mardi 26 avril 2011

216, Arago Est, Québec... souvenirs en vrac (1)

La rue Arago, située au pied nord du cap menant à la haute-ville de Québec, entreprend son périple au bas de la Côte-Franklin, dite de la Pente-Douce, pour se diriger, vers l’est, jusqu’à la rue Dorchester où elle se termine. C’est sur cette rue à sens unique, dans sa partie est, entre les rues Des Voltigeurs et Belleau, que j’ai grandi. Plus précisément, notre famille habitait la maison sise au 216. Google Street vous donne l’image de la maison actuelle et de la rue. Il s’agit de la maison blanche et brune située à droite du stationnement (tournez d’un quart de tout vers la droite)!

Cette vieille maison centenaire était l’héritage de ma mère, méritée de longue date, elle qui a pris soin, dès l’âge de 12 ans, de ses quelque 17 frères et sœurs (?). « Il fallait que quelqu’un aide maman, ça a été moi, parce que j’étais l’aînée des filles, nous disait-elle avec une sorte de résignation. Pourtant, j’étais bonne à l’école, conclut-elle. » C ‘était son regret, à Jeanne, de n’avoir pu étudier. Elle allait se venger en prenant la vie à bras-le-corps, en organisant la vie de ceux qui l’entouraient au meilleur de ses capacités.

Sa mère Alice, ma grand-mère maternelle que ma sœur, mon frère et moi n’avons pas connu, s’est usée à mettre 17 enfants au monde, quelques-uns morts nés, et un autre « arriéré » comme on disait dans le temps. Lui, il a vécu jusqu’à 18 ans, nécessitant bien des soins. « Lucien, disait ma mère, toujours avec émotion, n’était pas fin-fin, mais il était toujours propre et très gentil. » Même si, une fois, il a malencontreusement mis le feu à la maison. Mais bon, ça peut arriver dans les meillerues familles. Bref, Lucien, dans la famille Beaulieu, a toujours été un peu un sujet tabou. Les rares fois où mes tantes en parlaient, c’était à mots couverts et la larme à l’œil. Les oncles, eux, rien, pas un mot. Quand à ma grand-mère, elle est morte à 54 ans de tuberculose, mon grand-père, le bouillant Jos Beaulieu, ne lui a pas survécu bien des années, semble-t-il. Mais on aura l’occasion d’y revenir…

Vieille maison, disais-je, cette boîte carrée à deux étages qui était, du temps de mon enfance, recouverte de brique rouge sur sa façade et de matériaux des plus divers sur les trois autres côtés : tôle ondulée, tuiles de tôles, papier goudronné. Elle existe encore, toujours aussi bigarrée, et ne sera jamais candidate pour un quelconque concours d’architecture traditionnelle. On y entrait par une porte qui donnait sur un couloir qui menait à la cuisine et à la salle de bain. À gauche, en avant, le salon (que ma mère a longtemps gardé comme salon… de coiffure) et à droite, l’escalier qui menait aux quatre chambres du deuxième.

Avec ma sœur Christine et mon frère Claude, nous étions cinq à l’habiter. Du temps de mes grands-parents, ils s’entassaient à combien? Douze, quinze? Dans un 6 1/2. Mes oncles et mes tantes, me souviens-je de tous et toutes? Jeanne, ma mère, Rita, Irène, Yolande et Janine la riche newyorkaise et la cadette. Voilà pour les filles. Méo (Roméo), Maurice, Marcel, Robert, Roger, Charles-Henri, pour les garçons. Ce sont ceux qui me reviennent à l’esprit…

J’ai vécu là jusqu’au moment de me marier, à 25 ans. Une vraie vie de quartier avec les Drolet en face, les Bérubé et les Lagacé tout à côté d’eux, les Robitaille et les Blouin un peu plus à l’ouest. Juste à notre droite, il y a eu la famille Lessard puis le bonhomme Croteau, ancien militaire alcoolique à qui nous faisons parfois des misères quand il nous criait après. Presque toutes des familles avec pleins d’enfants et pas toujours des plus commodes.

