or texture, épine rouge, lettrée or, la bd (roman graphique?) a de la gueule. Et ce n'est rien, attendez de l'ouvrir!

Le scénario de Dupont est clair, l’histoire suit son court inexorablement, du Sud profond jusqu’à Chicago and back, racontée en « voix off » par… je ne vous le dis pas. Un scénario bien ficelé, bien documenté aussi (une bibliographie complète et drôlement pertinent conclut le livre), nous amène au cœur de ce monde de musiciens, les Johnny Shines, Son House, Willie Brown, Howlin’ Wolf et le mileu canaille où ils évoluaient.

Mais c’est le dessin fabuleux de Mezzo qu’on retient, un Robert Johnson hyperréaliste mis en image à partir des deux seules photographies qu’on a de lui. Le Robert Johnson musicien, mais aussi le hobo toujours mis à quatre épingles, le séducteur impénitent, baiseur, buveur et… amuseur. On le sait, le diable est dans les détails, et ceux de ce dessin noir et blanc sont fascinants de précisions et de pertinence.


Bref, comme le dit, en avant-propos, Lawrence Cohn, le producteur du célébrissime album Robert Johnson : The Complete Recordings, on a droit ici à un« véritable chef-d’œuvre, tant par la qualité du dessin que de la narration, (…) grâce à la poésie de ses textes et la magnificence des ses planches, dont chacune est, à elle seule, une œuvre d’art. (p.2)

Mezzo - J.M. Dupont. Love In Vain, Robert Johnson 1911-1938. Glenat. Grenoble, 2014, 72 p.


Le Storytone de Neil Young


Il est intarissable, le Neil Young. Infatigable, aussi. Le voilà qui sort un deuxième album au cours de la même année. Après l’étrange A Letter Home, disque de reprises de grands classiques folks produit par Jack White avec le son d’un 78 tours magané des années 1940, voici donc, en double en quelque sorte, Storytone.

On parle ici  un disque ambitieux, véritable exhortation à changer nos comportements pour protéger la planète, à faire une vraie révolution.  Who's Gonna Stand Up est l’hymne écologique de ce nouvel album, une chanson magnifique qui dit, entres autres,

« Protégeons la terre de la cupidité de l'homme, faisons sauter les barrages
Dressons-nous contre l'industrie pétrolière, protégeons les plantes et renouvelons les sols Qui va se lever et sauver la Terre ? »

Faut se rappeler ce Neil conséquent, celui qui, l’an dernier, est venu appuyer la lutte des Amérindiens de l’Ouest canadien pour le respect des traités, particulièrement contre l’extraction et le transport du pétrole hyper-polluant des sables bitumineux albertains. D’autres titres accompagnent cette exhortation comme Plastic Flowers ou Wanna Drive my Car, l’histoire du gars qui doit trouver son chemin, trouver de l’essence, chantée sur un mode un peu caustique.

Faut dire qu’on ne peut pas sortir aussi facilement le gars de char qu’est Neil Young de son char, le gars qui vient tout juste de faire paraître A Memoir of Life and Cars. Infatigable, vous dis-je ! Tant et tellement, qu’il vient aussi de divorcer de la Pegi qui l’accompagnait depuis 36 ans. C’est qu’il a une nouvelle flamme, l’actrice activiste Daryl Hannah. Ceci explique cela et donne, sur Storytone, quelques chansons d’amour bien senties comme Glimmer ou Say Hello to Chicago.

Alors, il est bien, cet album ? Oui et non. Faut savoir qu’il existe en deux versions. Vous pouvez vous procurer la version orchestrée seule ou, pour à peine deux dollars de plus, l’autre qui contient cette version orchestrée avec sa contrepartie acoustique et minimaliste. Parce que pour dire vrai, c’est ce côté dépouillé et bouleversant qui nous accroche plus que tout. Du Neil Young dans la plus pure et confortante tradition folk ; guitare, harmonica, piano. On est ici dans l’esprit de ce live mythique du Massey Hall de 1971. Même la voix, si fascinante, à l’époque semble revivre avec cette intensité. Cette version folk est à verser au compte des grandes réussites youngniennes.

La version orchestrée, ou plutôt, orchestrale, elle, fait appel aux cordes, aux chœurs, aux vents et aux arrangements sophistiqués, classiques, voire surannés. Ce sont pourtant les mêmes chansons. Mais le résultat prétentieux et, parfois, pompeux. Bref,  trop. Vive la simplicité de la version acoustique !


Neil Young, Storytone (Deluxe), Reprise