lundi 16 novembre 2015

Littérature autochtone… blanche



Virginia P. BordeleauLe sorcier et le toucan, 2014.
Photo: Christian Leduc

Depuis quelques dizaines d’années, on commence à lire de la littérature amérindienne et inuit. Quelques auteurs autochtones particulièrement remarquables y font fait leur marque. On peut nommer, entre autres, Louise Erdrich, Sherman Alexis, Joseph Boyden, Thompson Highway, David Trauer ou Thomas King. Au Québec, Yves-Sioui-Durand, homme de théâtre Wendat et Virginia Pésémapéo Bordeleau, romancière, poète, peintre, bref, artiste pluridisciplinaire, comptent parmi les pionniers, à l’instar de la poète innue Joséphine Bacon. Et depuis quelques années également, des auteurs « Blancs » racontent aussi des histoires inspirées de leurs relations avec les mondes autochtones d’Amérique. Deux titres de deux auteurs me viennent spontanément à l’esprit : le Cowboy dérangeant de Louis Hamelin et les si touchantes Histoires nordiques de Lucie Lachapelle. Sans oublier l’œuvre forte de Richard Desjardins, tant en poésie qu’au cinéma. Et cette année, deux jeunes femmes, ayant elles aussi vécu des expériences fortes en milieu autochtone, les ont traduites en mots. Julianna Léveillé-Trudel nous amène à Salluit dans son bouleversant Nirliit et Marie-Christine Bernard nous transporte au cœur du territoire atikamekw de la Haute-Maurice dans son « délicat » Matisiwin.


Avec Nirliit,  nous nous envolons au cœur du Nunavik, sur les rives les plus nordiques du détroit d’Hudson. Envoler est mot juste car la narratrice se rend « chez les gens maigres », à Salluit , avec escale à « odeur de chair pourrie », Purvinituq, « …le Bronx du Nord ( ) un nid de misère parfait pour nourrir la criminalité florissante et rafler années après année le titre de communauté la plus violente du Nunavik (p.16). À son arrivée sur les rives du détroit d’Hudson, la narratrice, dont il faut conclure qu’elle est éducatrice dans un centre pour enfants, se rend chaque été depuis cinq ans. Là, comme à chaque arrivée, elle s’attend à voir son amie Eva. Or point d’Eva, disparue Eva. Noyée Eva, par son chum, se doute-t-on.

S’en suit une réflexion sur la mort : « Il a jeté ton corps dans l’eau, ton corps fragile dans les eaux sombres et agitées du détroit d’Hudson, ton corps tout au fond, parti rejoindre celui des dizaines de pêcheurs qui ont terminé leur vie sous les flots, parce que vous autres, les Inuits, vous ne portez jamais de gilets de sauvetage. Vous acceptez la mort avant même qu’elle ne s’annonce, parce que ça fait des milliers d’années que la vie est impitoyable sous le froid brulant de janvier à cinq heures de clarté par jour… » p. 20.

Juliana Léveillé-Trudel raconte, en fiction, sa perception du monde des Inuits qu’elle fréquente chaque été. Pas une perception d’anthropologue, pas une perception de gars de la construction (ils pullulent dans les villages), juste celle d’une jeune femme qui aime profondément le Nord et qui trouve les mots qu'il faut pour le faire, décrire l’infinie beauté de ce Nord et l’ineffable résilience de ceux qui y vivent, humains et bêtes :  « Vous êtes là avec vos vies de tragédies grecques, vous feriez baver Shakespeare avec vos douleurs lancinantes et votre désespoir, et je ne sais pas comment vous faites pour endurer ça, moi qui en arrache déjà avec ma petite misère ordinaire. » (p. 21)


Crédit photo: Gopesa Paquette


« Des fois on se sent bien et protégés parce qu’on est seuls et tranquilles au bord d’un fjord magnifique, parce qu’on est loin de l’agitation des grandes villes, parce qu’en grimpant en haut de n’importe laquelle des montagnes autour on peut embrasser tout le village d’un seul regard, faire mentalement le chemin du fond de la baie au détroit, voir le ciel qui s’éclate en mille couleurs quand le soleil commence à descendre derrière les falaises. Une beauté en forme de coup de poing dans le ventre, il y a juste la toundra qui fait ça, paysage complètement démesuré et bouleversant tout seul au bout du monde et si peu de gens pour l’admirer. »

En cherchant son amie Eva disparue, c’est le dur quotidien des Sallumiut dont l’auteure témoigne particulièrement de la vie incroyablement difficile des femmes, incroyablement belles à 13 ans, souvent flétries à 18 ans, déjà mères de quelques enfants qu’elles auront mis au monde rarement à la suite d’histoires d’amour. Un cycle connu de violence familiale dans un milieu surpeuplé (!), une alimentation déficiente et d’une cherté hallucinante, les horreurs du « Raglan money day », le chèque de redevances que la mine remet à chaque individu une fois l’an et qui donne lieu à des débordements sans noms.

