samedi 1 décembre 2012

Abitibi Blues


Un conte d’hiver terrible et véritable… pour Noël

 À Louise Séguin, en hommage à sa totale intégrité

                                     et à son sens aigu de l’amour
G. C.

Une nuit d’hiver

            Une nuit de décembre pure et froide de 1999, un ciel sans lune, percé d’étoiles. Seul le bruit lointain d’une voiture brise le silence vivant de la forêt. La voilà qui arrive. Il s’agit d’une Mazda 323 rouge qui suit scrupuleusement la lumière de ses phares en serpentant la route 117. On est en plein cœur du parc La Vérendrye. Dix minutes à peine que le conducteur et sa blonde ont quitté le lit chaud du petit motel de bois rond de Dorval Lodge. Ils roulent vers le Nord. L’Abitibi les attend pour fêter Noël.

- Quand j’étais petite, se met-elle à raconter, nous arrêtions toujours ici en descendant ou en revenant de Montréal. C’est comme si je renouais avec un rituel.

Le conducteur sourit, comme toujours, quand sa Loulou lui dévoile ainsi un épisode de sa vie. Une vie passé dans des lieux aux noms tellement étranges pour la moyenne des ours que nous sommes qu’ils nous transportent ailleurs, à l’intérieur même de notre propre mythe des grands espaces, à notre sauvagerie ancestrale de découvreurs. Inukjuak, Iqaluit, Senneterre, Clova l’ont vu grandir alors même qu’elle entrait dans l’âge adulte. Il y a eu aussi les grandes villes, Montréal, Québec, Trois-Rivières, Sept-Îles, Val-d’Or pour ne parler que de celles-là, où Elle a exercé tous les métiers, de serveuse à traductrice, de pilote d’avion à chauffeure de taxi, même téléphoniste et météorologue. Quelques chums et trois enfants, de si belles filles, ont jalonné ce nomadisme organisé.

C’est donc un sourire admiratif qui éclaire le visage du conducteur. Il envie la force de cette femme qu’il aime définitivement et qui est sa compagne depuis plus de cinq ans. Après 40 ans d’errances, tous deux savent maintenant qu’ils mourront dans les bras l’un de l’autre, à l’âge de 105 ans et trois mois… environ. Pour l’heure, ils voguent vers l’Abitibi natale de l’héroïne, en une sorte de voyage initiatique pour le conducteur. Richard Desjardins chante Le Pays des calottes dans sa meilleure veine country, au rythme même des sinuosités de la route. Elle a enlevé ses bottes, et ses pieds chaussés de gros bas de laine reposent « su’l dash », profitant de la chaleur de la chaufferette qui fonctionne à plein régime. Le conducteur la regarde avec tendresse, apprécie les rondeurs de son corps et revoit en pensée les bons moments qui les ont rapprochés au cours de la nuit. Sa température monte de quelques degrés. Un p’tit bonheur flotte dans l’air que l’aurore naissante illumine lentement. Tout est si parfait que le soleil se lève juste au moment où le Yankee de la chanson de Desjardins lui en donne l’ordre[1].

… un moment d’inconscience…

Toi, lecteur, lectrice, qui en a l’expérience, tu sais que la vie ne s’éternise pas sur le bonheur et que la prochaine courbe peut être fatale. Justement, au sortir de cette dernière, juste en haut d’une côte, à droite de la route, une jeune Indienne tiens un paquet dans les bras. Lorsqu’elle voit arriver l’auto, elle tend la main droite, le poing fermé, le pouce levé. Jetant un coup d’œil rapide sur le siège arrière rempli jusqu’au toit, le conducteur poursuit sa route en regardant, gêné, droit devant lui. Une bien mauvaise idée.

-       Qu’est-ce que tu fais? On ne va tout de même pas la laisser là, lance sa blonde. T’as pas vu que le paquet, c’était un bébé emmailloté? Pis, même si ça avait été de la crotte d’original, on ne laisse pas quelqu’un sur le bord de la route dans un pareil désert d’arbres et de glace. Ici, il ne passe qu’une auto à l’heure. Non, mais qu’est-ce qui t’as pris?

D’une voix rendue à peine audible par l’embarras, le conducteur balbutie :

-       Mais on n’a pas un pouce d’espace libre…

-       On va en faire de la place! Il faut virer de bord et aller la chercher!

Bien décidé à faire amende honorable, le conducteur ralentit tout de suite. Mais comme il vient tout juste d’amorcer la descente d’une longue côte et qu’il ne veut pas se faire rentrer dedans par un véhicule qui suivrait (il suffit qu’on dise qu’il ne passe qu’une voiture à l’heure pour qu’il y en ait une qui te rentre dans le cul!), il choisit d’attendre au bas pour amorcer son virage. D’autant plus que, devant eux, un immense camion-remorque noir charriant une citerne d’un argent éclatant vient à leur rencontre, comme dans le meilleur film de série B. Le monstre passe, non sans faire vibrer la petite voiture de tous ses boulons. Tout de suite après, le conducteur exécute un virage à 180o.

Déjà, il remonte sans se rendre compte du vent qui, soudain, se lève et du ciel qui passe du bleu au gris le temps de l’écrire. À mi-chemin, une fine poudrerie danse sur la route et s’épaissit sans cesse, inexplicablement et à une vitesse folle. À peine le conducteur et sa blonde parviennent-ils au faîte que la tempête fait rage. Inconscients de l’absurdité de ce bouleversement météorologique, ils s’arrêtent à l’endroit où ils avaient vu la jeune fille.

Il n’y a personne. Elle est disparue.

…provoque l’enfer…

Inquiets, le conducteur et sa compagne s’engagent tout de même dans l’entrée du chemin forestier à l’intersection duquel la jeune Indienne faisait du pouce, il y a quelques instants à peine. Autant dire une éternité. On ne voit plus rien maintenant. Pas même à dix pieds. Mais le vent souffle de toute sa puissance et ils entendent, au-delà du bruit du moteur et de la chaufferette, craquer tous les arbres de la forêt.

