mardi 21 septembre 2010

Bonheurs d'un automne précoce

Florent souriant (pour une fois) sur une photo en compagnie de Lionel, le petit dernier...pour l'instant!
Photo : Rosemarie Séguin-Lamarche.
Florent m’a appelé…

- Allô, zilles? C’est Florent… je t’aime, zilles. Bye bye… et, à la suggestion de sa maman, il raccroche le téléphone. Je l’ai manqué, cet appel. J’étais dehors à recorder ma corde de bois qui s’était effoirée après avoir sérieusement penchée à gauche pendant quelques semaines. J’ai laissé faire autant que j’ai pu, pencher à gauche n’étant pas la direction que semble prendre le monde en ces temps de plus en plus désastreux. J’ai laissé pencher à gauche en pensant ramener, par l’illusion, un peu d’équilibre sur la planète où la méchanceté devient la norme…

Et il y a eu cet appel de Florent qui, par l’amour, a miraculeusement tué la morosité qui m’envahissait depuis quelques heures. Florent, mon si doux petit-fils, que je pourrai réentendre ad vitam aeternam sur mon répondeur et même dans mon courriel parce que mes messages téléphoniques s’y inscrive. Un peu plus et j’étais content de l’avoir raté…

Flo en rando avec l'auteur...
photo : Louise Séguin

Avec Gédéon, l'admirable grand frère au marais du lac Saint-Charles.
Photo : Louise Séguin

Je n’ai pourtant aucune raison d’être morose, peut-être est-ce la conséquence de l’arrêt trop brusque d’une activité trop jouissive pour qu’on puisse s’en passer d'une seconde à l’autre…

De mer…

Faut dire que ce fut une grande fin de semaine de plein air avec ma Loulou et son, pardon, notre amie Danièle, entre Tadoussac et Anse-de-Roche. Dès notre arrivée, vers les 11 h 10, ma douce est allée courir sur les dunes de Tadou, puis elle apris un verre de vin avec Danièle en contemplant la baie avant de s’embarquer, vers 16 h 30, pour une croisière ornithologique. Croisière est un bien grand mot pour qualifier cette sortie qui tenait infiniment plus d’une performance de zodiac extrême que de l’observation béate des grands oiseaux marins. En fait, d’entrée de jeu, les naturalistes maniaques qui faisaient partis de l’expédition, on fait savoir aux observateurs que l’oiseau du jour que l’on rechercherait était le labbe parasite, ce grand oiseau qui s’attaque aux goélands et aux mouettes pour leur faire échapper leurs prises ou même leur faire régurgiter leur repas pour s’en emparer et cela, en plein vol.

Et comment on fait pour voir tout cela? Ben on leur court après, ou plutôt on suit leur vol parallèlement à leur propre vitesse, qui, selon ma douce, est prodigieuse. Et on seulement on les suite mais on épouse aussi leur incessant virevoltement à toute vitesse. Le zodiac d’une quarantaine de places sur lequel mes dames avaient pris place est équipé de deux moteurs Volvo de 300 forces chacun et malgré cela, les labbes arrivaient parfois à le distancer. Les passagers, heureusement bien habillés, ont eu droit, durant les deux heures de la sortie, à de vigoureuses douches de mer provoquées par les brusques changements de cap du navire, surtout que les vents du sud-ouest, de plus en plus prononcés à mesure que le temps passait, rendait la mer de plus en plus houleuse. Les filles en sont sorties étourdies mais heureuses de leur périple inattendu. C’est certain que quand tu penses longer peinardement la rive à chercher des tits canards, l’expérience de la poursuite du labbe avec une gang de tripeux d’oiseaulogues relève de l’aventure de haut niveau.

Danièle et Loulou au lendemain de leur périple fou.

Ah oui, j’oublais, rien n’a rendu ce beau monde plus fou que lorsqu’il ont pu observer de longues minutes une minuscule mouette pygmée dont ils ont dit qu’on en voyait une pour 1 000 mouettes de Bonaparte…

…et de terre

Tadoussac vu du haut du sentier du fjord.

Pendant ce temps, sac au dos, je partais sur le sentier du fjord qui relie, sur 47 km, Tadoussac à la baie Sainte-Marguerite. Mon objectif, faire une quinzaine de km aller-retour à partir de Tadou, comme disent les gens de l’endroit. Le temps frais et venteux m ‘a permis de me rendre jusqu’au camping de l’Anse-à-la-Boule. Une belle sortie de 22 km et si je n’étais pas parti si tard, je me serais sûrement rendu au refuge de l’anse du même nom qui, lui, est situé tout en haut du fjord… Je voulais ménager mes vieux genoux.