Mais c’est aussi le sourire des enfants, leur grande beauté, leur gentillesse inouïe. C’est aussi la vie du fils d’Eva, Elijah, à qui est consacré la seconde partie de Nirliit. Elijah, dont la conjointe, la douce Maata, est tombée profondément amoureuse d’un Blanc. Pas vraiment un profiteur et un abuseur comme on en rencontre beaucoup là-bas, mais un garçon doux, ce Félix. On a droit à une histoire copiée sur cette chanson, Moi Elsie,  que Richard Desjardins  a écrite pour Elisapie Isaac, elle-même originaire de Salluit. Comme quoi tout est dans tout. Félix et Maata dans la toundra, Félix au Sud en voie de séparation. Maata dans l’attente désespérée…

Mais voilà, Félix n’est pas libre, ni dans sa tête et ni dans son cœur, et Maata, la douce et studieuse Maata dont rêvent tous les gars du village, devra en faire son deuil. Tout ce temps, Elijah l’attend, fou de douleur mais résilient comme pas un. Il la retrouvera, sa Maata.

Ce chapitre, c’est aussi l’histoire de Tayara, le rappeur, qui fuit à Montréal pour ne plus subir la belle mais venimeuse Aleisha, mais dont le rêve de vedettariat ne fera pas long feu. C’est l’occasion pour l’auteure d’aborder plus intimement les relations entre Blancs et Inuit, en milieu inuit et en milieu urbain.

« Il y a trois catégories de Blancs qui montent dans le Nord : les aventuriers, les missionnaires et ceux qui viennent pour l’argent. Il existe malheureusement aussi une quatrième catégorie : les mésadaptés sociaux. Ceux qui ne sont pas fonctionnels dans le sud et qui s’exilent chez les Inuits pour se fondre dans le chaos ambiant. Généralement des hommes. Ils se trouvent une femme, font beaucoup plus d’enfants qu’ils n’en peuvent nourrir et se font tranquillement vivre par les uns et les autres… » p. 66

À tout dire, Nirliit est d’une pertinence et d’une vérité de ton criantes. Une voix s’élève pour raconter le Nord aux gens du Sud, pour raconter ce Nord qu’elle aime : « J’aime les enfants qui se ramènent de la marina avec un trophée de pêche plus gros qu’eux, le fabuleux omble chevalier. (…) J’aime que tout le monde connaisse mon nom. J’aime la terre qui tremble au passage d’un troupeau de caribou. J’aime le village qui se donne des allures de ville fantôme quand le brouillard se lève. J’aime aller cueillir des bleuets et ne pas en rapporter un seul parce que que j’ai passé tout mon temps à m’empiffrer, le cul dans la mousse et le lichen. J’aime ça ici. » p.66

Née à Montréal en 1985, Juliana Léveillé-Trudel pratique l’écriture dramatique et a fondé le Théâtre de brousse. Elle travaille dans le domaine de l’éducation au Nunavik depuis 2011. Nirliit est son premier roman.

Elle a aussi son propre blogue : http://garderlenord.blogspot.ca 




Matisiwin est l’œuvre de Marie-Christine Bernard, Gaspésienne vivant et écrivant poésie et romans au Lac-Saint-Jean. Elle enseigne la littérature au Collège d’Alma. Elle se définit comme une conteuse, ce qu’elle fait fort bien dans ce récit qui se déroule au cœur du pays atikamekw, le Nitaskinan, en très Haute-Mauricie, dans ce qu’on devine être les environs du village d’Opitciwan.