Atterré mais résolu à tout faire pour réparer une gaffe qui lui apparaît de plus en plus lourde, le conducteur dit d’un ton sans réplique :

-       Attends-moi, je vais les chercher et je reviens tout de suite. Ils ne peuvent pas être loin…

Elle ne répond rien. Le conducteur part en emportant, dérisoirement, une lampe de poche. Pour qu’elle puisse, à son retour, le repérer, se disait-il. Tel un Diogène du désert blanc, il s’élance droit devant lui, se retournant à l’occasion pour s’aligner sur les phares restés allumés.

Il ne lui faut pas longtemps avant de se retrouver seul au milieu de nulle part. Heureusement, il est habillé pour affronter le Grand Nord. Inutile de chercher des traces, même les siennes s’effacent en un instant, par la seule force du vent. Pour se repérer, il a tout de suite l’idée de longer la rangée d’arbres qui borde le chemin forestier sur lequel il s’est engagé.

Il n’a pas fait trois cents pas, plus ou moins enfoncé dans la neige, qu’il entrevoit la forme sombre et trapue d’un petit camp en bois rond. Déjà, il en est tout près, rendu encore plus fébrile par la lumière qui luit par la petite fenêtre.

Il s’apprête à frapper à la porte lorsque, tout d’un coup derrière lui, retentit un immense fracas de tôle suivi, un instant plus tard, d’une épouvantable explosion. Ce qu’il voit en se tournant dépasse son imagination.


…le désespoir…

À l’endroit où il sait être son auto et son amour, un gigantesque brasier de flammes vives et de fumée noire défie la tempête. Il fonce à toutes jambes vers l’incendie, trébuche et se relève cent fois dans la neige épaisse, sans même s’en rendre compte. On ne distingue même plus la 323 rouge sous la masse sombre d’un camion-remorque (le même que tantôt?) au cœur du brasier. L’angoisse qui le tenaille se mue, du fond de ses entrailles, en un désespoir sans fond. 


Tiré de Planet Earth.

Il veut s’approcher, trouver, dans le mur de flammes, une ouverture qui lui permette de rejoindre sa douce. Mais la chaleur est si intense que ses vêtements synthétiques commencent à fondre. Il n’y a pas d’ouverture, plus de voiture ni de camion; rien qu’un magma intense et informe, qu’une rumeur assourdissante de métal fondu, qui a fait disparaître la neige à 100 mètres alentour et mis le feu à quelques dizaines d’arbres bordant le chemin. Au cœur de la tempête incessante, de l’aveuglante blancheur de l’univers, le spectacle dépasse en horreur les meilleures descriptions de Stephen King, ramène L’enfer de Dante à un conte pour enfant. Impuissant, subjugué, totalement sous le choc, le conducteur tombe à genoux, vomit à s’en arracher le cœur et reste ainsi prostré durant 1000 ans.

Enfin, au désespoir et à l’inertie succède la colère. Il retourne alors vers le petit camp. S’il y avait de la lumière, se dit-il, c’est qu’il y avait quelqu’un et ce quelqu’un ne peut pas ne pas avoir entendu. Alors pourquoi personne n’est venu? Il lui apprendra à vivre à ce quelqu’un, maintenant que sa Loulou, sa vie, sa liberté a été immolée. Il le tuera pour avoir fait preuve de tant d’indifférence... Il n’a plus rien à perdre.

D’un pas rageur, il fonce à l’aveuglette droit devant lui. Il sait qu’il n’a qu’à se retourner vers le brasier, vers la mort, pour s’orienter. Qu’il n’a que quelques centaines de pieds à franchir. Le temps de le dire, il est à la porte. Mais, allez savoir pourquoi, il frappe. N’entendant et n’attendant de tout manière aucune réponse, il entre et s’arrête, interdit, sur le pas de la porte.




…et un blues…

À l’intérieur, tout près d’une truie rudimentaire qui dégage néanmoins beaucoup de chaleur, trop, un vieil Indien est assis dans un fauteuil roulant. À ses côtés, berçant avec son corps son bébé emmailloté, il y a la jeune femme qui faisait du pouce. Le silence règne si fort qu’on entend à peine le crépitement du bois dans le poêle. Le conducteur ferme la porte derrière lui. On est ici comme dans un lieu de recueillement mais il parvient tout de même à dire, d’une voix mal assurée :

-       Vous n’avez rien entendu? Il y a eu un accident, un bruit incroyable, une explosion, un incendie. Ma blonde est morte. Vous n’avez rien entendu?

Un long silence. Puis le vieux se met à parler, doucement, en Algonquin. Longtemps. Puis il se tait. Au bout d’un moment, comme le conducteur ne réagit pas, la jeune femme dit :

-       C’est mon grand-père. Il dit que ce qui est arrivé devait arriver. C’est la volonté du Tshe Manitou. On y peut rien.

 Après un moment d’hésitation, elle poursuit :

-       Mon grand-père dit que vous avez transgressé la première loi du pays d’Abitibi, celle que tous respectent, qu’ils soient Blancs ou Indiens. Il dit que vous n’avez pas respecté la loi de l’entraide. L’hiver est difficile. Quand quelqu’un sollicite de l’aide sur le bord de la route, on n’a pas le droit de faire comme s’il n’existait pas. Ici, dans la forêt, aucun campement de chasse, aucun lieu de repos n’est fermé à clé. Jamais. Dans chacun d’eux, il y a du bois, un poêle prêt à réchauffer le voyageur égaré ou en détresse. Mon grand-père dit aussi qu’on ne laisse pas des personnes sur le bord de la route quand il fait nuit et froid.

La jeune femme baisse la tête et laisse perler une larme. Puis elle reprend :

-       Mon grand-père pense que tu dois donner une offrande à Windigo. C’est le maître des esprits qui gouvernent la Terre. Il peut peut-être t’aider…

Windigo. En entendant ce nom, le conducteur se demande s’il n’hallucine pas. Windigo?!! Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre… Hébété, il se dit que sa blonde vient de mourir dans des circonstances atroces et que c’est bien assez comme offrande ça, calvaire. Puis, s’insinue en lui l’image d’un livre de contes qu’il lisait souvent, tout petit. Un vieil Indien rabougri venait, par deux fois, en aide à des enfants, une fille et un garçon, menacés par un affreux ogre. Windigo, comme le lac et la rivière du même nom situés au cœur du territoire atikamekw, en Haute-Mauricie. Windigo, Windigo, une légende aussi vieille que la présence humaine en Amérique. Faire une offrande à Windigo après que le monde se soit écroulé, que l’enfer ait montré les griffes et que la vie perde tout sens, tout cela en quelques minutes… il y a 1000 ans maintenant. C’est ça que le vieux lui demande? D’ajouter le ridicule à l’absurde.

