mercredi 18 avril 2012

La vie, avec réserve



« Pourquoi. La nuit, elle dort d’un sommeil lourd qui lui enfouit le front jusque dans les dunes de son oreiller. Son visage tremble dans la noirceur sa chambre close. Elle se raidit dès que quelqu’un hausse la voix. La peur la pourchasse dans ses cauchemars de mère. Elle pleure et personne ne la console. Elle oublie. Elle rit.

« Je voudrais lui dire que je sais. Pourquoi je me tais.

« Le silence, je voudrais écrire le silence. »
Naomie Fontaine, Kuessipan, éditions Mémoire d’encrier.



Cet extrait est tiré d’un tout petit recueil d’une centaine de pages, qualifié de roman par l’éditeur. Écrit gros avec plein de pages d’un ou deux paragraphes seulement, le livre contient, finalement, peu de mots, en somme. Mais chaque phrase, toujours courte, entre comme un scalpel dans l’esprit et le cœur du lecteur. Kuessipan est l’œuvre d’une jeune Innu de Uashat nak Mani-utenam. Elle a 23 ans, mais on lui en donnerait au moins 1 000. Elle est la parole du silence qui entoure depuis des générations les parqués dans les réserves du Canada, ce silence comme un cri de douleur, de mal-être,  d’angoisse et de dépossession. Ce livre, c’est aussi celui du rire, des amours, du battement du tambour, de la nature apprivoisée et nourricière, celle qui fait la nature même de l’Innu. Ce livre, comme le dit Dany Laferrière, est celui « …d’un archer qui n’a pas besoin de regarder la cible pour l’atteindre en plein cœur. Mon cœur. »

La vie sans réserve

Encore et toujours, il y a le fleuve. Peu importe les saisons, il est attirant. On le regarde sans cesse, toujours nouveau, toujours vivant. Toujours envie d’y naviguer, et, ce printemps, de se mêler aux oies, bernaches, fuligules, sarcelles et autres garrots d’Islande ou à œil doré qui s’y arrêtent pour quelques semaines.

Alors, on sort le kayak et on le glisse doucement sur l’onde, lentement, pour ne pas effaroucher ce monde de plumes et de piaillements qui s’anime sur la mer étale. Pas question toutefois, de tenter d’approcher de quelque volatile que ce soit. On n’a nulle part où se cacher. On est visible à des kilomètres et, même délicat, le bruit de la pagaie dans l’eau se répercute à l’infini… On peut juste faire semblant d’être partie intégrante du décor et contempler l’énorme aéroport que devient le Saint-Laurent de mars à mai. Et en profiter…

Vélo
Malgré que le fond de l’air soit encore frais, la saison de vélo à l’extérieur est bel et bien commencée. Si vous voyez comme ça roule le long de la 138 entre Saint-Augustin et Deschambault et même plus loin… Des cyclistes tout bardés de cuissards et maillots tachés de publicités divers, des bécanes de 5 000$, des casques en formes de fusées. Tu te demandes de quoi tu auras l’air parmi tous ces pistards de grands chemins. 

Tu prends la route timidement et déjà, direction ouest, faut mettre la pédale dure, une longue côte attend, pas tellement abrupte mais assez longue. Et puis ce vent de face, incessant et fort, finalement, bien plus qu’il n’y paraissait à l’arrêt. Le réchauffement musculaire se fait rapidement. Tu travailles fort et avance entre 22 et 26 km/h. Alors tu penses que tous les pistards vont te passer comme si tu n’existais pas. Mais non, personne ne passe et toi-même, sans t’en rendre compte dépasse un cycliste qui te salues gentiment. Et tu continues comme ça jusqu’à Portneuf, quelque 25 km plus loin avant de virer de bord.
Photo de... l'été dernier.

Et là, tu comprends! Tout est dans le vent! Ta vitesse passe de 25 à 35, puis 40 km/h avec même une pointe à 50 km/h sur un faux plat descendant!! Les pistards qui ont l’air de rouler comme des fusées le font le vent dans le dos!!! Bon, ok, t’en connais au moins un que 35 km/h face au vent, c’est sa vitesse de croisière et 50 km/h dos au vent, c’est aussi sa vitesse de croisière. Mais il a la moitié de ton âge et… c’est une machine! Salut Yohann!

Tiens, je me fais un p.s. juste pour me vanter. Mardi, journée de grand vent, je suis descendu à Québec à vélo, vent de dos. Quelque part entre Neuville et Saint-Augustin, j’ai atteint une pointe de vitesse de 57,9 km/h sur à peu près 400 m. Mon meilleur score à vie. Un peu plus loin, dans la côte qui mène à Cap-Rouge, mon odomètre a marqué 70,7 km/h… Mais là, je n’y étais pour rien.