C’est l’histoire de Sarah-Mikonic Ottawa, fille des Nehirowisiw (l’être qui vit en équilibre avec son milieu), qui part avec un groupe des siens sur le mostekano, le chemin parcouru dans les traces des ancêtres. On devine tôt que la Sarah-Mikonic ne va pas très bien et que ce voyage, qu’elle ne décide d’entreprendre qu’à la dernière minute, est aussi peut-être celui de la dernière chance. Dans son périple, Sarah-Mikonic est accompagnée par la voix de sa kokom, sa grand-mère morte (!), qui la guide, lui rappelant comment vivaient les anciens autrefois et comment la colonisation les a dépossédés de tout : territoire, langue, coutumes, âmes et corps abusés dans les collèges et orphelinats où les enfants étaient envoyés de force.

C’est ce désastre qui est raconté tout au long du « pèlerinage » de la jeune femme, celle de la grand-mère fantôme qui raconte la dépossession, celle de sa famille, sa mère alcoolique,  son père distant et insensible, celle de Sarah-Mikonic elle-même, abusée et abusive, qui « consomme » à outrance. Une histoire de plus en plus connue.

Pour elle, c’est le difficile chemin de la guérison, la voie vers une sorte de libération qui lui permettra de reprendre sa vie en main en mettant le doigt, la main sur sa douleur, en la nommant.
Il est clair que Marie-Christine Bernard sait de quoi elle parle, de qui elle parle. Elle connaît les Atikamekw, leur histoire et leur culture. Elle en connaît même la langue, si difficile, dont elle distille pertinemment des mots dans son texte. J’ai aussi fréquenté ce peuple, il y a 20 ans, quand j’étais journaliste à la revue Rencontre du Secrétariat aux affaires autochtones. J’aurais pu mettre des noms précis sur le récit de madame Bernard, tant les témoignages que j’ai entendus ressemblent à ceux que l’auteure décrit.


Crédit photo : groupelibrex.com

Ce récit est aussi empreint de la spiritualité, de celle d'avant les curés, dont on parle de plus en plus dans les communautés atikamekw, à l'instar d'un Charles Coocoo qui a beaucoup œuvré à retracer les coutumes de son peuple. Et il est vrai, pour en avoir été témoin à maintes reprises, qu'un Atikamekw, un Amérindien libre arpentant son territoire, est infiniment plus libre que sur sa réserve, et que sur ce territoire, les esprits sont vivants. 

Juliana Léveillé-Trudel. Nirliit. Éditons La pleuplade, roman, Chicoutimi, 2015, 173p.
Marie-Christine Bernard. Matisiwin. Stanké. 2015, 153p.


dimanche 18 octobre 2015

Le beau Schubert de Cassard



J’aime Schubert, celui de l’infinie lenteur de ses plus touchants lieder : Nacht und Träume, Du Bist die Ruh, Litanei D.343, Stanchen. Celui de la sonate pour en sol, sa 18e, D. 894, sa plus belle œuvre pour piano, ou celle, ultime et gravissime, en si bémol majeur, la 21e. Franz Schubert, que des générations de pianistes ont refusé de jouer de peur d’ennuyer leur  public (Prokofiev). Misère. Ces œuvres sont d’une beauté et d’une profondeur stupéfiantes quand on prend le temps de les écouter…

Encore faut-il que l’interprète ait le tempo juste. Philippe Cassard, à la fois pianiste soliste et accompagnateur, qui vénère l’œuvre de Schubert, en a contre ces interprètes qui alanguissent inutilement les tempis schubertiens. Dans son court mais brillant opus intitulé simplement Schubert, publié chez Actes Sud en 2008, le musicien insiste sur le sens mélodique et chantant de l’œuvre schubertienne, et non sur la supposée morbidité de celui qui, atteint de syphilis à l’âge de 23 ans, sait ses jours comptés. « Il faut avoir les convictions chevillées au corps pour combattre cette épidémie de sentimentalisme, pour ne pas dire pleurnicharde, qui s’est propagée dans nombre de biographies, d’essais, de textes de pochettes, associant invariablement la progression de la maladie, dans les dernières années de Schubert, au contenu et au caractère des œuvres qu’il a écrites. » (p. ?)

