mercredi 4 juillet 2012

Jazzons donc un peu


Deux pianos à la Maison symphonique de Montréal


Comme presque à chaque année depuis maintenant près de trois décennies, je m’immerge dans le Festival international de jazz de Montréal, le temps de quelques concerts. Plusieurs ont été mémorables, comme me le rappelait il y a quelques jours, mon (grand) ami Martin Bolduc, le plus fidèle de mes compagnons d’excursions jazzistes : le saxo ténor George Adams et son ami le pianiste Don Pullen, le saxo Chico Freeman et le pianiste Mal Waldron, le quartet de Charles Lloyd avec la pianiste Geri Allen, le Clarinet Summit qui a réuni, le temps de quelques concerts, quatre des plus grands clarinettistes de l’histoire du jazz en Jimmy Hamilton, Alvin Batiste, John Carter et David Murray.

Il y eu aussi les prestations zorniennes de 2010 de même que l’étonnante prestation du pianiste Ahmad Jamal qui a célébré ses 80 ans avec fulgurance accompagné d’un duo non moins énergique. Et j’en passe… Herbie Hancock, avec le bassiste Dave Holland et le batteur Jack De Johnette, le World Saxophone Quartet et même l’imbuvable Keith « Liberace » Jarrett dont j’ai quitté la prestation au bout d’une demi heure, n’en pouvant plus de la prétention et de la grossièreté de ce petit, très petit homme.

Frisell, imagine!!


Cette année, c’est l’équipe de l’inventif guitariste Bill Frisell (Tony Schierr à la basse, Kelley Wollesen à la batterie et Greg Leisz à la guitare clavier?) et leur assez fantastique hommage à John Lennon (All We Are Saying)

Délaissant le terreau fertile des musiques trads américaines qui l’a tant inspiré depuis plus de 20 ans, l’artiste et son groupe se sont plongés dans une musique d’origine pop archi connue, la baignant d’une influence jazz de haut niveau avec des introductions improvisées à la guitare si tordues que les musiciens avaient l’air de se demander où Frisell s’en allait avec ses doigts. Et puis deux ou trois notes de Julia, d’In My Life, ou d’Across the Universe leur permettait d’embarquer dans le voyage étonnant du leader, lequel devait réserver ses prestations les plus étourdissantes au cœur de Come Together et Strawberry Fields Forever où, délaissant sa retenue habituelle, il est parti dans de furieux solis qui n’étaient pas rappeler un certain Frank Zappa. Une heure et trois quart de pur bonheur, Imagine!

Barber/Werner, musique de chambre


Je voulais entendre l’auteure-compositeure, pianiste et chanteuse Patricia Barber en compagnie d’un autre pianiste, le secret Kenny Werner, parce qu’il me semblait que c’était là un des rares concerts vraiment jazz de l’édition 2012 de ce festival de moins en moins jazz, me semble-t-il. Patricia Barber est une véritable créatrice, une voix jazzistique en elle-même et son style pourrait bien être celui d’un de ses meilleurs albums, Modern Cool. Avec sa voix grave et chaude, malgré son peu d’amplitude, elle séduit tout de suite. Non seulement par le chant, mais aussi par son jeu de piano raffiné doucement et étrangement bluesé. En cela, Kenny Werner, ne lui cède en rien, ajoutant une touche de virtuosité à l’atmosphère feutrée imposée par dame Barber.

Martin, lui, s’y est intéressé pour une raison de plus; le concert avait lieu dans le sein des saints, la Maison symphonique, toute ne acoustique, dit-on. Wow, deux pianos seuls dans cette enceinte, ce devait être une béatitude pour les oreilles et l’âme. Il a tellement eu raison! D’ailleurs, on peut entendre un peu ici, ce que ça donnait!!

J’aime Patricia Barber pour son Modern Cool sorti deux ans avant le début du 21 siècle et qui met en scène, entre autres, le merveilleux contrebassiste Michael Arnapol et le trompettiste de la modernité, Dave Douglas. Un album majeur du jazz moderne, tout comme le sont Verse et Mythologies ou elle s’investit avec une intelligence hors du commun dans la poésie d’Ovide. En jazz, faut le faire!

J’aime Kenny Werner pour cet hommage à New York (New York Love Songs) avec lequel je l’ai découvert. Du piano solo intimiste où l’amour est transposé en musique, amour des siens et de sa ville, éloge à la beauté. Point.

Jazz-t-on encore au FIJM?


