dimanche 18 octobre 2015

Le beau Schubert de Cassard



J’aime Schubert, celui de l’infinie lenteur de ses plus touchants lieder : Nacht und Träume, Du Bist die Ruh, Litanei D.343, Stanchen. Celui de la sonate pour en sol, sa 18e, D. 894, sa plus belle œuvre pour piano, ou celle, ultime et gravissime, en si bémol majeur, la 21e. Franz Schubert, que des générations de pianistes ont refusé de jouer de peur d’ennuyer leur  public (Prokofiev). Misère. Ces œuvres sont d’une beauté et d’une profondeur stupéfiantes quand on prend le temps de les écouter…

Encore faut-il que l’interprète ait le tempo juste. Philippe Cassard, à la fois pianiste soliste et accompagnateur, qui vénère l’œuvre de Schubert, en a contre ces interprètes qui alanguissent inutilement les tempis schubertiens. Dans son court mais brillant opus intitulé simplement Schubert, publié chez Actes Sud en 2008, le musicien insiste sur le sens mélodique et chantant de l’œuvre schubertienne, et non sur la supposée morbidité de celui qui, atteint de syphilis à l’âge de 23 ans, sait ses jours comptés. « Il faut avoir les convictions chevillées au corps pour combattre cette épidémie de sentimentalisme, pour ne pas dire pleurnicharde, qui s’est propagée dans nombre de biographies, d’essais, de textes de pochettes, associant invariablement la progression de la maladie, dans les dernières années de Schubert, au contenu et au caractère des œuvres qu’il a écrites. » (p. ?)

La poésie sombre a toujours séduit Schubert, tout comme celle qui lui a inspirée les mélodies les plus chantantes. Parce que, selon Cassard, c’est la poésie qui marque l’œuvre de Schubert. Quelque 600 lieder ont été écrits sur les textes des plus importants poètes de langue allemande de son temps : Goethe, Schiller, Friedrich, Ruckert et autres. Même ses amis les plus proches, tous musiciens et plus ou moins poètes à leur heures ont leurs mots mis en musique par le très sensible Franz…


« L’œuvre de Schubert est un système solaire apparenté au nôtre, écrit Cassard. L’énorme étoile est représentée par la masse de ses lieder, rayonnant d’un bout à l’autre du système, ramenant tout à elle par son pouvoir d’attraction et d’influence. Pas une mesure écrite, en dehors de ses lieder, qui n’ait reçu, au moins à partir des années 1814-1815, ne serait-ce qu’un rayon de ce soleil éblouissant. Pas un motif de lied qui ne tende, ouvertement ou plus implicitement, sa passerelle vers l’autre, qui n’est pas lied. » (p. ?)

Bref, croit-il, toute la grande musique instrumentale, sonates, trios, quatuors, le grand quintette à cordes, les dernières symphonies, subissent l’influence du langage des lieder, c’est à dire de la poésie.

Pour qui veut découvrir l’univers musical de Schubert, le petit livre de Philippe Cassard, magnifiquement écrit, dans un langage éminemment accessible, est à consulter à tout prix. C’est l’interprète musicien qui parle ici, décrivant lieder et autres pièces musicales avec rigueur (le livre est fort bien organisé) et sensibilité.

Dès l’avant-propos, l’auteur annonce ses couleurs. L’œuvre de Schubert en est une de poésie et le personnage lui-même en est un de paradoxes : à la fois au cœur et en marge de la vie culturelle de Vienne, Schubert est un véritable animateur de la vie culturelle de la vie, mais dans le style « off ». Mais un être sans véritable ambition, trop timide pour se faire valoir, tout l’opposé d’un Beethoven qu’il rêve pourtant de dépasser. Il n’en aurait pas le temps même, si, à mon humble vais, il en aurait eu les moyens.

Il y est évidemment questions des schubertiades, ces soirées culturelles autour de la musique (de Schubert) et de la poésie. « En compagnie de ses meilleurs amis, le poète Franz von Schober, le baryton Michael Vogl, le juriste Joseph von Spaun et Johann Mayrhofer (fonctionnaire des impôts), Schubert — affectueusement surnommé Schammerl (le petit champignon) en raison de sa petite taille — est l’âme de ces réunions. » -Claude Samuel, le blog.

Puis, en quelques pages, Philippe Cassard résume la vie musicale de Schubert avant d’aborder les grands thèmes qu’il abordera : les lieder, le « sehnsucht » (la mélancolie romantique ?), le « wanderer » (le voyageur, oui, mais lequel?) et, plus spécifiquement, les œuvres pour piano. Après tout, l’auteur est pianiste!