La poésie sombre a toujours séduit Schubert, tout comme celle qui lui a inspirée les mélodies les plus chantantes. Parce que, selon Cassard, c’est la poésie qui marque l’œuvre de Schubert. Quelque 600 lieder ont été écrits sur les textes des plus importants poètes de langue allemande de son temps : Goethe, Schiller, Friedrich, Ruckert et autres. Même ses amis les plus proches, tous musiciens et plus ou moins poètes à leur heures ont leurs mots mis en musique par le très sensible Franz…


« L’œuvre de Schubert est un système solaire apparenté au nôtre, écrit Cassard. L’énorme étoile est représentée par la masse de ses lieder, rayonnant d’un bout à l’autre du système, ramenant tout à elle par son pouvoir d’attraction et d’influence. Pas une mesure écrite, en dehors de ses lieder, qui n’ait reçu, au moins à partir des années 1814-1815, ne serait-ce qu’un rayon de ce soleil éblouissant. Pas un motif de lied qui ne tende, ouvertement ou plus implicitement, sa passerelle vers l’autre, qui n’est pas lied. » (p. ?)

Bref, croit-il, toute la grande musique instrumentale, sonates, trios, quatuors, le grand quintette à cordes, les dernières symphonies, subissent l’influence du langage des lieder, c’est à dire de la poésie.

Pour qui veut découvrir l’univers musical de Schubert, le petit livre de Philippe Cassard, magnifiquement écrit, dans un langage éminemment accessible, est à consulter à tout prix. C’est l’interprète musicien qui parle ici, décrivant lieder et autres pièces musicales avec rigueur (le livre est fort bien organisé) et sensibilité.

Dès l’avant-propos, l’auteur annonce ses couleurs. L’œuvre de Schubert en est une de poésie et le personnage lui-même en est un de paradoxes : à la fois au cœur et en marge de la vie culturelle de Vienne, Schubert est un véritable animateur de la vie culturelle de la vie, mais dans le style « off ». Mais un être sans véritable ambition, trop timide pour se faire valoir, tout l’opposé d’un Beethoven qu’il rêve pourtant de dépasser. Il n’en aurait pas le temps même, si, à mon humble vais, il en aurait eu les moyens.

Il y est évidemment questions des schubertiades, ces soirées culturelles autour de la musique (de Schubert) et de la poésie. « En compagnie de ses meilleurs amis, le poète Franz von Schober, le baryton Michael Vogl, le juriste Joseph von Spaun et Johann Mayrhofer (fonctionnaire des impôts), Schubert — affectueusement surnommé Schammerl (le petit champignon) en raison de sa petite taille — est l’âme de ces réunions. » -Claude Samuel, le blog.

Puis, en quelques pages, Philippe Cassard résume la vie musicale de Schubert avant d’aborder les grands thèmes qu’il abordera : les lieder, le « sehnsucht » (la mélancolie romantique ?), le « wanderer » (le voyageur, oui, mais lequel?) et, plus spécifiquement, les œuvres pour piano. Après tout, l’auteur est pianiste!

Celles et ceux qui voudraient en savoir plus sur la vie du musicien et la société dans laquelle il évolue, sont priés d’aller voir ailleurs. Comprendre la Vienne des années 1820, celle du rigide prince Metternich, saisir la relation qu’entretenait Schubert avec les femmes (il n’a pas attrapé la syphilis en se masturbant!), ses très riches relations avec ses amis des Schubertiades, rien de tout cela dans le livre de Cassard, qui porte essentiellement sur le contenu poétique et musical de l’œuvre de Schubert. C’est déjà plus qu’il n’en faut parce que le lecteur, pour saisir et bénéficier de toutes les œuvres qui lui sont soumises pour étude, doit pouvoir les entendre. En ce qui me concerne, ma discothèque m’a permis de le faire et de redécouvrir des enregistrements oubliés et des interprétations fabuleuses. Pour ceux que la passion schubertienne est plus récente, You Tube sera d’un grand secours. En effet, le livre ne peut véritablement s’apprécier qu’avec l’écoute des œuvres qui y sont présentées. Dans ce cas là, bonheur garanti!

À écouter


L’auteur suggère une discographie basée sur les maîtres du début de siècle dernier, les Nat, Fischer, Brendel, pour le piano, l’immense Dietrich Fischer-Dieskau et Elisabeth Schwarzkopf, la première femme à enregistrer des lieder de Schubert en 1951.

Toutefois, il me semble que bien des musiciens et chanteurs de générations plus récentes offrent des interprétations des plus saisissantes de l’œuvre de Schubert.