L'Anse-à-la-Boule. Tout en bas, un joli ruisseau s'y jette.

Les escaliers vermoulus pour faciliter la tâche du randonneur. On est loin des grandes sauvageries de Katahdin.

Sur les hauteurs...

Vous dire à quel point ce sentier est mal fréquenté, bourré de perdrix, de chevreuils, de couleuvres et autres bêtes qui ne cessent de vous faire sursauter à chaque tournant. Quand même, du haut du fjord, la vue est sacrément belle et au bout de six heures de marche, la repos et la douche font un bien énorme.

Sa majesté le fjord du Saguenay.

Gîte et bouffe

Benoît, Danièle et ma Loulou devant le "manoir" où nous avons dormi comme des loirs.

Nous nous sommes tous retrouvés à l’auberge de jeunesse Le manoir de la Lune, chez Benoît Plante, un fascinant et chaleureux personnage de l’Anse-de-Roche, qui nous a logé dans un charmant gîte aux 100 recoins, à travers les livres et les lits, sa chienne Mowglie et son chat siamois, grand chasseur devant l’éternel… Ce « manoir » fait partie d’un complexe appelé Le sommet du fjord sur lequel se trouve un camping sur plateforme qui offre une vue imprenable sur le Saguenay et le quai de l’Anse de Roche et son bistro où l’on mange toujours aussi bien! C’est là, bien sûr, qu’on a passé une soirée toute aussi agréable qu’hilarante avec la proprio Marie-Claude qui, comme serveuse, na sait vraiment pas toujours où donner de la tête. C’est la sienne qu’on s’est payé bien sûr...
Danièle et ma douce au camping du Sommet du Fjord. En bas, le quai de l'Anse-de-Roche.

Musique

C’est la rentrée et il y a plein de belles et grandes musiques qui nous sont proposées en ce beau mois de septembre finissant. Comme le Festival de jazz de Québec s’en vient à grands pas (du 29 septembre au 3 octobre 2010), je vous propose d’écouter le nouvel opus de Charles Lloyd, le grand saxo ténor, émule du Coltrane le plus intérieur, qui s’intitule Mirror. Un album magnifique presque toutes en ballades, des spirituals (Go Down Moses), des tounes de ce cher Thelonious Monk (Monk’s Mood, Ruby My Dear), des traditionnels américains et mexicains (The Water is Wide, La Llonora) et des compositions du saxophoniste lui-même (Tagi, Mirror, Lift Every Voice). Le maître est accompagné du jeune Jason Moran au piano, du très compétent Reuben Rogers à la contre basse et surtout du magicien des baguettes et des tambours, polyrythmicien de génie à la Elvin Jones (le batteur de Coltrane), Eric Harland. Une autre réussite de haut niveau pour un des plus grands musiciens vivants du jazz planétaire.

Je vous ai déjà parlé de Vijay Iyer qui est en voie, à lui seul, de réinventer l’art du piano jazz à coups de poésies et de mathématiques (il a un doctorat en la matière, je pense). Là, vient tout juste de sortir SOLO, une œuvre pour piano où le compositeur et interprète réécrit les standards avec des improvisations de haut niveau, déconstruisant le matériel des Monk et Ellington, pour les remodeler à sa manière et créant de nouveaux thèmes inspirés par les anciens. Un bijou pour tous les aficionados de la créativité et les amants du piano.

Dans un tout autre domaine, il y a Ryan Bingham, jeune cowboy du Texas et auteur compositeur de grand talent qui vient de faire paraître, en compagnie de son band, les Dead Horses, Junky Star, un album folkie rock produit par nul autre que T-Bone Burnett, le même qui a réalisé le film Crazy Heart qui raconte l’histoire d’un chanteur country en pleine déchéance alcoolique admirablement interprété par Jeff Bridges. La chanson thème du film est une composition de… Ryan Bingham. Bref, T-Bone a pris Ryan sous son aile et lui a fait enregistré un disque bourré de belles chansons, tantôt très blues, tantôt folk, tantôt rock. Et la voix, je ne vous dis pas, ça a de ces influences d’un certain Bruce Springsteen. Le bonheur, je vous dis.

Bonne semaine!!

samedi 4 septembre 2010

Katahdin, la cathédrale

Le pic de Katahdin. Un pas en arrière et on se retrouve 5 267 pieds plus bas. Le seul pas que nous n'avons pas franchi!


