mardi 20 juin 2017

De bois debout, l’œuvre au noir de Jean-Francois Caron



Une fois, c’était l’histoire d’un gars qui voit mourir son père à quelques mètres de lui, dans « son » bois, tiré dans la tête par la police. Le gars, Alexandre, s’enfuit alors à travers branchages, roches, hautes herbes, fougères de cette partie sale de la forêt bois où il tombe, s’égratigne, se grafigne, se balafre, s’estourbit avant de déboucher, étourdi, sur le chemin qui donne juste devant la maison de Tison.

  •           La voix d’Alexandre : Alexandre que je m’appelle, et je suis le fils d’André. Il ne faut pas oublier mon nom, celui de mon père. Alexandre, c’est comme si le père avait son nom dans le mien. Alexandre : André. Comme s’il était un peu de moi depuis le début de l’histoire. Et quand on m’appelle Alex, c’est comme si le père disparaissait une fois de plus. Un trou dans ma vie. Une béance dans la tête. » (p.10)


Pour en revenir à lui, Tison, ce n’est pas son vrai nom. René qu’il s’appelle. Mais quand on a la face qui a péri dans un incendie, c’est le genre de surnom dont on hérite à son corps défendant. C’est lui qui va redonner vie, si on peut dire, à Alexandre. Et il y a aussi Marie-Soleil, l’amie d’enfance et douce voisine, Marianne, l’amoureuse et danseuse-boiteuse, l’Ours, homme immense à qui il fait la lecture, Denis la police. Et surtout, ce père écrasant, ce Broche-à-Foin, homme à tout faire dans le village de Paris-du-Bois, homme au passé secret qui, lui, déteste la littérature à en faire une maladie. André Marchant, de son vrai nom.

  •           La mémoire d’Alexandre : Chaque fois que j’ouvre un livre, j’entends la voix du père qui m’avertit : « La vie, c’est pas là-dedans, pas dans les livres. » (p. 134)


Et il aura cette sentence envers son fils de 5 ans : « Tu es un homme maintenant. Tu te tais et tu apprends. »

Ça se passe dans le Bas-Saint-Laurent, cette histoire-là, à Paris-du-Bois, pas loin de la frontière américaine. Ça fait que Tison qui, de sa maison en marge du village, aperçoit Alexandre sortir du bois drôlement amoché, le recueille et le soigne.  Et, dans les heures qui suivent, tous les deux s’apprivoisent à coup de littérature, littérature qui s’avère la sève de vie de ce roman, de presque tous les personnages. Tout est littérature dans ce roman hors norme, avec sa structure qui entremêle prose, théâtre (grec!) et poésie; action et intériorité, avec tous ces personnages qui, un jour ou l’autre, se rencontreront, à cause de ce territoire de bois (debout) habité comme une âme qui nous définit.

-       « Il y a le bois : la poignée de chênes qui dépassent d’une tête la canopée boréale rongée par le rouille de l’automne, les seuls qui ont encore une belle masse de feuilles au faîte. » (p. 64)

Il y a le bois partout parce que Broche-à-foin l’a voulu ainsi, y vivre avec le vrai monde comme il dit, pas comme un « ostie » d’intellectuel déconnecté. C’était sa hantise, à Broche, de ne pas vraiment faire partie du vrai monde, comme il le voyait.  Et, de fait, il n’y arrivera pas complètement. Broche à foin, c’est lui le père à qui rien n’est arrivé sauf cette mort spectaculairement idiote, lui qui n’est arrivé à rien, finalement, dans la vie. André, qu’il s’appelle, cet homme sans passé et sans histoire connue sauf celle du jour où il est arrivé à Paris-du-Bois.

Bref, à la suite de la mort du père, Alexandre le littéraire part en ville, à Québec, à la recherche du passé de cet homme qui l’a malmené, qui le hante au tréfond de lui-même et c’est cette histoire qui nous est contée. Une grande histoire fabuleusement racontée!