Voilà ce qu’il se dit, le conducteur. Et il s’entend répondre, lui athée inconditionnel et agnostique de naissance, lui désespéré rageur :

-       Et qu’est-ce ce que je dois lui offrir qui lui ferait plaisir, à Windigo? Que je vous conduise à Lac-Rapide ou au Lac Dozois, près des vôtres?[2] Je n’ai plus rien qui vaille, même plus de vie digne de ce nom…

Un moment de silence, puis le vieux parle encore. La jeune femme traduit :

-       Mon grand-père vous demande de sortir et de regarder le soleil.

Le conducteur met la main sur la porte en se demandant qui est le plus fou, lui-même, qui ne comprend rien à ce qui arrive, ou ces deux zigotos perdus dans leur monde. Le soleil en pleine tempête… Il ne peut s’empêcher un long soupir de résignation. Il n’a plus rein à faire ici.


…intolérable…



Pourtant, le regard triste de la jeune femme est limpide, vrai. Elle est vêtue de la façon la plus simple, d’un jean bleu, d’un coton ouaté rouge, de mocassins hauts et chauds. Dans ses bras, le petit, tout à fait silencieux depuis le début (c’est en tout cas l’impression du conducteur) se met à gazouiller. Le vieux regarde devant lui, fixement. Le conducteur se demande tout à coup si celui-ci n’est pas aveugle. Ce vieux, sa chaise roulante et ce regard absent… Le conducteur est familier avec le milieu autochtone, du moins il l’a déjà été. Il sait que le parc La Vérendrye est au cœur du territoire des Algonquins. Il connaît aussi les ravages que le diabète a provoqué chez eux, des ravages qui ressemblent drôlement à ce pauvre homme plié dans son fauteuil défraîchi.

Ce n’est qu’alors qu’il prend conscience de la misère des lieux. Malgré la chaleur bienfaisante qui y règne, le petit camp est dans le plus complet dénuement. Le sol est recouvert de branches d’épinettes qui commencent à jaunir, un risque élevé d’incendie. Il tressaille à cette seule pensée. Les quelques étagères sont vides ou presque. C’est à peine si on y trouve une boîte de thé Salada, une autre de lait en poudre, un sac de farine aux trois quarts vide et un litre de graisse Crisco. Au-dessus du poêle, quelques lambeaux de viande sèchent. Du porc-épic se demande le conducteur? Une table et deux chaises de fabrication artisanale, des vêtements accrochés à une rangée de clous, un gros sac de voyages kaki dans un coin complètent le mobilier. Sur la table, un couteau croche, de l’écorce de bouleau fraîche et des lanières de racines d’épinette blanche attendent l’artisan. Pas de fusil en vue, de hache non plus.

Si j’avais embarqué cette jeune femme et son petit ce matin, se dit le conducteur, le vieux serait resté seul, incapable pratiquement de sortir, sans nourriture et sans soins. Du coup, il vit que, côté malheur, ces gens-là n’avaient rien à lui envier. Et voilà qu’ils lui demandent d’aller prier Windigo…

Il demande à la jeune fille :

-       Vous vouliez aller où, ce matin?

-       Je demeure à Lac-Simon[3]. Je suis venue voir grand-père parce qu’il ne nous avait pas donné de nouvelles depuis quelques jours. Il est aveugle, se déplace difficilement et sa radio est en panne. Comme tu vois, il n’a presque plus rien à manger. J’essayais de retourner au village pour qu’on vienne l’aider.

-       Restez avec lui, j’irai moi, décide-t-il. De toute façon, il faudra bien que quelqu’un s’occupe de l’accident… Comment vous appelez-vous? Qui dois-je avertir?

-       Irène Cheezo. Si tu y arrives, demande la maison de William, William Cheezo.

Le conducteur prend une grande respiration, comme pour se donner un courage qu’il n’a pas. Il va devoir passer devant le brasier. C’est simple, il ne regardera pas. Il ouvre la porte.


…qui finit étrangement

Le monde vient encore de changer de décor.

Dehors, un soleil resplendissant danse littéralement dans le ciel. Des dizaines d’oiseaux chantent alleluia dans les arbres alentours et, au bout du chemin, la petite mazda rouge, intact, brille de tous ses feux (!), perdue, seule dans la neige.

-       Alors, est-ce qu’ils s’en viennent, nos amis? lui demande son amour, sa belle Loulou ressuscitée, en arrivant soudain près de lui.

-       Shit! Windigo…

Heureux Noël tout le monde!



[1] Richard Desjardins, Les Yankees, « Qui est le chef ici et qu’il se lève? Et le soleil se leva… »
[2] Village et établissement algonquins à la sortie du Parc La Vérendrye.
[3] La réserve de Lac-Simon est située au nord du parc LaVérendrye, près de Val-D’Or

mercredi 24 octobre 2012

Baseball de gars, une histoire




Notre terrain de baseball squatté par une gang de piste et pelouse.
Ça arrivait une fois durant l'été, un concours...


Quand j’étais jeune, on avait un chalet à Notre-Dame-des-Laurentides et on jouait au baseball tout l'été. C’était la campagne, dans ce temps, là, et non la banlieue comme aujourd'hui. Avec une rivière pleine de truites, des champs de fraises, de framboises et de bleuets sauvages, d'autres champs où l'on faisait les foins avec des chevaux. Des vaches partout. Pis le zoo à côté.

Aujourd’hui, c’est la banlieue de Québec, avec des maisons de banlieue partout, des édifices pas beaux et un boulevard aussi laid que tous les boulevards de banlieue d'Amérique du Nord. Plus aucune trace de la campagne. Ce que je vais vous raconter est donc une histoire qui commence à être ancienne.