Iyer/Mehldau

Presqu’en même temps les pianistes vedettes du jazz que sont Brad Mehldau et Vijay Iyer viennent de sortir des albums en trio. Le premier s’intitule Ode et met en vedette les collaborateurs habituels de Mehldau, le bassiste Larry Grenadier et le batteur Jeff Ballard. On connaît beaucoup Mehldau pour ses reprises de musiques pop ou folk contemporaines. Ses relectures de compositions de Radiohead et de Nick Drake ont en partie fait son renom, tout autant que son lyrisme emporté et son sens mélodique. Ode est dans la même veine à ceci près que toutes les compostions sont l’œuvre du pianiste. Peu de surprises, mais toujours autant d’inventivité et une cohésion à toute épreuve.


Chez Vijay Iyer et son album Accelerando, tout est en puissance, intensité, progressions harmoniques et syncopes. Tout est science chez ce musicien physicien de formation, et tout est couleurs aussi, avec une rythmique  des plus percussive. Bref, une musique riche, d’avant-garde, qui saura convertir les plus difficiles des mélomanes et séduire les amateurs de nouveautés. Accelerando propose des compositions originales et des reprises tout aussi originales d’œuvres d’Herbie Nichols, Henry Threadgill ou Duke Ellington. Mais qu’on ne s ‘y trompe pas, tout cela, c’est du Vijay Iyer pur et dur!!

Phil Alvin

Phil Alvin était l’âme des Blasters, un groupe « roots & rock » de Californie qui a connu un certain succès dans les années 1980. Durant cette période, l’Alvin en question, fort de ses origines familiales où le folk, le blues, surtout, et la country faisaient vibrer la maison s’est permis un album incroyable où il a réunit le Dirty Dozen Brass Band et l’incroyable intergalactique Arkestra de l’unique et intersidéral Sun Ra. Le résultat, un album irrésistible où le swing néo-orléanais le plus le plus fou, le big band échevelé  et la folk la plus tendre se relaient dans une atmosphère de plaisir constant. Paru originellement en 1986, Un « Sung » Stories vient tout juste d’être réédité en 2012.

lundi 9 avril 2012

Nicolas l’émouvant…



D’habitude, lors d’événements importants, j’écris toujours une bafouille, un truc, un mot quoi, histoire de dire ce qui m’y touche… Ça m’est arrivé de le faire tout seul devant mon ordinateur, sans auditeurs pour partager l’émotion qui m’étreignait. Fallait juste l’exprimer.

Aujourd’hui, je voulais faire exception, question de dire tout haut et sans papiers que Nicolas, dans ce qu’il est, me touche à chaque instant. Ça a commencé lorsqu’il est né. Une poussée, tout une à épuiser sa mère tant et tant qu’elle a mis des heures à s’en remettre. Mais voilà qu’il était là, que je l’ai pris, dans mes bras, déombiliqué, bercé et lavé. Lavé si longtemps, qu’on nous a mis dehors de la salle d’accouchements. Il y avait d’autres mères qui attendaient. Z’avaient raison, si elles étaient comme Diane, ça pressait!

On le ramène à la maison et voilà qu’il ne pas digère la protéine de lait. Vomissements à n’en plus finir… A fallu le veiller des nuits durant à l’hôpital, le temps qu’il s’en remette. Et braillard avec ça! La nuit, rien que la nuit. Au bout de quelques mois, nous étions tellement fatigués, nous ses parents, qu’on se rentrait dedans en se croisant dans le corridor, l’un allant le prendre, l’autre en revenant.

Mais il était gentil, le jour, et tellement souriant. Inquiétant, un peu, quand même… Avec ce lait de soya qu’il fallait lui donner, il pesait 33 livres à un an. C’était plus court de passer par-dessus que de faire le tour. Mais il souriait, Bouddha. Il souriait tout le temps.

Et il a parlé vite et fait dans des phrases émouvantes dès son plus jeune âge. Comme cette fois où, à trois ans, il jouait dans le salon pendant que je lisais en écoutant de la musique. Une voix d’alto accompagné d’une flûte. Nico s’arrête 3 secondes et dit : « C’est du Bach, ça, hein papa?!? » Et il a continué de jouer avec son camion comme si de rien n’était… pendant que je lévitais au-dessus de mon fauteuil.

L’année suivante, après une fin de journée particulièrement pénible, il a refait un mot de ses maux. On rentrait souper tous les deux et je suis tombé sur le dos, en patin. Comme il était sur mes épaules, il est tombé de haut. Ça a cogné dur sur nos têtes…

Évidemment, il n’a pas voulu manger au souper, il n’aimait pas ça. Pas étonnant, il n’aimait rien à l’époque, sauf le beurre de peanuts et le steak haché et ce n’était pas au menu. Pire, il lui a fallu prendre son bain par la suite. Quelle fin de journée horrible!!

