jeudi 14 février 2013

CKRL, 89,1, mes débuts!







Autrefois, dans les années 1970, il y avait une émission ckrlienne qui est devenue presque mythique et qui s'appelait La Nuit des Rois. Le trop discret et regretté Jacques Parent l'animait avec brio et humilité. C'était, en ce qui me concerne, une sorte de pendant à une autre émission de radio de grand renom, radio-canadienne celle-là, qui s'appelait Le Cabaret du Soir qui Penche que menait Guy Maufette.

Un Soir, le Jacques Parent en question, grand mélomane devant l'éternel et disquaire dans les grands magasins de musique de l’époque ( 33/45, Sherman, Musique d’Auteuil) a fait jouer une œuvre saisissante. Je n’en n’avais jamais entendu de semblable. Ça s’appelait la Sonnerie de Sainte-Geneviève-du-Mont de Paris et son auteur, Marin Marais, était violiste et compositeur à la cour de Louis XIV. L’œuvre, une série de variations pour violon, viole et basse continue, reprenait tout simplement le ding deng dong de la cloche. Ai-je écrit simplement, ai-je écrit ? Non mais… Une magnifique progression harmonique qui monte en un feu d’artifice sonore  des plus saisissant.

J’étais en train de peinturer mon salon quand j’ai entendu cette œuvre et j’en suis presque tombé de mon escabeau! Je me souviens même du moment, moi qui n’ai pas la mémoire des dates. Mai 1977. Hé bien, c'est par cette œuvre que je suis venu à CKRL, me disant qu'un jour, moi aussi je la ferais passer. Et d’autres comme ça, des trésors musicaux rares, qu’on n’entend nulle part et que je ferais découvrir à mon tour à des âmes curieuses. Ça m'aura pris 10 ans pour m’y mettre.

Il aura fallu que le grand Martin (Bolduc), ami de toujours, m’y initie par une nuit du jazz de 1985. Avec nous, il avait invité le batteur Pierre Tanguay, qui est devenu depuis un des meilleurs de la scène musicale montréalaise. J’ai adoré l’expérience. Tellement que je me suis rappelé la fameuse Sonnerie musicale de la décennie précédente. Et comme, à l’époque comme aujourd’hui, j’errais déjà entre les disquaires de neuf et d’usager, je ne pouvais faire autrement que de tomber sur cet étrange personnage à la tête blanche et aux lunettes ovales cerclées de métal qui me piquait toujours les enregistrements que je convoitais. Jean Perron qu’il s’appelait. Pas le gars du hockey, évidemment. Je pense qu’il n’a jamais dû voir un match de sa vie. Non, le gars des mots (il travaillait à l’Office de la langue française), le gars qui n'écoute jamais la même musique que les autres, Perron qui vouvoie tout le monde sauf sa blonde et moi. Cherchez l’erreur.

Alors je lui ai dit : « Perron, quesses-tu dirait si on faisait une émission de radio de musique ancienne sur instruments d’époques le dimanche matin à CKRL ? » Comme il est de nature discrète, je pensais qu’il m’enverrait paître. D’autant plus que ma proposition cachait mal mon hypocrisie de pouvoir enfin écouter les disques qu’il chippait avant moi chez les revendeurs. Bref, c’était une proposition intéressée. Bref, à mon grand étonnement, il a dit oui. Faut dire qu’il a tout du missionnaire et qu’il ne pouvait souffrir la version sireupse de 46 violons des « canons de Pachelbel » qu’on pouvait entrendre sur les radios du temps. « Ces connards-là  ne savent même pas que c’est un canon à trois voix pour violon et basse continue », qu’il fulminait. Enfin fulminer est un grand mot.

Il ne fulmine pas vraiment le Perron, il ironise, il sarcasmise, il se moque sans en avoir l’air tout en ayant l’air. Alors, un dimanche matin de janvier 1986, nous faisions notre première apparition à La Folia, l'émission de musique ancienne que venions de créer.  Aux commandes de la mise en ondes, Martin Bolduc ! Mais ça, ça a été de très courte durée. C’est un lève-tard, le Martin et on a eu affaire à apprendre assez vite merci à maîtriser la technique.

La première feuille de route de La Folia, le 26 janvier 1986

Et c’est ainsi, mesdames et messieurs, que j’ai pu proposer aux auditeurs, 10 ans durant, l’une ou l’autre version de la Sonnerie, comme celle-ci…


Vous dire que cette émission a connu un buzz des années durant est un euphémisme. Il nous est même arrivé d’organiser un concert live à bibliothèque Gabrielle-Roy (avec l’ensemble Nouvelle-France) qui a quasiment fait salle comble!!!

La Folia a durée 10 ans. Elle s'est poursuivie avec Chaconne et continue avec Continuo qu'anime maintenant le professeur Denis Grenier. C'est dire que depuis plus d'un quart de siècle, la musique ancienne tient l,affiche tous les dimanches matins , de 8 h à 11 h sur les ondes de la plus vieille radio communautaire francophone du monde!

Il faut dire que, durant les années précédant le changement de siècle, les musiques anciennes, particulièrement la musique baroque a connu une certaine popularité, entre autres grâce au magnifique film d'Alain Cornaud Tous les matins du monde que vous pouvez visionner intégralement en cliquant sur le titre.