Comme je le disais, à Notre-Dame-des-Laurentides, on jouait au baseball. Pas à la balle molle de vifs, comme on disait. Non, au vrai baseball, comme dans la ligne nationale et de la ligne américaine. Jeune comment? Entre 8 et 15 ans mettons. Ouais, 15 ans, à l'âge ou j'ai commencé à lorgner d’autres sortes de balles.

Journée type de balle d’un été de vacances de 1965. Lever à 7 heures, quand un rayon de soleil se faufilait entre le cadre de porte et le rideau qui "fermait" notre chambre, à mon frère et moi.  Je m’habille et mets mon gant de baseball avec une balle de caoutchouc bleu, blanc, rouge dedans, comme dernière pièce de vêtement. C’est mieux une balle de caoutchouc pour  lancer sur le mur du chalet. Ça rebondit plus au retour et c'est moins bruyant qu'une vraie base de baseball. La vraie, elle, je la gardait pro le patro.

 Ma mère n’aimait vraiment pas ça, se faire réveiller par le boum de la balle sur le mur extérieur de sa chambre. C’était pas long qu’elle se lèvait et m’intimait l’ordre de rentrer et de venir déjeuner au lieu "...d'énarver le monde de même". Pas que je voulais l'énerver, mais qu'elle se lève, oui…

À huit heures moins quart, je partais, boîte à lunch dans une main et gant de baseball dans l’autre, vers l’arrêt de bus qui m’emmènerait au camp de jour du patro de Charlesbourg. Au coin de la rue Deschênes (on habitait au 36) pis de la Route 54 (aujourd'hui le boulevard Henri-Bourassa), mes chums sont là, une dizaine, à attendre eux aussi. En attendant l'arrivée du véhicule orange et beige de la compagnie d'autobus de Charlesbourg, on se lance la balle sur le chemin de traverse, deux par deux, ou un par deux si on est un chiffre impair.

Dans le bus, on cause baseball. Pas des Expos, ils n’existent pas encore, mais de Willie Mays, Willie McCovey, LouBrock, le meilleur voleur de buts de la ligne nationale, mon héros parce qu'il jouait au champ centre et que comme moi, c'était un fatigant de voleur de buts. Il venait d'arriver à Saint-Louis. Déjà, on haïssait les Yankees, même si Sandy Koufax, le merveilleux gaucher lançait pour eux. Moi aussi je suis gaucher, mais je frappais de la droite. Le baseball, on connaissait ça.

Arrivés au patro, on se lançait la balle avant le rassemblement et l’organisation des activités de la journée. Évidemment, il y a du baseball prévu dans toutes les catégories d’âge. Le match commençait à neuf heures et demi le matin pour finir vers 11 h. C’est ensuite la piscine et le dîner. Puis la deuxième partie match reprenait à une heure et quart pour se terminer à trois et quart et demi.

D’habitude, on gagnait, surtout quand les frères Lepire, les meilleurs, étaient avec nous autres. Mais  pas tout le temps. Je ne sais pas pourquoi, mais je me rappelle qu’on perdait surtout quand le ciel était gris et qu’il ventait. Comme si ça me tentait moins ces journées là, pis mon équipe aussi. Mais c’était rare parce qu’il faisait presque tout tout le temps beau, l’été, dans mon enfance.

Fait qu’à trois heures et demi, on a un autre épisode de piscine puis, c’est l’histoire de Ti-Ken Lifeboy, que le frère Paquet racontait en attendant les autobus qui nous ramenaient à la maison à quatre heures et quart. Moi, je ne manquais l’histoire aventureuse de Ti-Ken pour rien au monde, surtout qu’il y avait toujours des prix de présence à gagner. Alors, on s’installait, un chum pis moé, derrière les estrades qui font face au frère Paquet, pis on se lançait la balle en écoutant religieusement  l’histoire.

De retour à la maison vers cinq heures où le souper nous attend déjà. Je m'assois, mon gant sous ma chaise m’attendant impatiemment. Aussitôt la dernière bouchée de dessert avalée, je courais chez le grand Rhéaume pour attendre les gars, deux ou trois Duchesneau, les frère Martineau, le grand Derome aussi, pis quelques autres dont je ne me rappelle plus les noms. Là, les chefs, c’était toujours Rhéaume et un des Martineau, se lançaient le batte tête en bas, trois fois. Le dernier qui l’attrape s’avance vers l’autre et, chacun son tour, empile sa main au-dessus de celle de l’autre. Celui qui arrive juste au pommeau du batte sans le toucher, a le premier choix. Qui n’était jamais moi, sauf si j’avais fait plein de coups sûrs la veille.

Ça fait qu’on jouait jusqu’à la noirceur… D’habitude on gagnait. Quand on perdait, on chialait. Y avait toujours un qui avait triché, on en était certain...

Le lendemain, bis repetita, pareil comme dans Sisyphe et son mythe. Tous les jours de l'été, jusqu'au retour en ville pour l'école. En ville, on pensait tu suite à la saison du hockey qui arrivait, mais ça, c'est une autre histoire.

Si j’étais bon au baseball? Meilleur qu'au hockey, ça c'est certain. Assez bon, à dire vrai. Me rappelle la seule fois où le patro de Charlesbourg a publié des statistiques, j’étais deuxième de toutes les catégories avec une moyenne au bâton de 455 sur 45 matchs joués! Soixante dix huit buts volés en 45 parties, deux circuits à l’intérieur, zéro « strike out ». Vous aurez compris que j’étais un petit vite, dont on ne se méfiait pas trop. C’est pour ça que j’héritais toujours du champ centre alors que je bavais d’envie de jouer au premier but.