Alors voilà, quand tout fut fini et qu’il eut pris sa collation, il est venu me trouver au salon, resplendissant dans son pyjama à pattes jaune. Pour faire changement, j’écoutais du Bach. Il m’a regardé et est allé à la fenêtre. Dehors, il neigeait doucement et le lampadaire faisait miroiter les flocons comme des diamants précieux. Il est resté longtemps accoudé à la fenêtre avant de se retourner et dire, après un soupir : « Ça me réconcilie avec la vie! » Je l’ai bercé, la larme à l’œil, lui ai raconté, comme d’habitude, une histoire abracadabrante durant laquelle il s’est endormi.

Il est comme ça depuis toujours, Nicolas. Émouvant. Émouvant verbomoteur, émouvant guitariste, émouvant chanteur, émouvant étudiant connaissant comme personne la science des mots et l’art presque perdu d’écrire sans fautes.

Il est comme ça Nicolas, à vivre intensément toutes les expériences que la vie veut bien lui apporter, discourant sans fin, de musique, s’interrogeant sans cesse sur son avenir, toujours éperdu d’amours heureuses et malheureuses. Y en n’aura pas de facile c’est sûr, mais Nico vivra tout avec émotions. Et nous, ses amis, sa famille, ses parents, ne pouvons que faire de même, le suivre avec tendresse et nous inquiéter un peu, quand même.

Nico, t’es un amour!!!!

dimanche 1 avril 2012

Mon CKRL



Mon CKRL, c’est Jacques Parent qui anime la « Nuit des Rois » dans les années 1970 et me fait découvrir la fascinante Sonnerie-de-Sainte-Geneviève-du-Mont-à-Paris de Marin Marais, musicien à la cour de Louis XIV. C’est Léo Ferré en compagnie de François Desmeules, ex-directeur de la programmation, les « Routes enchantées » empruntées par Jean Provancher les dimanches après-midi, les mondes folk d'Hubert Tremblay. C’est aussi Miles Davis, Tom Waits, le contrebassiste Dave Holland, Brigitte Fontaine et, bien sûr, Richard Desjardins, ma découverte à la station.

Surtout, c’est l’ami de toujours, Martin Bolduc, qui m’a invité à une nuit du jazz en 1986, en compagnie du batteur Pierre Tanguay. Ce fut mon initiation à la radio et prélude à une carrière d’animateur bénévole à CKRL.

Martin qui est d’abord mon ami, fut concurremment animateur, membre du comité de programmation, président du conseil d’administration de la station. Pendant une décennie, il s’y est investi corps et âme jusqu’à ce que le travail et l’amour l’amènent à Montréal. C’est avec lui qu’est né « Rictus », l’émission de musiques d’avant-garde dont Paul Marois fut un pilier visionnaire, « Par quatre copains » où Denis Jodoin devait nous rejoindre. C’est grâce à lui, enfin, que j’ai crée, avec Perron, « La Folia » l’émission de musique ancienne qui, même si elle a changé de nom et d’animateur, est toujours en ondes le dimanche matin, près de 30 ans plus tard. Martin en a assuré la mise en ondes quelques semaines, le temps que nous, pauvres béotiens de la technique, puissions à peu près devenir autonomes. 


L'entrevue



-         Bonjour tout le monde! Gilles Chaumel au micro qui vous souhaite bienvenue à cette émission spéciale de Folk d’Amérique réalisé dans le cadre du radiothon 2012 de CKRL. Spéciale parce que je suis en compagnie d’un digne successeur des Woodie Guthrie, Pete Seeger, Bob Dylan et autres Joan Baez, le poète, auteur compositeur Richard Desjardins!!!

-        Ouais, je ne suis pas tout seul, on est une gang…

Et c’était parti comme ça pour 20 minutes d’entrevue avec ce géant de la chanson contestataire que j’ai eu le plaisir d’interviewer dans le cadre du 31e radiothon de la plus vieille station de radio communautaire de langue française en Amérique. Au programme, l’engagement, l’amer Indien, L’existoire (disque et concert) et… le pays des calottes. Vous pouvez d’ailleurs entendre cette entrevue en baladodiffusion sur la page Web de CKRL-MF.

Ce fut un grand un plaisir pour moi, même si l’estomac me papillonnait drôlement au début, d’autant plus qu’on a eu droit à quelques anecdotes savoureuses et rares de la carrière du grand artiste et qu’il s’est montré totalement gentil et disponible tout le temps qu’il a été avec nous. L’homme est timide mais néanmoins très conscient de sa valeur, d’où sa boutade « on est une gang » lorsque je l’ai associé aux grands folksingers du siècle dernier.

Comment en suis-je arrivé à me retrouver devant Richard Desjardins? Tout simplement lorsque la directrice de la programmation me l’a demandé : 

Richard Desjardins a accepté de venir au radiothon. Comme tu animes Folk d’Amérique, est-ce que ça te tente de le recevoir?