Texte de Gilles Chaumel, Photos de Norbert Lafond

Il y a longtemps que mon ami Norbert Lafond me parlait de « faire le mont Katahdin » avec son Knife Edge et ses pics sanctifiants. Je le rencontre par hasard, en mars dernier, à notre épicerie fine favorite, rue Saint-Jean, L’Épicerie européenne. « Gilles, pour moi, Katahdin, c’est cette année ou jamais. T’embarques-tu? » Un fou daine poche. Ce n’est pas un projet qui se refuse pour n’importe quel capoté de la rando en montagne. En tout cas, moi je ne pouvais pas. J’ai dit : « oui, comment est-ce qu’on s’organise? » Et puis voilà, du 31 août au 4 septembre dernier, après bien des péripéties quand au groupe de quatre que nous devions former, nous sommes partis… tous les deux. Mais cela, c’est une autre histoire que notre ami Patrice Plante vous racontera volontiers…

On y va! Les nuages nous attendent. Après tout, il ne fait que 32 degrés... n'est pas Norb?

Le mythe

Le Knife Edge, dans toute sa splendeur...


Le mont Hamlin, juste en face de Katahdin.

Beau cul, m'a dit mon amie Peggie. N'est-ce pas? Hi, hi...

J’avais bien sûr entendu parler de cette montagne mythique de l’est de l’Amérique du Nord. Elle n’a rien évidemment rien à voir avec les Rocheuses, les Andes ou les Alpes pour ce qui est de l’altitude. Ses vertus sont ailleurs. Ce qui distingue, en fait, ce « complexe » montagneux, c’est sa forme en demi lune au fond de laquelle repose un petit lac d’une pureté inégalée. L’un des passages pour accéder à son sommet s’appelle la Cathédrale, à cause de la raideur de sa montée et de l’impression de toujours y voir comme une pointe de… cathédrale en haut de chacun de ses paliers. Nous l’avons d’ailleurs emprunté. Mais avant d’aller plus loin, je vous propose de lire ce qu’en disait Mario Demers dans l’édition de mai de la revue de plein air Espaces :

Le Knife Edge du mont Katahdin (Maine)
Avoir la lame à l’œil

Pour une fois, l’expression « à couper le souffle » ne constitue pas un cliché. Non seulement à cause du nom de ce sentier, joyau du parc Baxter, mais parce que la vue qu’offrent ses extrémités – Pamola Peak et Baxter Peak – est probablement la plus émouvante de tout le Nord-Est. Devant soi se dessine une étroite et intimidante crête accidentée qui promet des heures de plaisir à jouer les funambules. Sur cette lame de roc effilée longue de deux kilomètres et surplombant deux interminables parois verticales, quelques passages aériens de moins d’un mètre de largeur – où il n’est pas rare de croiser des randonneurs accroupis et terrorisés – conduisent à une profonde brèche dans laquelle il faut bravement plonger, bien agrippé aux rochers. Seule voie de sortie possible : escalader l’autre paroi, tout aussi escarpée. Le Knife Edge demande des nerfs d’acier et des réflexes bien aiguisés!

C'est là. Enfin, si vous y comprenez quelque chose...

Conseils

• 18 km, incluant l’approche.
• De Chimney Pond, monter vers le sommet Baxter (point culminant du mont Katahdin, 1600 m) par le sentier Cathedral, traverser le Knife Edge, puis descendre par l’exigeant sentier Dudley.
• De Montréal, il faut compter 7 h 30 (environ 550 km).
• L’accès au parc est limité. Mieux vaut arriver très tôt ou camper sur place.
• Infos : 207 723-5140 • www.baxterstateparkauthority.com

La description du journaliste est juste et « émouvant » est l’adjectif qui décrit le mieux le lieu, même si le mot reste faible devant la magnificence « intime » qui s’impose à nous. En fait, pour être moins ésotérique, je veux dire que même si plus d’une centaine de personnes circulent sur et autour de Katahdin chaque jour, chacun a l’impression que le lieu n’existe que pour lui. Cependant, contrairement à ce que dit Demers, nous n’avons vu personne de terrorisé en ce beau 1er septembre 2010. Et s’ils étaient accroupis, c’était d’ébahissement ou dans mon cas, pour une raison que vous découvrirez plus bas.

La cathédrale

Rien, pourtant, ne prédispose le randonneur qui arrive au Parc Baxter à voir ce qu’il va voir et vivre ce qu’il vivra. L’entrée du parc est installée tout près d’un lac splendide et n’offre aucune montagne à la vue. Il nous faut parcourir 12 km de route forestière pour arriver au camping du Roaring Brook, notre base. Encore là, aucune élévation en vue.

