J’aime Schubert, celui de l’infinie lenteur de ses plus
touchants lieder : Nacht und Träume,
Du Bist die Ruh, Litanei D.343, Stanchen.
Celui de la sonate pour en sol, sa 18e, D. 894, sa plus belle œuvre
pour piano, ou celle, ultime et gravissime, en si bémol majeur, la 21e.
Franz Schubert, que des générations de pianistes ont refusé de jouer de peur
d’ennuyer leur public (Prokofiev).
Misère. Ces œuvres sont d’une beauté et d’une profondeur stupéfiantes quand on
prend le temps de les écouter…
Encore faut-il que l’interprète ait le tempo juste. Philippe
Cassard, à la fois pianiste soliste et accompagnateur, qui vénère
l’œuvre de Schubert, en a contre ces interprètes qui alanguissent inutilement
les tempis schubertiens. Dans son court mais brillant opus intitulé simplement Schubert,
publié chez Actes Sud en 2008, le musicien insiste sur le sens mélodique et
chantant de l’œuvre schubertienne, et non sur la supposée morbidité de celui
qui, atteint de syphilis à l’âge de 23 ans, sait ses jours comptés. « Il
faut avoir les convictions chevillées au corps pour combattre cette épidémie de
sentimentalisme, pour ne pas dire pleurnicharde, qui s’est propagée dans nombre
de biographies, d’essais, de textes de pochettes, associant invariablement la
progression de la maladie, dans les dernières années de Schubert, au contenu et
au caractère des œuvres qu’il a écrites. » (p. ?)
La poésie sombre a toujours séduit Schubert, tout comme
celle qui lui a inspirée les mélodies les plus chantantes. Parce que, selon
Cassard, c’est la poésie qui marque l’œuvre de Schubert. Quelque 600 lieder ont
été écrits sur les textes des plus importants poètes de langue allemande de son
temps : Goethe, Schiller, Friedrich, Ruckert et autres. Même ses amis les
plus proches, tous musiciens et plus ou moins poètes à leur heures ont leurs
mots mis en musique par le très sensible Franz…
« L’œuvre de Schubert est un système solaire apparenté
au nôtre, écrit Cassard. L’énorme étoile est représentée par la masse de ses
lieder, rayonnant d’un bout à l’autre du système, ramenant tout à elle par son
pouvoir d’attraction et d’influence. Pas une mesure écrite, en dehors de ses
lieder, qui n’ait reçu, au moins à partir des années 1814-1815, ne serait-ce
qu’un rayon de ce soleil éblouissant. Pas un motif de lied qui ne tende,
ouvertement ou plus implicitement, sa passerelle vers l’autre, qui n’est pas
lied. » (p. ?)
Bref, croit-il, toute la grande musique instrumentale,
sonates, trios, quatuors, le grand quintette à cordes, les dernières
symphonies, subissent l’influence du langage des lieder, c’est à dire de la
poésie.
Pour qui veut découvrir l’univers musical de Schubert, le
petit livre de Philippe Cassard, magnifiquement écrit, dans un langage
éminemment accessible, est à consulter à tout prix. C’est l’interprète musicien
qui parle ici, décrivant lieder et autres pièces musicales avec rigueur (le
livre est fort bien organisé) et sensibilité.
Dès l’avant-propos, l’auteur annonce ses couleurs. L’œuvre
de Schubert en est une de poésie et le personnage lui-même en est un de
paradoxes : à la fois au cœur et en marge de la vie culturelle de Vienne,
Schubert est un véritable animateur de la vie culturelle de la vie, mais dans
le style « off ». Mais un être sans véritable ambition, trop timide
pour se faire valoir, tout l’opposé d’un Beethoven qu’il rêve pourtant de
dépasser. Il n’en aurait pas le temps même, si, à mon humble vais, il en aurait
eu les moyens.
Il y est évidemment questions des schubertiades, ces soirées
culturelles autour de la musique (de Schubert) et de la poésie. « En compagnie de ses meilleurs amis, le poète Franz von Schober, le baryton
Michael Vogl, le juriste Joseph von Spaun et Johann Mayrhofer (fonctionnaire
des impôts), Schubert — affectueusement surnommé Schammerl (le petit
champignon) en raison de sa petite taille — est l’âme de ces réunions. »
-Claude Samuel, le blog.
Puis, en quelques pages, Philippe Cassard résume la vie
musicale de Schubert avant d’aborder les grands thèmes qu’il abordera :
les lieder, le « sehnsucht » (la mélancolie romantique ?), le
« wanderer » (le voyageur, oui, mais lequel?) et, plus
spécifiquement, les œuvres pour piano. Après tout, l’auteur est pianiste!