Celles et ceux qui voudraient en savoir plus sur la vie du musicien et la société dans laquelle il évolue, sont priés d’aller voir ailleurs. Comprendre la Vienne des années 1820, celle du rigide prince Metternich, saisir la relation qu’entretenait Schubert avec les femmes (il n’a pas attrapé la syphilis en se masturbant!), ses très riches relations avec ses amis des Schubertiades, rien de tout cela dans le livre de Cassard, qui porte essentiellement sur le contenu poétique et musical de l’œuvre de Schubert. C’est déjà plus qu’il n’en faut parce que le lecteur, pour saisir et bénéficier de toutes les œuvres qui lui sont soumises pour étude, doit pouvoir les entendre. En ce qui me concerne, ma discothèque m’a permis de le faire et de redécouvrir des enregistrements oubliés et des interprétations fabuleuses. Pour ceux que la passion schubertienne est plus récente, You Tube sera d’un grand secours. En effet, le livre ne peut véritablement s’apprécier qu’avec l’écoute des œuvres qui y sont présentées. Dans ce cas là, bonheur garanti!

À écouter


L’auteur suggère une discographie basée sur les maîtres du début de siècle dernier, les Nat, Fischer, Brendel, pour le piano, l’immense Dietrich Fischer-Dieskau et Elisabeth Schwarzkopf, la première femme à enregistrer des lieder de Schubert en 1951.

Toutefois, il me semble que bien des musiciens et chanteurs de générations plus récentes offrent des interprétations des plus saisissantes de l’œuvre de Schubert.



Pour les mélodies (lieder), on retiendra d’abord les neuf (9) volumes édités chez Harmonia Mundi par l’unique Matthias Goerne. C’est, à mon humble avis, l’alpha et l’oméga du chant schubertien actuel. Son Voyage d’hiver (Winterreise, op. 89, D.911), le dernier des quatre qu’il a enregistré, est bouleversant d’un bout à l’autre. D’autre Winterreise doitent aussi être mentionnés : Peter Schrier (avec Sviatoslav Richter au piano!), Christian Gerhaher et bien sûr, Dietrich Fischer-Dieskau (accompagné de Gerald Moore).


Des voix de femmes retiennent également toute notre attention, comme celle, émouvante et pure, d’Ann Murray, que l’on retrouve dans le volume 3 de l’intégrale des mélodies publié chez Hypérion. Dans la même série, on ne voudra pas se passer du volume 15, mettant en vedette l’impressionnante Margaret Price. Cette intégrale, la seule disponible actuellement, me semble-t-il, renferme bien d’autres trésors à découvrir.


L’œuvre pour piano, particulièrement les quatre dernières sonates, comptent aussi leur lot de très grandes interprétations, à commencer par celle de cet ours bourru et génial, le Roumia Radu Lupu. Tout ce qu’il a enregistré de Schubert est à marquer d’une pierre blanche, y compris la fantaisie pour piano à quatre mains en compagnie de Murray Perahia.. Ajoutons le nom du superlatif Grigory Sokolov qui a enregistré, en public (il n’enregistre qu’en public!) les deux plus belles œuvre de Schubert, les 18e (en sol, D. 894) et 21e et ultime (D.960). Enfin, le Hongrois Andras Schiff, qui avait enregistré une superbe intégrale de l’œuvre pour piano dans les années 1980, vient de faire paraître, chez ECM, un album double réunissant quelques-unes des plus belles musiques du Viennois jouées sur un piano du facteur Franz Brodman, datant de …1820!



Et, oh, j’allais oublier l’excellente Maria Joao Pires, artiste émouvante, qui est aussi une grande pianiste schubertienne!

Pour la musique de chambre, les trois derniers quatuors, dont celui, célébrissime, dit « La jeune fille et la mort » par le quatuor Takacs, bouleverseront ou enchanteront (le Rosamunde!) les plus difficile. Quand au grand Quintette à cordes en ut D.956, les versions sont encore ici innombrables. Celle du quatuor Alban-Berg faisant depuis longtemps, autorité. 

 

Ah, euh, oui, les symphonies. On commencera par les dernières, la Neuvième, dite la Grande, et la Huitième, l'Inachevée. Bien, étant très peu symphoniste, je dois dire que je suis un peu démuni, côté recommandation. tout au plus puis-je vous proposer cet excellent article du Guardian! 




Philippe Cassard. Franz Schubert. Actes Sud-Classica. Arles. 2008. 129 p.  



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