Pour les mélodies (lieder), on retiendra d’abord les neuf (9) volumes édités chez Harmonia Mundi par l’unique Matthias Goerne. C’est, à mon humble avis, l’alpha et l’oméga du chant schubertien actuel. Son Voyage d’hiver (Winterreise, op. 89, D.911), le dernier des quatre qu’il a enregistré, est bouleversant d’un bout à l’autre. D’autre Winterreise doitent aussi être mentionnés : Peter Schrier (avec Sviatoslav Richter au piano!), Christian Gerhaher et bien sûr, Dietrich Fischer-Dieskau (accompagné de Gerald Moore).


Des voix de femmes retiennent également toute notre attention, comme celle, émouvante et pure, d’Ann Murray, que l’on retrouve dans le volume 3 de l’intégrale des mélodies publié chez Hypérion. Dans la même série, on ne voudra pas se passer du volume 15, mettant en vedette l’impressionnante Margaret Price. Cette intégrale, la seule disponible actuellement, me semble-t-il, renferme bien d’autres trésors à découvrir.


L’œuvre pour piano, particulièrement les quatre dernières sonates, comptent aussi leur lot de très grandes interprétations, à commencer par celle de cet ours bourru et génial, le Roumia Radu Lupu. Tout ce qu’il a enregistré de Schubert est à marquer d’une pierre blanche, y compris la fantaisie pour piano à quatre mains en compagnie de Murray Perahia.. Ajoutons le nom du superlatif Grigory Sokolov qui a enregistré, en public (il n’enregistre qu’en public!) les deux plus belles œuvre de Schubert, les 18e (en sol, D. 894) et 21e et ultime (D.960). Enfin, le Hongrois Andras Schiff, qui avait enregistré une superbe intégrale de l’œuvre pour piano dans les années 1980, vient de faire paraître, chez ECM, un album double réunissant quelques-unes des plus belles musiques du Viennois jouées sur un piano du facteur Franz Brodman, datant de …1820!



Et, oh, j’allais oublier l’excellente Maria Joao Pires, artiste émouvante, qui est aussi une grande pianiste schubertienne!

Pour la musique de chambre, les trois derniers quatuors, dont celui, célébrissime, dit « La jeune fille et la mort » par le quatuor Takacs, bouleverseront ou enchanteront (le Rosamunde!) les plus difficile. Quand au grand Quintette à cordes en ut D.956, les versions sont encore ici innombrables. Celle du quatuor Alban-Berg faisant depuis longtemps, autorité. 

 

Ah, euh, oui, les symphonies. On commencera par les dernières, la Neuvième, dite la Grande, et la Huitième, l'Inachevée. Bien, étant très peu symphoniste, je dois dire que je suis un peu démuni, côté recommandation. tout au plus puis-je vous proposer cet excellent article du Guardian! 




Philippe Cassard. Franz Schubert. Actes Sud-Classica. Arles. 2008. 129 p.  



jeudi 24 septembre 2015

Notre Amérique à nous


Je viens de terminer L’Année la plus longue de Daniel Grenier, publié dans la collection Polygraphe de la maison d’édition Le Quartanier. Ce n’est pas par hasard que je le précise, parce qu’il y a un lien  avec Arvida, de Samuel Archibald, publié par le même éditeur, dans la même collection. Ce sont, chacun à leur manière, des livres du nous.

Dans Arvida, c’est de nous, les Québécois et leur territoire, dont il est question. Un nous intime qui nous décrit comme humains, peuple d’une culture propre au sein d’une Amérique autre. Les gens viennent à leur campe (sic), ont leur habitudes singulières au sein d’une nature décrite jusque dans son intimité la plus microscopique, de l’écoulement des eaux de pluie, de la composition des plantes, de la rareté du couguar devenu mythique et d’une partie de hockey qui l’est devenue toute autant. Prix des libraires à sa sortie en 2012, en liste pour le Prix Griller, pour sa version anglaise en 2015, Arvida, c’est nous autres, j’en ai déjà causé dans cette chronique.