Nous, dès qu’on passait 5 ans et qu’on allait à l’école, on allait jouer partout dans les cours, les rues, les tambours de ces maisons à étages qui nous entouraient, les toits aussi auxquels nous accédions par la côte de la Négresse, la Côte-Badelard de son vrai nom et qui, fermée à la circulation l’hiver, devenait notre terrain de jeu. Des milliers d’heures de glissades dans la côte et le cap avoisinant durant mes 10 premières années, des souvenirs de cartes postales.

Des histoires d'hiver avec des rues et du hockey...

Il y avait aussi le hockey, sur glace évidemment, sur des patinoires extérieures du parc Victoria et de l’école Notre-Dame-de-Jacques-Cartier, et bottines avant et après la fonte des neiges. Le meilleur résumé de cette vie de hockeyeur bottine a été merveilleusement racontée par Marc Robitaille dans son court récit intitulé « Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey », publié chez vlb éditeur. Malheureusement, ce petit livre dont on a fait un film moyen, raconte avec une totale justesse mon enfance de la rue et nos héros du hockey de l’époque. Le petit héros, c’était moi, et les joueurs du temps, les miens de héros!

J’étais d’ailleurs excellent au hockey de rue, tout comme au gouret de salon qu’on pratiquait également au sous-sol de l’église Saint-Roch. Pas gros mais rapide, souple et habile pour les feintes et les passes, je marquais régulièrement. Sur la patinoire, c’était toute autre chose. J’ai commencé à patiner avec les patins cassés et pliés de mes cousins et pas besoin de vous dire que j’y ai mis le temps avant de ne plus patiner… sur la bottine, comme on disait alors. Des patins de cuirette et carton, ce n’était pas génial. Alors, pour me tenir le pied, j’enfilais les jambières de gardien de but. Dans le temps, celui qui ne savait pas patiner se retrouvait toujours dans les buts. J’y ai pris goût, remarquez, mais j’avais beaucoup plus de style que d’efficacité. Vous connaissez l’histoire du gars qui se regarde jouer? Oui, c’est ça, il oublie d’être dans la « game ». Ça a duré des années. Mais j’ai tout de même eu quelques bonnes saisons.

Pour en revenir à la maison du 216, Arago Est, il faut savoir qu’elle était assez croche et particulièrement mal isolé. Pour vous donner une idée, la chambre de mon frère était juste devant la mienne, séparées par un couloir. C’était l’époque où la compagnie Scwartz, fabricant de moutarde, vendait son produit dans des bouteilles de plastique en forme de quille. On en a mangé de la moutarde pour réunir nos dix quilles. C’est vrai que les familles des frères et sœurs de ma mère nous ont aidées. Quand on a eu nous dix quilles, on a écrit à la compagnie pour avoir nos boules. On en a eu deux, toujours en plastique.

Où je veux en venir? C’est simple, on installait les quilles sur le mur avant de ma chambre et on s’installait près du mur arrière de la chambre de mon frère et on laissait aller la boule qui prenait assez de vitesse, même sans élan, pour abattre les quilles. Bref, le plancher du haut penchait fortement vers l’avant. Et pour ce qui est de l’isolation, parlez-en à Claude qui, l’hiver, couchait toujours avec le double de couverture.

Vous comprenez de tout cela que nous n’étions pas riche, loin de là. Mes parents se sont mariés sur le tard, même très tard, la quarantaine tout près, et mon père, très longtemps malade, a passé sa vie comme commis de bureau au gouvernement du Québec. Il avait conservé sont premier chèque de paie, daté de juin 1950, au montant de 15,15 $... pour deux semaines!

Ils se sont mariés en novembre de la même année et je naissais en décembre 1951. Ils n’avaient évidemment pas de temps à perdre…

À suivre!