Quand à l’auteur, sachons qu’il est camionneur, poète, écrivain, auteur d’un autre roman remarqué : Rose Brouillard, le film.




Jean-François Caron. De bois debout. Éditions La Peuplade, Chicoutimi, 2017, 394 p.

jeudi 1 juin 2017

Le frère




Comme disait l’autre : Frères humains, laissez moi vous raconter comment ça s’est passé.

J’ai ouvert la porte au médecin qui venait de sonner chez mon frère. Il est entré et est allé s’assoir en face de Claude couché sur son divan. Claude s’est assis, péniblement.

-       - Alors, comment ça va aujourd’hui?
-      -  Mal, très mal, j’ai mal un peu partout.
-       - Qu’est-ce que vous pensez qu’il va arriver?
-       - Je vais mourir.
-       - Oui, c’est cela. Vous allez mourir. Mais nous ferons en sorte que ça se passe le plus doucement possible, sans souffrance.

Ça a été le début d’une fin très rapide pour mon frère cadet, victime consentante d’un fulgurant cancer du poumon. À 63 ans. Je dis consentant, parce que cette maladie devait couver depuis longtemps et il n’a consulté que lorsque se déplacer lui était devenu pénible, incapable qu’il était de respirer. Le diagnostique est tout de suite tombé, comme mes bras.

-       - Dis donc, Claude, il y a longtemps que tu avais des difficultés de respiration??
-       - Oh, trois ou autre ans…
-       - Euh, pis t’as pas eu l’idée de consulter avant??????
-       - Ben, ça ne me faisait pas vraiment mal, pas comme maintenant.
-       - Ben, tu vas peut-être en mourir!!!
-       - J’ai pas peur de mourir, ça ne me dérange pas.

Et il a tenu parole. Pas de chimio, pas de radiothérapie, juste une médication palliative. Deux mois. Et le voilà parti, résilient comme pas un, avec un détachement des plus zen. Décidément, ce frère n’a jamais rien fait comme les autres. Et ce n’est pas son ange gardien, ma sœur Christine, qui me contredira.

Une soeur et deux frères, Claude, Christine et Gilles.

Claude Chaumel était un être généreux, ténébreux, solitaire, mélomane fini comme son aîné avec qui il partageait sa passion musicale. Il aura vécu seul toute sa vie, sauf pour une courte période de deux ans. Serveur respecté du Château Frontenac où il a fait carrière (Il fallait voir la haie d’honneur que lui a réservée le personnel de la vénérable institution lors de sa retraite en 2013), ex-mécanicien dans sa jeunesse, et, un court temps,  artiste soudeur dilettante pratiquant au garage Ruelland de la rue Christophe-Colomb, dans le quartier Saint-Roch de Québec, résument son parcours.

Claude mon frère que j’ai si peu connu.


Gilles et Claude.

Je n’ai pas tant de souvenirs de notre enfance commune. Alors que je recherchais les amis et les activités les plus casse-cou, lui préférait jouer seul ou avec notre jeune sœur. Sauf les fois où on se bataillait… c’est à dire souvent. Je me rappelle sa passion pour les modèles réduits, les casse-têtes ou toute activité qui exigeait patience et dextérité. Impossible de trouver là un terrain d’entente entre nous.

Il détestait l’école. Il a toujours détesté l’école. S’il était efficace en maths, tout le reste lui puait au nez. Résultat, il avait 12 ou 13 ans lorsque, au beau milieu d’un après-midi des plus scolaires, à vélo et cigarette au bec, il tombé face-à-face avec… ma mère! Grosse commotion dans la famille, pas besoin de vous dire. Ma pauvre mère, qui se désespérait de son avenir et elle est allée elle-même l’inscrire, quelques années plus tard en mécanique à l’école technique de Québec, boulevard Langelier. Il en est ressorti diplômé et s’est empressé d’acheter un beau Chevrolet 1953 qu’il a entièrement remis à neuf, sauf pour une pièce que le service d’inspection du Bureau des véhicules automobiles, la SAAQ de l’époque, l’a obligé à changer. Comme, il ne la trouvait pas (et on ne peut pas dire qu’il fait des efforts incommensurables pour la trouver), il a vendu l’auto… et n’a plus jamais conduit. Un rêve en fumée.