Daniel Grenier, photo : Pedro Ruiz, Le Devoir

Dans L’Année la plus longue, au contraire, c’est le nous de l’Amérique qui est abordé. Des Québécois qui se répandent dans toute l’Amérique, et plus particulièrement dans celle des Appalaches, sur plus de 250 ans. Je ne veux pas raconter toute l’histoire qui est celle d’Albert qui cherche son ancêtre Aimé qu’il sait être toujours vivant et de son fils Thomas (le fils d’Albert) qui découvrira un secret inimaginable… On se promène en territoire amérindien spolié d’est en ouest des États dits unis, on y vit à Montréal et à Québec tant en 1760, qu’en 1864 et qu’au milieu du 21e siècle. C’est le nous de toute l’Amérique qui est ici fabuleusement présenté. Le nous dans un continuum historique qui s’entrecroise, s’entrechoque au cœur d’un scénario complexe, brillamment monté, où tout s’emboîte et s’explique finalement. Vous y apprendrez ce qu'est un Leaper et comment un descendant a failli rencontre,  bien vivant,son ancêtre dans les Appalaches... deux siècles plus tard.

Ce qui fascine dans ce livre, c’est sa vraisemblance. Même dans les aspects les plus fantastiques du récit (la prémisse est tellement brillante et inattendue!), on se dit qu’on est dans le déroulement normal des choses et on est subjugué par les liens et retournements que Daniel Grenier propose à ses lecteurs. Le tout dans un langage clair et simple avec, à l’occasion, des phrases chocs et lumineuses : « Albert allait mourir dans les lambeaux d’un hiver qui résistait et ne s’en allait nulle part. » p.379




Fervent de littérature nord-américaine, L’année la plus longue est le livre que j’attendais depuis des décennies, celui qui nous  intègre à l’ensemble du territoire que nous fréquentons depuis que nos ancêtres y ont débarqués. C’est le roman de l’ouverture et non de la repli sur soi. Un grand roman pour lequel la critique, déjà, est éblouie.


vendredi 24 juillet 2015

C'est l'été, il pleut, mais il y a la musique!!!!


L’été 2015 est chiche en chaleur et en soleil, mais riche de belles musiques. Voici quelques suggestions…

Il était une fois l’Amérique



Willie Nelson et Merle Haggard sont des monstres sacrés, les ancêtres indomptables de la grande country mondiale. À plus de 80 ans, les deux compères, le Texan et l’Okie, viennent de publier un album en duo intitulé Django and Jimmie qui réunit des classiques du genre signés Bob Dylan (Don’t Think Twice), Jimmy Melton, Willie et Merle eux-mêmes. Et on y note aussi la participation d’un autre vieux de la vieil, l’excellent Bobby Bare et du jeunot hors-la-loi Jamey Johnson. Les voix d’Alison Krause et de Melonie Cannon se font aussi entendre parmi d’autres.
Pas besoin de vous dire qu’on est pas ici dans le renouvellement du genre,  mais plutôt, dans le meilleur de la crème; mélodies accrocheuses, textes savoureux d’histoires de routes, hommage au père disparu, le grand Johnny Cash, arrangements superlatifs. Bref, tout ce qu’il faut pour mettre dans le lecteur de votre auto et partir au long cours sur les routes du Québec et du reste de l’Amérique. Bonheur garanti!!!

Willie Nelson et Merle Haggard. Django and Jimmie. Disque Legacy Recordings

Le rêve Vollant!


Florent Vollant est le très digne successeur du père de la folk innue, le vénérable Philippe McKenzie; art hérité tant des chants traditionnels s’accompagnant du tambour à sonnailles (le teueikan) que de la country. Le Vollant en question vient de publier son septième album, PUAMUNA (Le rêve) peut-être le plus riche, le plus abouti de son auteur, des mélodies doucement dansantes (le makusham) chantées dans cette langue belle et malheureusement de plus en plus rare, l’innu.
Douze chansons magnifiques animées par le réalisateur et guitariste Réjean Bouchard et la guitare vive du jeune Kim Fontaine, de Maliotenam, où l’album a été enregistré. On y entend aussi chanter en français une composition de l’inséparable ami Richard Séguin; en Anglais, l’émouvante Son of the Sun du regretté artiste multidisciplinaire MicMac Willie Dunn et même Pascale Picard qui accompagne le Florent,  sur Apu peikussian une chanson qu’elle a écrite que l’Innu a traduite. Pascal « Pako » Ottawa chante aussi sur Manuanik où il est question du frère Atikamekw qui l’accueille sur le territoire et Philippe McKenzie célèbre le makusham sur Ekun pua. Pour le reste, les Tshekuannu, Innu Eeyou, Te Innu, Puamuna,
  On y cause de rêve, de territoire, d’amitié, de mère, d’amour. La folk innue a son meilleur.