Mais à 16 ans, de retour en ville l’été parce que mes parents avaient vendu leur chalet pour acheter un char, j’ai enfin joué au premier. On jouait avec la même routine, matin, et après midi, au Parc Victoria, et le soir rue Belleau, coin Christophe-Colomb…

J'ai arrêté de jouer régulièrement rendu au cégep. Mais, à l'occasion, on se retrouvait au parc pour une partie improvisée. Il est même arrivé, quand on entendait des balles claquées au stade municipal, qu'on se faufile par un trou de la clôture pour aller voir pratique les joueurs des Carnavals : Gary Carter, Ellis Valentine et Warren Cromartie entre autres. Même, que parfois, on courait les balles qu'ils ne voulaient pas attraper. Nous, on les attrapait!

Des filles? Ben non, y en n’avaient comme pas à notre chalet, on dirait. En tout cas, je ne m’en souviens pas d’une seule. Sauf ma cousine Hélène, si tellement belle. Mais comme elle restait à Chicoutimi… Pis au patro, y avait pas de filles non plus parce qu’il y avait un patro des filles qui n’était le même que le nôtre, même si on partageait la même piscine… mais pas aux même heures évidemment. On les voyait juste passer, en rang, entourées de monitrices et de bonnes sœurs… Mais on n'était pas sexistes. On ne savait même pas qu'il y avait des filles à la campagne. En ville, par contre, ça a été une toute autre histoire!

Jazz et baseball

Vous ne le saviez p't'être pas, mais il y a un lien entre le baseball et le jazz où il est démontré que les deux arts sont nègres. Un article du Pueblo Chieftain. Même que le baseball serait à l'origine du jazz selon le Boston Globe!!!


Et il y a le Great Jazz Trio, formé de trois des grands de la chose jazziste, le pianiste Hank Jones, son frère Elvin qui a fait les 400 coups avec John Coltrane, et le bassiste Richard Davis, un as de l'archet, qui ont concocté un album swinguant illustré par un terrain de balle. Merci Stéphane Picher! 

dimanche 7 octobre 2012

Que la vie soit!




Y a cette lettre qu’un père écrit à son fils, lettre que j’aurais bien aimé avoir écrite moi-même au mien qui a une petite Maëllie si vivante. Elle est courte, la lettre, et intense. La voici :

Cher fils,
Tu lis cette lettre aujourd’hui parce que c’est le jour le plus important de ta vie. Tu es sur le point d’avoir ton premier enfant. Cela signifie que cette vie que tu as bâtie aux prix de tant d’efforts, que tu as conquise et que tu as gagné, a atteint le moment où elle ne t’appartient plus.

Ce bébé sera le nouveau maître de ta vie. L’unique raison de ton existence. Tu lui abandonneras ta vie. Tu  lui donneras ton cœur et ton âme parce que tu voudras qu’il soit fort et assez courageux pour prendre toutes ses décisions sans toi. Pour que, lorsqu’il sera assez vieux, il n’ait plus besoin de toi.
C’est parce que tu sais, qu’un jour, tu ne seras plus là pour lui.

Quand tu accepteras qu’un jour, tu mourras, tu profiteras vraiment de la vie. C’est ça le grand secret. C’est ça le miracle. Ta vie ne t'appartient plus désormais tout comme la mienne, le jour où tu es né. 

Je t'écris cette lettre pour te féliciter et admettre que tu n'as plus besoin de moi.

Ton père



Cette belle lettre est tirée de Daytripper, une bande dessinée réalisée par deux frères aussi jumeaux que brésiliens, qui s’appellent Fabio Moon et Gabriel Ba, comme on ne s’y attend évidemment pas. Et elle raconte la vie et les morts de Bras de Oliva Domingos, apprenti écrivain qui gagne sa vie comme nécrologue dans un journal. Forcément, ça parle beaucoup de la mort. Le héros, d’ailleurs, meurt à chaque chapitre. Mais il est toujours là au suivant.

Amours réussies...

Ça parle d’amours tordues et d’autres très réussies, ça parle d’amitié dans les grandes mesures. Bref, plus que tout, ça parle de mots et de la vie. C’est ce que j’ai lu de mieux dans le genre depuis le magnifique Combat ordinaire de Manu Larcenet. Daytripper est un livre touchant, émouvant, le dessin est à l’avenant et les couleurs, chaudes et bienfaisantes. C’est publié chez Vertigo Urban Comics. Bonne lecture!

Vélo, sniff…

Bon, sniff, finie la saison d’exaltantes sorties de vélo avec le Club de vélo de Portneuf, les samedis matin. Quel bel été on a eu à rouler en (belles) gangs dans les rangs de Portneuf! Le soleil et la chaleur criaient présents (!) à tous les rendez-vous, suscitant l’ardeur et le bonheur des rouleurs et rouleuses. Oh, il y a bien eu du vent; il vente toujours un peu sur le plateau portneuvois et le long du fleuve. Mais rien pour casser le cycliste. Juste assez pour lui donner un peu plus le goût de l’effort.

Tout un été à voir, sorties après sortie, les champs prendre toutes les variantes de vert et or possible, faisant croître à une vitesse étonnante, céréales, fruits et blé d’inde, renouvelant, enrichissant sans cesse le paysage. Et que dire de ce fleuve sur lequel le soleil mirait ses reflets d’argent pur et que nous longions sur des dizaines de kilomètres le long route 138, véritable autoroute à vélo durant les weekends!

Mais ce dont je  vais me souvenir le plus de ce premier été à rouler en groupe, c’est la gentillesse et la solidarité des membres de ce club. Pas question de laisser tomber un co-équipier en difficulté. Ça crie -1! aux rouleurs de tête et tout le monde ralentit. Le groupe se reforme et on repart pour la gloire. J’ai roulé tout l’été dans le groupe des 28/kmh et ça se défonçait allègrement, faisant régulièrement grimper la moyenne… surtout quand le parcours était plat. Tout le monde était toujours tout sourire durant les pauses et personne ne se prenait pour Armstrong ou Contador à vouloir faire chier les autres. Au contraire! Me semble que l’hiver va être long avant de pouvoir renouer avec ces belles sorties. Merci gang!!!!