À l’époque de notre adolescence, rue Arago est, nous avions quelques amis communs, les moins sportifs, à qui il avait trouvé pour chacun, un surnom. Murielle (Yéyelle), Jacques (Wayne, parce qu’il était toujours en train de se peigner au Brylcream comme le bellâtre qu’il prétendant être), Magella (Mina, du nom de sa mère, Malvina, un surnom vraiment cruel quand on sait que la mère en question ne cessait de couver jusqu’au harcèlement ce gros garçon athlète né), et bien d’autre encore dont je n’ai plus mémoire.

C’est durant vers le début de la vingtaine que nous avons été le plus proche, en tout cas, dans mon souvenir. C’était l’époque où l’on partageait l’électrophone de ma chambre, un peu buzzés au hasch, à écouter Black Sabbat, Grand Funk RailRoad, Blue Cheer, les Rolling Stones et surtout Jimmy Hendrix, à fond la caisse.

On mettait Crosby, Stills, Nash and Young, pour regarder ses photos, la photographie qui fut la seconde passion du frère. Toile de fenêtre baissée, drap blanc au mur, on regardait les magnifiques diapositives de la ville qu’il prenait à toute heure du jour, préférablement entre 4 et 7 h, les matins d’été. J’ai encore en tête ces images aux couleurs si chaudes du kodachrome 25 montrant les levers de soleil sur la terrasse Dufferin, les paysages sereins des Plaines d’agréable (sic), du Vieux-Québec libre de toute circulation, de toute présence humaine.

Entre 4 et 7, c’était l’heure où il quittait les bars pour sa quête d’images. Et à trop, trop fréquenter les bars… Claude a perdu tout son matériel photo et ses images dans l’incendie qui a affecté son appartement. Il aurait pu y laisser sa peau. Une cure de désintoxe s’imposait, il ne pouvait plus fonctionner. Et une seule a suffi!

Mais, et c’est tellement dommage, ça en fut fini de la photographie, lui qui avait monté son labo de développement et faisait de splendides noir et blanc. De tout cela, rien n’est resté. Quelle perte.

Le frère a toujours eu ce côté caustique et ironique qui lui permettant de se moquer de tout un chacun.



Dernier jour d'un carrière bien remplie avec deux sympathiques collègues.

Ces derniers jours, enlevant son gilet pour que l’infirmière puisque lui prodiguer des soins, il a eu ce mot de dépit, devant ce corps maigre, décharné, voir rachitique qui était devenu le sien : Auschwitz tabarnac. Personne n’a été surpris, peu de faiblesses avaient crédit à ses yeux. Et pourtant, c’était le plus généreux des hommes, mes fils, ses neveux, l’adoraient, ses collègues du Château Frontenac le respectaient haut plus haut point. Et s’il a fait quelques voyages de pêche avec quelques-uns d’entre eux, rien ne laisse croire qu’il ait pu continuer à les fréquenter. Mais qu’en sait-on??? Christine, notre sœur et son ange, n’en sait pas plus.



La pêche!!! S’il y avait une occasion de réunion familiale, c’était bien cette activité qui passionne tant l’autre Claude, ex-agent de conservation de la faune et mari de Christine, l’autre ange gardien du frère. Si ces deux-là adoraient la pêche, c’était souvent ma douce Loulou qui provoquait les occasions, de belles sorties sur les lacs de la réserve de Laurentides. Ô grands moments de sérénité!!!!
  La dernière photo.

La sérénité, voilà son état désormais et pour toujours. Salut, frère aimé!!! 


Ah oui. Oubliez les funérailles, y en n’a pas.