Florent Vollant. Puamuna. Disque Instinct Musique

De l’autre côté du désir…


J’ai connu Rickie Lee Jones en 1991, avec la sortie de son merveilleux album POP POP, où le bassiste était nul autre que Charlie Haden, le saxo ténor, Joe Henderson, sur quelques plages, Dino Salluzzi à l’accordéon, et partout, Robben Ford à la guitare acoustique avec ses cordes de nylon. C’est spécifié sur la pochette. Vingt et quelques années plus tard, je l’écoute toujours. Un disque de jazz, alors? Un disque de reprises associées au répertoire du jazz, dirons-nous. Parce que la dame a toujours refusé d’être classée dans un genre plus qu’un autre. Le jazz, le folk, le spiritual, l’électro, le trip hop, ou ce que vous voulez, Rickie Lee n’a que faire des étiquettes. Et voilà que nouvelle résidente de La Nouvelle-Orléans, elle vient de commettre une des merveilles de son répertoire avec The Other Side Of Desire.

Dix ans que cette légende de la chanson américaine n’avait pas proposé de matériel original. Et la voici, à raconter, elle, la contestataire invétérée, des chansons de rêves et d’espoir sous des airs sudistes vaguement folk et rural, ou sur des mélodies qui rappellent les années 1950 (J’ai connais pas) accompagnées de musiciens… montréalais. Enfin, pas seulement, il y a aussi Louis Michot des Lost Bayou et bien d’autres, de ces musiciens du Sud qui font de cette album rockabilly (?) un modèle du genre qui raconte des histoires de la Louisiane. Comme la chanson titre, The Other Side of Desire, qui cause de la rue du même nom qui, à une autre époque, donna son titre à la pièce de Tennessee Williams, Un Tramway nommé…

Dix ans qu’elle n’avait pas écrit, la Rickie, tout simplement dit-elle, parce qu’elle ne pouvait pas. Elle a délaissé la Côte Ouest, lieu où sont nés ses albums importants (l’éponyme, Pirates), pour l’intimité de cette ville où la musique est partout, tout le temps. Et ça donne, en ce qui me concerne, un album béni!

Pour entendre cette légende vivante dans toue sa simplicité, il faut écouter cette belle entrevue donnée à La Fabrique culturelle.

Rickie Lee Jones, The other side of DESIRE, disque Tosod.

Adagio suprême


Impulse vient de publier un deuxième hommage posthume à Charlie Haden après celui qui le réunissait à Jim Hall, à l’occasion d’un concert au Festival international jazz de Montréal en 1990. Aujourd’hui, sous le titre Tokyo Adagio, le contrebassiste est réuni au virtuose cubain, Gonzalo Rubalcaba lors d’un concert donné dans la capitale nippone en 2005. Et c’est magnifiquement beau.
De prime abord, comme pour le concert à Montréal, c’est la sonorité qui nous interpelle. Un beau son rond, plein, d’une clarté et d’une présence incroyables. Et comme le public de Montréal, les Japonais écoutent d’un silence religieux. Et ils écoutent quoi? Des compositions reprises de l’un ou l’autre comparse réalisées au cours de leurs nombreuses collaborations (The Blessing, 1991; Nocturne, 2000; Land of the Sun 2004), essentiellement des adagios, joués sur des rythmes lents, et encore plus lents, d’une délicatesse inouïe mais aussi, d’un virtuosité patente, de la part de Rubalcaba particulièrement. Même When Will the Blues Leave, de l’iconoclaste Ornette Coleman, est prise avec beaucoup de retenue… mais avec un swing certain, tout comme Sandino, où la verve de Gonzalo est littéralement jouissive.

Haden se décrivait lui-même comme un « adagio-man » (houlà qu’on se ressemble là-dessus) et il a redécouvert cet enregistrement alors que, gravement malade, il réécoutait des bandes de ses concerts passés. Il a alors alerté sa conjointe Ruth Cameron et le producteur (et également excellent pianiste) Jean-Philippe Allard, qui se sont mis au travail pour publier les plus belles plages de ce concert. Il est décédé avant d’entendre le produit bien ficelé, mais l’important, c’est qu’il nous l’ait transmis.
Merci Charlie pour tant de beauté!!!

Charlie Haden/Gonzalo Rublacaba. Tokyo Adagio. Disque Impulse.