Musique anciennes, musiques modernes
D’où vient cette fascination pour les musiques dites anciennes ? C’est comme pour le jazz, je vous dirais. Elles faisaient parties de ces choses rares ou perdues que l’on redécouvrait de semaine en semaine avec les nombreuses parutions des Éditions de l’Oiseau-Lyre (Decca), Archiv (Deutsche Grammophon), Teldec (Telefunken) ou Seon (Sony) qui nous amenaient les toutes nouvelles manières de jouer Bach, Vivaldi ou Handel… à l’ancienne. Ou qui ramenaient à la vie les Johan Jakob Froberger, Johann Caspar Ferdinand Fischer ou, de plus anciens comme Walther von der Vogelweide et autres Hildegarde von Bingen. Et je ne vous parle même pas de tous ces mondes complexes et riches de la Renaissance polyphonique!

J’allais chez Sillons ou Musique d’Auteuil puis chez Sillons pour découvrir le dernier Archie Shepp (avec Dollar Brand), les belles élucubrations du World Saxophone Quartet, mais aussi le grand Gloria de Vivaldi avec l’Academy of Ancient Music, ou la fascinante fantaisie chromatique et fugue de J.S. Bach, jouée ici par le claveciniste et chef d’orchestre français  Christophe Rousset :



Comment oublier la renaissance de cette étonnante personnalité mystique qui nous a valu tant d’appels en ondes, grâce, entre autres, à l’ensemble Sequentia ; cette chère Hildegarde, que La Folia a mis en scène plus que tout autre média  :



Merci Perron, pour ces 10 belles années! Aucun doute, en ce qui me concerne, que le succès de cette émission te revient! T’as toujours été le premier à aller chercher les musiques plus rares avec des trucs d’organ impossibles, les voix de petits garçons que tu affectionnais tant (les voix, bien sûr) parce que bien sûr, les femmes ne chantaient pas à l’église en ces temps-là. T’as été le premier à aller fouiller les tréfonds du Moyen-Âge, toujours prêt à désarçonner l’auditeur qui, malgré tout, suivait… religieusement. Presque en tout cas.

Me revient cette anecdote que l’auditeur qui, vraiment fâché, m’accusait de violence musicale trash si tôt le matin. Il menaçait de porter plainte à la direction de la station! Ce que bien sûr, je l’ai exhorté à faire. Il devait être 8h30 et le violon baroque de Sigiswald Kuijken distillait les notes riches et complexes de la Chaconne pour violon seul de Jean-Sébastien Bach. Alors, voilà, il voulait, à travers moi, porter plainte contre Bach. À CKRL, on ne m’en a jamais reparlé. J

Prochaine chronique : Par 4 copains, Rictus et autres gamineries d’avant-garde mettant en scène Paul Marois, Denis Jodin, Martin Bolduc et moi!

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Maître Gilles,

Tout ce que tu dis de moi sur ton blogue est pour moi d'un trop grand honneur, et, comme tout honneur, il est tendancieusement fallacieux :

- c'est qui le fumeux casse-pied qui voulait inventer la Folia : c'est toi!

- c'est qui le quasi-visionnaire qui voulait créer une émission de musique exclusivement consacrée à la musique ancienne, interprétée de façon la plus contemporaine : c'est-à-dire selon les plus récentes recherches sur les règles d'interprétation que l'on a pu connaître de l'époque avec utilisation d'instruments d'époque : c'est toi!

- c'est qui le forcené bandit qui me brandit pour me forcer à commettre avec lui une émission de musique ancienne évadée de tout cachot grincheux et de quincaillerie organologique * moderne/anachronique : c'est toi!

- c'est qui le fouineur accompli qui trouvait le premier les disques tant recherchés par l'humble novice que j'étais : c'est plutôt toi!

- d'accord, l'imbécile qui aurait dû effectivement t'envoyer paître lorsque tu lui "proposas" de faire, avec toi, une émission de musique ancienne sur CKRL : c'est moi!

- c'est qui les frères ennemis, les joyeux antagonistes qui ont, sans doute, grâce à CKRL, créé une (première) émission d'une durée aussi appréciable consacrée exclusivement à la musique ancienne jouée selon les derniers critères modernes d'interprétation, tout cela dans la joie et le plaisir : c'est toi et moi!

Nous avons eu du bon temps (et j'en ai toujours à chacune de nos rencontres) . Mais tu exagères vraiment en écrivant " que le succès de cette émission te revient!";  c'est faux, ce succès te revient au premier chef (ne serait-ce que parce que c'est toi qui as eu l'idée de cette émission). Sais-tu à quel point je t'en veux pour m'avoir entraîné dans tout cela, mais sais-tu aussi comme j'apprécie toujours ta fidèle camaraderie?


Bon vent, Gilles Chaumel!

perron

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* (d'accord, organologique n'est pas dans le Robert, le Petit ni le Grand, ça n'est pas moins un adjectif qui se rapporte à " L’organologie (du grec ancien ὄργανον (organon) « instrument » et de λόγος (logos) « discours ») a pour objet l'étude des instruments de musique et leur histoire." [http://fr.wikipedia.org/wiki/Organologie]