Le Vivaldi de Riccardo Minasi


Les violonistes italiens, depuis une dizaine d’années, se sont réappropriés le riche héritage de leurs ancêtres musiciens des 17e et 18e siècles. Le prêtre roux, Antonio Vivaldi, est l’un de ceux qui bénéficient le plus de cet engouement. On a qu’à penser aux beaux enregistrements de Giuliano Carmignola avec l’Orchestre baroque de Venise, ou ceux d’Enrico Onofri avec Il Giardino Armonico. Et là, ne voilà –t-il pas qu’un autre jeune s’y met avec ravissement, subtilité et énergie. Il s’appelle Riccardo Minasi et dirige un orchestre qui s’appelle Il Pomo d’Oro.

Déjà, ce jeunot a toute une feuille de route : membre du concert des Nations de Jordi Savall, il fréquente aussi Il Giardino Armonico, le concerto Italiano, l’Accademia Bizantina et une dizaine d’autres tous aussi spécialisés dans les musiques baroques. Notre violoniste a même été le conseiller de Kent Nagano et de notre OSM en matière de pratique historique. Et alors?

Alors, la maison Naïve, qui est en voie d’éditer en musique tout le contenu de la bibliothèque de Turin qui recèle une quantité phénoménale d’œuvres de Vivaldi, a demandé à Minasi de réaliser le quatrième volume des concertos pour violon de la série. Ce sont, pour la plupart des œuvres de la dernière maturité du compositeur et c’est joué avec une verve et un amour, une passion pour cette musique qui pourrait bien être redondante si elle n’était si bien jouée. Un album qu’on écoute en boucle sans se lasser des découvertes qu’on y fait chaque fois. Ça s’entend ici!!

Julos, le balbuzard fluviatile!!
Il a 76 ans, Julos, et, plus que jamais il chante la bonté, l’amour, la tendresse, dénonce l’oppression, la violence. Il le fait avec une poésie rare qui lui est unique, reconnaissable à chaque mot, chaque tournure de phrase. On la connaît, mais on ne se lasse pas de la redécouvrir à chaque tournant, surtout lorsqu’il est question un peu de chez nous comme dans Le balbuzard fluviatile.
Il y est question du balbuzard qui fréquente notre fleuve, bien sûr, de Trois-Pistoles aussi. Il chante Vigneault (Je ne dirai plus je vous aime), récite Alphonse Allais, Baudelaire et l’immense Paul Éluard. Et on sourit, on est bien avec ces mots si beaux, même les plus terribles, avec cette voix si fragile et si forte à la fois. Julos est éternel… Une chance, parce que la bonté ne ferait pas long feu sur cette planète, s’il n’était plus là.

dimanche 2 septembre 2012

Soleil, vélo, radio…


Lui, à gauche, c'est mon ami Denis Jodoin. Ensemble, nous avons parcouru
la Gaspésie à vélo et roulé les 111 km du Cyclo-Défi de Québec.


Y a des matins comme celui-ci où tout est doux et tendre. Le soleil entre tout discrètement dans la chambre, de côté pour flatter les murs de bois et teindre la chambre d’un beau jaune or. Y a Loulou qui se réveille lentement et Max le chat qui, d’un bond tout en souplesse, atterrit près d’elle.

Je fais semblant de dormir, pour profiter en toute conscience du bien-être que je sens à mes côtés. Loulou lit et flatte le Max qui ronronne comme une tondeuse. Je m’étire, sourit à mon amour, me colle à elle et lui masse délicatement le front. Sont deux à ronronner maintenant. Nos caresses s’intensifient, le chat s’endort, et Loulou et moi profitons avec beaucoup de tendresse des moments qui suivent.

Un beau matin qui, par la suite, nous amène au fleuve presqu’étale que nous traversons de Neuville à Saint-Antoine-de-Tilly où nous allons titiller le quai avant de revenir à la maison. Max dort toujours dans notre lit.

Yoga sur l'eau!!

Un bel été


Pas de radio de l’été, pas de chronique du lundi non plus. Du kayak un peu, des vacances merveilleuses avec ma douce Loulou et de grands amis, Denis et Johanne, dans ce que la Gaspésie a de plus poétique; sa mer, ses côtes et ses gens. Et du vélo, quelques milliers de kilomètres de vélo, dans Portneuf, dans Champlain, Québec et aussi en Gaspoésie, avec Denis, avec le Club de vélo de Portneuf ou tout seul, comme un grand le plus souvent. Du vélo intense, euphorisant, tripatif, énergisant.

Mes kayakeux d'amis, Denis, ma douce Loulou et Jo.

Alors voilà, la radio recommence pour moi en ce lundi 3 septembre, la veille de ce jour important qui devrait, enfin, nous débarrasser des libéraux. Je reprends un chronique de disques qui s’intitulera «  Les découvertes de Gilles Chaumel » et qui passera tous les lundis, à 16 h, au beau milieu de l’émission du retour à la maison de CKRL, 89,1, animée par mon amie Tanya Beaumont. J’y proposerai des nouveautés dans les genres que je connais, folk, blues, classique, jazz, chanson franco et certains incontournables (à mon sens) de la pop. Je me ferai aussi un plaisir de ramener des enregistrements qui me semblent marquants mais qui sont passés sous le radar de la connaissance.

Tiens, voici la primeur de ma première chronique, du moins en partie. Je vous inviterai à découvrir le nouvel opus de la délicate Eleni Mandell, le monde tourmenté de spirituals du bluesman Kelly Joe Phelps, la musique folle et totalement éclatée du saxophoniste-clarinettiste Louis Sclavis et la réédition de la bienfaisante Musique de Table de Téléman par le Musica Antiqua Köln de Reinhard Goebel parue initialement en 1988.

Eleni Mandell


Fille de la côte ouest américaine, émule de Tom Waits dont elle a retenu avant tout la tendresse et faculté de raconter en douceur des histoires tristes et parfois un peu trash, la chanteuse et compositrice Eleni Mandell vient de faire paraître I Can See The Future, son huitième album. Il s’agit d’une œuvre délicate, faite de chansons douces et, étonnamment, heureuses comme vous pouvez vous en rendre compte en écoutant ce Magic Summertime, qui, ma foi, ressemble drôlement au merveilleux été que nous vivons.