-         Ben oui, d’autant plus c’est moi qui ai fait jouer Richard Desjardins pour la première fois sur les ondes de la station. C’était, avant même la parution de « Tu m’aimes-tu? », la version vinyl de « Les derniers humains ».
-      
      Bon, parfait, c’est réglé…
-       
      Euh, est-ce que je peux y réfléchir un ti peu?

-          Oui, mais ne tardes pas. Bon, ok, ça me stressait, mais j’ai quand même dit oui quelques jours plus tard… en me demandant dans quoi je m’embarquais…


Mais bon, faut s’assumer, comme disait Plume Latraverse, pas s’assommer. Et c’est tout à fait vrai que j’ai été le premier à faire tourner Desjardins, en 1988.  À l’époque, l’ami Claude Lépine, qui commençait dans la distribution de disque, est venu à la maison pour me présenter et écouter de la musique, activité que nous partagions alors rageusement. Après avoir écouté des grandes pointures comme le World Saxophone Quartet, en jazz, ou le violoniste Sigiswald Kuijken en musique baroque, il a sorti un disque (un vinyl évidemment) avec une pochette noir et blanc avec la tête « du gars avec des lunettes » et un titre : « Les derniers humains ».

Claude me dit : « Je ne sais quoi penser de ça. Les textes m’on l’air forts, mais la voix est… comme bizarre. » Et il avait raison, mais la poésie des Yankees était si forte, la guitare si intense, que je suis tombé sur le cul… Deux jours plus tard, à mon émission estivale de l’époque, en soirée. J’ai fait jouer « Les Yankees »…

Lila Downs


Vous connaissez sans doute cette extraordinaire chanteuse, Lila Downs, une sorte de Richard Desjardins mexicano-américaine, qui, tout en défendant à sa façon les perles de la musique traditionnelle de son pays, demeure une contestataire virulente qui ne cesse de dénoncer l’oppression faite aux déshérités qui hantent la frontière à la recherche d’une vie meilleure.

Eh bien la dame récidive avec un album qui rend hommage aux peintures votives que l’on trouve à Mexico et qui sont l’expression d’un vœu fait pour des raisons religieuses. Enfin, peu importe, cet album est magnifique, réalisé dans la grande tradition de la chanson latino, faite de ballades douloureuses, de musiques dansantes dont la caractéristique principale est l’intensité de l’expression. Il y a dans cet album, une des versions les plus puissantes que je connaisse de « Cucurrucucu Paloma ».  

Beethoven Berg
Pour la deuxième fois en moins de deux ans, la maison de disque Harmonia Mundi propose le concerto pour violon de Beethoven avec la violoniste allemande Isabelle Faust. Pourquoi se tirer dans le pied alors que la première rencontre avait déjà obtenu les plus grands éloges? Parce que la présente édition avec l’Orchestre Mozart dirigé par Claudio est tout à fait époustouflante, montrant une Faust inspirée et visionnaire, et que le disque est complété par le concerto dit « À la mémoire d’un ange », du dodécaphoniste Alban Berg. Encore une fois, l’interprétation est des plus magique. Déjà, cet album a obtenu les critiques les plus élogieuses un peu partout sur la planète…

Un must évidemment, mais il faut savoir que le concerto de Berg est plus exigeant à l’écoute. Le compositeur l’a écrit à l’occasion du décès de la jeune Manon Gropius, 18 ans, la fille d’Alma Mahler et de Walter Gropius de qui il était très proche (de Manon, pas de Walter!). C’est intense, un chef-d’œuvre, mais qui ne peut surpasser le plus beau concerto pour violon de tout le répertoire, celui de Beethoven!!!

Cowboy Junkies

Les torontois de Cowboy Junkies ont fait paraître quatre disques en deux ans qu’ils ont intitulé The Nomad Series. Vous saurez tout sur ce projet en consultant le blogue Mac et guitare. Je ne les ai pas tous entendu mais le dernier, The Wilderness, qui parle à la fois de solitude et de quête existentielle dans une atmosphère d’une grande douceur. Les Junkies comme je les aime!!!!

Mirel Wagner


Une marginale dont on ne sait rien mais dont Libération en fait un portrait aussi saisissant que… vide, comme seuls, parfois, les Français savent le faire. « Ce serait une Billie Holiday qui se serait trompée de latitude, téléportée du «pot au noir» des mythologies pirates jusqu’aux rivages de l’antique Thulé avec un ukulélé. » vous voyez le genre. N’empêche, c’est à lire !

Mirel Wagner est Finlando Éthiopienne, ne joue quand dans des espaces improbables, souvent crades, et propose des mélodies quasiment statiques, d’une simplicité désarmante mais toujours bouleversantes.