Celles et ceux qui voudraient en savoir plus sur la vie du
musicien et la société dans laquelle il évolue, sont priés d’aller voir
ailleurs. Comprendre la Vienne des années 1820, celle du rigide prince Metternich,
saisir la relation qu’entretenait Schubert avec les femmes (il n’a pas attrapé
la syphilis en se masturbant!), ses très riches relations avec ses amis des
Schubertiades, rien de tout cela dans le livre de Cassard, qui porte
essentiellement sur le contenu poétique et musical de l’œuvre de Schubert. C’est
déjà plus qu’il n’en faut parce que le lecteur, pour saisir et bénéficier de
toutes les œuvres qui lui sont soumises pour étude, doit pouvoir les entendre.
En ce qui me concerne, ma discothèque m’a permis de le faire et de redécouvrir
des enregistrements oubliés et des interprétations fabuleuses. Pour ceux que la
passion schubertienne est plus récente, You Tube sera d’un grand secours. En
effet, le livre ne peut véritablement s’apprécier qu’avec l’écoute des œuvres
qui y sont présentées. Dans ce cas là, bonheur garanti!
À écouter
L’auteur suggère une discographie basée sur les maîtres du
début de siècle dernier, les Nat, Fischer, Brendel, pour le piano, l’immense Dietrich
Fischer-Dieskau et Elisabeth
Schwarzkopf, la première femme à enregistrer des lieder de Schubert en
1951.
Toutefois, il me semble que bien des musiciens et chanteurs
de générations plus récentes offrent des interprétations des plus saisissantes
de l’œuvre de Schubert.
Pour les mélodies (lieder), on retiendra d’abord les neuf (9)
volumes édités chez Harmonia Mundi par l’unique Matthias Goerne. C’est, à
mon humble avis, l’alpha et l’oméga du chant schubertien actuel. Son Voyage
d’hiver (Winterreise, op. 89, D.911), le dernier des quatre qu’il a
enregistré, est bouleversant d’un bout à l’autre. D’autre Winterreise doitent
aussi être mentionnés : Peter Schrier (avec Sviatoslav Richter au piano!),
Christian Gerhaher et bien sûr, Dietrich Fischer-Dieskau (accompagné de Gerald
Moore).
Des voix de femmes retiennent également toute notre
attention, comme celle, émouvante et pure, d’Ann Murray,
que l’on retrouve dans le volume 3 de l’intégrale des mélodies publié chez
Hypérion. Dans la même série, on ne voudra pas se passer du volume 15, mettant
en vedette l’impressionnante Margaret Price.
Cette intégrale, la
seule disponible actuellement, me semble-t-il, renferme bien d’autres trésors à
découvrir.
L’œuvre pour piano, particulièrement les quatre dernières
sonates, comptent aussi leur lot de très grandes interprétations, à commencer
par celle de cet ours bourru et génial, le Roumia Radu Lupu. Tout ce qu’il
a enregistré de Schubert est à marquer d’une pierre blanche, y compris la
fantaisie pour piano à quatre mains en compagnie de Murray Perahia.. Ajoutons
le nom du superlatif Grigory Sokolov qui a enregistré, en public (il
n’enregistre qu’en public!) les deux plus belles œuvre de Schubert, les 18e
(en sol, D. 894) et 21e et ultime (D.960). Enfin, le Hongrois Andras Schiff, qui avait
enregistré une superbe intégrale de l’œuvre pour piano dans les années 1980,
vient de faire paraître, chez ECM, un album
double réunissant quelques-unes des plus belles musiques du Viennois jouées
sur un piano du facteur Franz Brodman, datant de …1820!
Et, oh, j’allais oublier l’excellente Maria Joao Pires,
artiste émouvante, qui est aussi une grande pianiste schubertienne!
Pour la musique de chambre, les trois derniers
quatuors, dont celui, célébrissime, dit « La jeune fille et la
mort » par le quatuor Takacs, bouleverseront ou enchanteront (le
Rosamunde!) les plus difficile. Quand au grand Quintette à cordes en ut D.956,
les versions sont encore ici innombrables. Celle du quatuor Alban-Berg faisant
depuis longtemps, autorité.
Ah, euh, oui, les symphonies. On commencera par les dernières, la Neuvième, dite la Grande, et la Huitième, l'Inachevée. Bien, étant très peu symphoniste, je dois dire que je suis un peu démuni, côté recommandation. tout au plus puis-je vous proposer cet excellent article du Guardian!
Philippe Cassard. Franz Schubert.
Actes Sud-Classica. Arles. 2008. 129 p.
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