La folk, la country (Bun In The Oven), la pop s’y rencontrent heureusement dans une douce amertume, oui, mais surtout une sorte de laisser-aller, de relaxation musicale qui du bien tellement de bien. « Good Feelin’ Music », diront les anglos…

Kelly Joe Phelps

Avec Brother Sinner & The Whale, le guitariste folksinger Kelly Joe Phelps nous amène, à sa manière inimitable, dans le monde du gospel. Sa manière, c’est la voix et la guitare, tous seuls, tous nus, pour raconter, ici des histoires religieuses auxquelles il croit et qu’il chante, sur des rythmes de blues tout en langueur, avec sa belle voix enfumée. Mais ce qui marque surtout, dans le 11e album du Vancouverois, c’est la merveilleuse dextérité de guitariste hors norme, un jeu délicat, chaleureux, savant comme on peut l’entendre sur Brother Pilgrim, la dernière composition de l’album. Du folkblues à son meilleur, à découvrir particulièrement avec des chansons comme Goodbye To Sorrow ou Hope In The Lord To Provide ou, ou n’importe quelle autre.

Louis Sclavis

Ici, ça se corse. Louis Sclavis a fait, fait et fera toujours dans le jazz le plus libertaire qui soit. Sources, en trio, avec le claviériste Benhamin Moussay (piano et Fender rhodes) et le guitariste Gilles Coronado, permet au clarinettiste lyonnais Louis Sclavis de développer une autre facette de son style unique, de son monde fait à la fois d’énergie brute, d’africanité dans les rythmes et les sonorités (Près d’Hagondange), et d’onirisme (Dresseur de nuages).
Vous l’aurez compris, la musique de Sclavis s’adresse aux oreilles musclées, aux découvreurs de sonorités rares et rondes (ah, la clarinette basse!!), de rythmes hachurés, saccadés, de contours flous, d’inattendus. Le jazz le plus ouvert possible!!!

La Musique de Table de … Reinhard Goebel


Le violoniste allemand Reinhard Goebel a fondé l’ensemble Musica Antiqua Köln à la fin des années 1970 pour toute sa force et sa vérité à la musique baroque, allemande plus particulièrement. Avec lui, pas dans quartier dans les rythmes, l’articulation, voire l’improvisation. Avec lui, J.S. Bach y a gagné en énergie et en folie rythmique. À cet égard, son enregistrement des concertos brandebourgeois (Arkiv) reste une référence absolue. On peut aussi dire la même chose de la Musique de Table de son contemporain George Philipp Teleman, le musicien le plus populaire dans l’Europe de la première moitié du 18e siècle.

Auteur prolifique (plus de 2 000 œuvres), il a à mon sens, écrit tant de platitudes, que les gens de l’époque sont bien chanceux que l’ascenseur n’ait pas existe. Sa musique y aurait fait fureur. Par contre, sa Musique de Table, telle que jouée par l’équipe de Reinhard Goebel dans cette réédition d’un enregistrement de 1988, a tout pour réjouir le mélomane. On y trouve les différentes formes musicales pratiquées à Hambourg en 1732, l’ouverture à la française, le trio et le quatuor pour différents instruments où la flûte, le hautbois ou le violon prennent tour à tour le rôle de soliste, la sonate aussi.
Pour une fois, la musique est inspirée et ne déparera aucun de vos repas ou de vos soirées, à moins que ce ne soient vos matinées dominicales. Au contraire, on y trouve tantôt de la grandeur, tantôt de l’intimité et, toujours, un goût sûr… et non amer. Une magnifique musique baroque!!!

mercredi 4 juillet 2012

Jazzons donc un peu


Deux pianos à la Maison symphonique de Montréal


Comme presque à chaque année depuis maintenant près de trois décennies, je m’immerge dans le Festival international de jazz de Montréal, le temps de quelques concerts. Plusieurs ont été mémorables, comme me le rappelait il y a quelques jours, mon (grand) ami Martin Bolduc, le plus fidèle de mes compagnons d’excursions jazzistes : le saxo ténor George Adams et son ami le pianiste Don Pullen, le saxo Chico Freeman et le pianiste Mal Waldron, le quartet de Charles Lloyd avec la pianiste Geri Allen, le Clarinet Summit qui a réuni, le temps de quelques concerts, quatre des plus grands clarinettistes de l’histoire du jazz en Jimmy Hamilton, Alvin Batiste, John Carter et David Murray.

Il y eu aussi les prestations zorniennes de 2010 de même que l’étonnante prestation du pianiste Ahmad Jamal qui a célébré ses 80 ans avec fulgurance accompagné d’un duo non moins énergique. Et j’en passe… Herbie Hancock, avec le bassiste Dave Holland et le batteur Jack De Johnette, le World Saxophone Quartet et même l’imbuvable Keith « Liberace » Jarrett dont j’ai quitté la prestation au bout d’une demi heure, n’en pouvant plus de la prétention et de la grossièreté de ce petit, très petit homme.

Frisell, imagine!!


Cette année, c’est l’équipe de l’inventif guitariste Bill Frisell (Tony Schierr à la basse, Kelley Wollesen à la batterie et Greg Leisz à la guitare clavier?) et leur assez fantastique hommage à John Lennon (All We Are Saying)

Délaissant le terreau fertile des musiques trads américaines qui l’a tant inspiré depuis plus de 20 ans, l’artiste et son groupe se sont plongés dans une musique d’origine pop archi connue, la baignant d’une influence jazz de haut niveau avec des introductions improvisées à la guitare si tordues que les musiciens avaient l’air de se demander où Frisell s’en allait avec ses doigts. Et puis deux ou trois notes de Julia, d’In My Life, ou d’Across the Universe leur permettait d’embarquer dans le voyage étonnant du leader, lequel devait réserver ses prestations les plus étourdissantes au cœur de Come Together et Strawberry Fields Forever où, délaissant sa retenue habituelle, il est parti dans de furieux solis qui n’étaient pas rappeler un certain Frank Zappa. Une heure et trois quart de pur bonheur, Imagine!