C’est la question que je me suis posée en regardant la programmation de l’édition du plus gros festival de jazz du monde, à ce qu’on dit. De tous les spectacles annoncés en primeur, aucun n’était le fait d’artiste de jazz. Des poppeux en vedette partout.

C’est pourquoi j’avais choisi Patricia Barber et Kenny Werner, de vrais pianistes de jazz, et en duo en plus, une rareté. Outre Bill Frisell, je ne voyais pas beaucoup d’artistes de jazz intéressants. C’est vrai que j’ai complètement raté le trompettiste Ambrose Akinmusire que j’aurais bien aimé entendre. Même pas vu le nom. Faut dire que les jazzmen et jazzwomen se perdaient dans la foule des musiciens pop et de ceux qui pratiquent la musique dite du monde.

Martin et moi, on était d’accord, le FIJM se déjazzéifie de plus en plus.  Mais le chroniqueur Philippe Rezzonico, de la vénérable maison de Radio-Canada, a une autre opinion qu’il vaut la peine de lire. Oui, il y a encore du jazz au Festival plus que dans n’importe quel autre festival du genre sur la planète. C’est son point de vue et il l’illustre fort bien!

Palatino

Bon. Il est vrai que les grands disques de jazz se font rares, aussi.  Mais même Boris Vian, en son temps, déplorait la chose. Elle n’est donc pas neuve. C’est pourquoi il ne faut pas bouder notre plaisir en écoutant le Back In Town d’un quartet orignal qui réunit le contrebassiste français Michel Benita, le tromboniste américain Glenn Ferris et les Italiens Polo Fresu (trompette) et Aldo Romano (baterie) sous le nom de Palatino.

« Surgi au mitan de la décennie 1990, Palatino a réveillé le jazz européen par son audace et sa décontraction », explique Loïc Picaud, chroniqueur à Music Story (un site français, évidemment). Et c’est tout à fait ça, audace et décontraction. Audace d’une formation qui réunit trompette et trombone comme solistes, et décontraction d’un swing sans cesse renouvelé, rajeunissant le bop, le modernisant avec un sourire de tous les instants !

Patti Smith


Je ne connais pas trop la carrière de l’impétueuse Patti Smith, pas tellement attiré par la rage de sa musique. Mais là, je dois avouer que je suis un peu scié. Banga, son dernier opus, où elle célèbre tant Bougalkov que les acteurs Maria Schneider et Johnny Depp où la chanteuse Amy Wynehouse. À 65 ans, la Patti a la voix profonde et grave d’un poète d’outre-tombe et raconte, dans Constantine’s Dream (un texte quasi mystique d’après Le Rêve de Constantin, de Piero della Francesca), elle chante et récite avec la conviction des artistes bénis des dieux des chansons foutument bien écrites et inspirées. Un grand disque de rock !

Domenico Gabrielli


Le jazz existait-il au 17e siècle. On n’est pas loin de le croire en écoutant l’étrange album du violoncelliste Bruno Cocset et ses musiciens des Basses réunies. Intitulé La Nascita del Violoncello, (la naissance du violoncelle), le disque présente surtout l’œuvre de Domenico qui, en 1689, publiait le premier livre de musique pour violoncelle de l’histoire, quelque 30 ans avant les célèbres suites pour violoncelle d’un dénommé Jean-Sébastien Bach. À travers les passagallia, ricercar et sonata, c’est à une œuvre de défricheur à laquelle on assiste, des pièces où l’improvisation est à l’honneur, d’autres qui sont des études de sonorités pour ce nouvel instrument dont on ne recense la première mention qu’en 1665. C’était beaucoup cela, la musique du premier barrique, pas encore figée dans ses formes définitives de sonares, concertos u symphonie, une musique qui se définissait au fur et à mesure qu’elle s’émancipait de la voix. Une musique qui évoluait sans cesse sous le coup de la recherche et de l’improvisation.

Ici, on entend le violoncelle seul, en duo, ou avec l’ensemble formé de violoncelles, contrebasse et orgue ou clavecin (d’où le nom de Basses réunies). Et c’est tout bon, joué de mains de maîtres baroques sur des copies magnifiques d’instruments d’époques. Et, grâce au splendide livret qui accompagne l’album, on apprend tout de l’instrument, de son évolution dans les premières années de son existence et sur l’œuvre du violoncelliste bolognais. Une découverte, toute une! Tiens, écoutez…