Le Upper Togue Pond, à l'entrée Sud du Baxter State Park. Baignade, canot et kayak dans un décor de rêve.

Ce n’est qu’après avoir parcouru la moitié du sentier d’approche nous permettant d’arriver au pied de Katahdin, le Chimney Pond Trail, qu’une éclaircie nous offre un premier point de vue, une apparition tout à fait saisissante qui a fait s’exclamer les 7 ou 8 personnes qui sont arrivées juste après nous. Là, se dresse majestueusement le mont Katahdin et ses pic de Baxter de 5 267 p., South (5 240 p.) qui sont reliés à gauche, au mont Pamola (4 919 p.) par le fameux «Knife edge ». Tout à côté, le mont Hamlin vient compléter le décor. Tout cela nous attend quelque 10 km plus loin, distance que nous parcourrons avec un enthousiasme qui nous donne littéralement des ailes.

Chimney Pond, le petit lac au coeur de la cathédrale.

La magie s’accentue à l’arrivée au Chimney Pond, le tout petit lac lové au fond de la demi-lune que forme la montagne. On se croirait littéralement dans… une cathédrale. C’est d’ailleurs par le sentier du même nom que nous entreprendrons notre ascension, Norb et moi. En fait, il n’y a pas de sentier, mais des balises qui jalonnent une longue montée abrupte de près de deux kilomètres sur les pierres qui forment la montagne.

Le premier palier de la cathédrale... Il y en a deux autres avant d'arriver au sommet de Katahdin.

Chier dans la cathédrale

Depuis le début de notre rando tout n’est que mystique. Et surtout cette montée exaltante vers les nuages que fend avec force le knife edge. C’est alors que ça m’a pris. Tout d’un coup, comme si quelqu’un m’avait trituré les boyaux d’un vicieux coup de malaxeur. Une terrible crampe intestinale m’a assaillie et, au bout de cinq minutes, je n’arrivais plus à avancer. Je n’avais plus le choix, je devais déféquer opsdc[1]. Mais voilà, juste au dessus de nous, il y a un groupe de trois jeunes adolescentes et, en dessous, un monsieur qui arrive avec, lui aussi, son ado. Et encore d’autre plus bas. Alentour, aucun arbre évidemment. La panique aussi totale que vespérale s’empare de moi. Il me faut tout un effort de concentration pour loger la paroi, jusqu’à m’isoler à une centaine de mètres m’installer, en équilibre précaire au-dessus d’une touffe de lichen qu’ai pris le soin de dégager auparavant. Bon, je passe sur la description de la détonation qui a suivie, mais je vous assure que j’ai respecté en tout point les préceptes du code Sans trace en nature !

Ce fut le seul moment de désarroi de ce périple en tout point remarquable, le plus exigeant de ma "carrière" de randonneur, mais aussi le plus valorisant, exaltant, enivrant. Mon ami Norbert est d’accord là-dessus. D’ailleurs, c’est un merveilleux compagnon de voyage cet homme, qui est d’une souplesse exemplaire côté bonne entente et un raconteur de première pour ce qui est des anecdotes de voyage. Un gros merci de m’avoir invité à celui-ci !


La traversée du fameux Knife Edge, des heures de bonheur!

Imposant, tout de même, non?

Le monde est petit et le Chimney Pond en bas itou...

...mais nous, on se sent grand. Les pieds légers posant avec bonheur devant le dernier sommet de la journée, le Pamola.

...mais avant d'y arriver, il fallait passer ce pic à pic de 90 degrés. Le petit point au milieu, c'est moi!

Je n’en raconte pas plus, les photos vous disent le reste mieux que les mots, sauf pour ajouter que la rando, c’est comme l’éternité, c’est toujours vers la fin que c’est le plus long. Quand on a tout vu, tout grimpé, tout trippé, le retour pentu à travers les branchages de sapins rabougris du rocheux sentier d’Helon Taylor s’est prolongé un peu trop…

L'éternité, c'est long vers la fin quand les descentes sur les roches n'en finissent plus de finir. Mais comme on a rien pour rien...

Quel périple!!! On va revenir et cette fois, ma Loulou sera de la partie, n'est pas mon amour?!!


[1] opsdc : ô plus sacrant du criss

À Millinocket, dernier village avant le Baxter State Park, on trouve un petit resto des plus sympathique appelé l'Appalachian Trail Café. les p'tits dèj sont ravigotants et le service Internet vous permet de recommuniquer avec votre monde.