Barber/Werner, musique de chambre


Je voulais entendre l’auteure-compositeure, pianiste et chanteuse Patricia Barber en compagnie d’un autre pianiste, le secret Kenny Werner, parce qu’il me semblait que c’était là un des rares concerts vraiment jazz de l’édition 2012 de ce festival de moins en moins jazz, me semble-t-il. Patricia Barber est une véritable créatrice, une voix jazzistique en elle-même et son style pourrait bien être celui d’un de ses meilleurs albums, Modern Cool. Avec sa voix grave et chaude, malgré son peu d’amplitude, elle séduit tout de suite. Non seulement par le chant, mais aussi par son jeu de piano raffiné doucement et étrangement bluesé. En cela, Kenny Werner, ne lui cède en rien, ajoutant une touche de virtuosité à l’atmosphère feutrée imposée par dame Barber.

Martin, lui, s’y est intéressé pour une raison de plus; le concert avait lieu dans le sein des saints, la Maison symphonique, toute ne acoustique, dit-on. Wow, deux pianos seuls dans cette enceinte, ce devait être une béatitude pour les oreilles et l’âme. Il a tellement eu raison! D’ailleurs, on peut entendre un peu ici, ce que ça donnait!!

J’aime Patricia Barber pour son Modern Cool sorti deux ans avant le début du 21 siècle et qui met en scène, entre autres, le merveilleux contrebassiste Michael Arnapol et le trompettiste de la modernité, Dave Douglas. Un album majeur du jazz moderne, tout comme le sont Verse et Mythologies ou elle s’investit avec une intelligence hors du commun dans la poésie d’Ovide. En jazz, faut le faire!

J’aime Kenny Werner pour cet hommage à New York (New York Love Songs) avec lequel je l’ai découvert. Du piano solo intimiste où l’amour est transposé en musique, amour des siens et de sa ville, éloge à la beauté. Point.

Jazz-t-on encore au FIJM?


C’est la question que je me suis posée en regardant la programmation de l’édition du plus gros festival de jazz du monde, à ce qu’on dit. De tous les spectacles annoncés en primeur, aucun n’était le fait d’artiste de jazz. Des poppeux en vedette partout.

C’est pourquoi j’avais choisi Patricia Barber et Kenny Werner, de vrais pianistes de jazz, et en duo en plus, une rareté. Outre Bill Frisell, je ne voyais pas beaucoup d’artistes de jazz intéressants. C’est vrai que j’ai complètement raté le trompettiste Ambrose Akinmusire que j’aurais bien aimé entendre. Même pas vu le nom. Faut dire que les jazzmen et jazzwomen se perdaient dans la foule des musiciens pop et de ceux qui pratiquent la musique dite du monde.

Martin et moi, on était d’accord, le FIJM se déjazzéifie de plus en plus.  Mais le chroniqueur Philippe Rezzonico, de la vénérable maison de Radio-Canada, a une autre opinion qu’il vaut la peine de lire. Oui, il y a encore du jazz au Festival plus que dans n’importe quel autre festival du genre sur la planète. C’est son point de vue et il l’illustre fort bien!

Palatino

Bon. Il est vrai que les grands disques de jazz se font rares, aussi.  Mais même Boris Vian, en son temps, déplorait la chose. Elle n’est donc pas neuve. C’est pourquoi il ne faut pas bouder notre plaisir en écoutant le Back In Town d’un quartet orignal qui réunit le contrebassiste français Michel Benita, le tromboniste américain Glenn Ferris et les Italiens Polo Fresu (trompette) et Aldo Romano (baterie) sous le nom de Palatino.

« Surgi au mitan de la décennie 1990, Palatino a réveillé le jazz européen par son audace et sa décontraction », explique Loïc Picaud, chroniqueur à Music Story (un site français, évidemment). Et c’est tout à fait ça, audace et décontraction. Audace d’une formation qui réunit trompette et trombone comme solistes, et décontraction d’un swing sans cesse renouvelé, rajeunissant le bop, le modernisant avec un sourire de tous les instants !

Patti Smith


Je ne connais pas trop la carrière de l’impétueuse Patti Smith, pas tellement attiré par la rage de sa musique. Mais là, je dois avouer que je suis un peu scié. Banga, son dernier opus, où elle célèbre tant Bougalkov que les acteurs Maria Schneider et Johnny Depp où la chanteuse Amy Wynehouse. À 65 ans, la Patti a la voix profonde et grave d’un poète d’outre-tombe et raconte, dans Constantine’s Dream (un texte quasi mystique d’après Le Rêve de Constantin, de Piero della Francesca), elle chante et récite avec la conviction des artistes bénis des dieux des chansons foutument bien écrites et inspirées. Un grand disque de rock !

Domenico Gabrielli


Le jazz existait-il au 17e siècle. On n’est pas loin de le croire en écoutant l’étrange album du violoncelliste Bruno Cocset et ses musiciens des Basses réunies. Intitulé La Nascita del Violoncello, (la naissance du violoncelle), le disque présente surtout l’œuvre de Domenico qui, en 1689, publiait le premier livre de musique pour violoncelle de l’histoire, quelque 30 ans avant les célèbres suites pour violoncelle d’un dénommé Jean-Sébastien Bach. À travers les passagallia, ricercar et sonata, c’est à une œuvre de défricheur à laquelle on assiste, des pièces où l’improvisation est à l’honneur, d’autres qui sont des études de sonorités pour ce nouvel instrument dont on ne recense la première mention qu’en 1665. C’était beaucoup cela, la musique du premier barrique, pas encore figée dans ses formes définitives de sonares, concertos u symphonie, une musique qui se définissait au fur et à mesure qu’elle s’émancipait de la voix. Une musique qui évoluait sans cesse sous le coup de la recherche et de l’improvisation.

Ici, on entend le violoncelle seul, en duo, ou avec l’ensemble formé de violoncelles, contrebasse et orgue ou clavecin (d’où le nom de Basses réunies). Et c’est tout bon, joué de mains de maîtres baroques sur des copies magnifiques d’instruments d’époques. Et, grâce au splendide livret qui accompagne l’album, on apprend tout de l’instrument, de son évolution dans les premières années de son existence et sur l’œuvre du violoncelliste bolognais. Une découverte, toute une! Tiens, écoutez…