jeudi 23 mai 2019

Ciel de mer

À mon amie Claire, l’humaine au grand coeur


Vers l'île Brûlée... (photo : Gilles Chaumel)

Kamouraska. Le quai, la marée haute, presque, et pas de vent. Pas de vent!!! Ça fait cinq jours qu’un nordet, comme disait mon père, nous assaille de son inconfort et de sa froidure. Cinq degrés mardi, 21 mai. Ce mercredi, 17 à 17h, enfin, chaleur et plein soleil sont au rendez-vous, le moment où jamais de mettre le kayak à l’eau et m’aligner sur l’île aux Corneilles, dret en face du village. Presque plus de vagues en cette fin d’après-midi. 

C’est donc sous une lumière divine que je parcours les deux km qui mènent à la pointe de l’île, dans l’indifférence totale des trois grands hérons qui, à tour de rôle, suivent leur chemin vers l’ouest. Ils suivent à la lettre la célèbre maxime du professeur Tournesol : à l’ouest, toujours à l’ouest. Moi, c’est vers l’est que je virerai rendu au bout d'en haut, vers les oiseaux de mer de l’île Brûlée, nombreux à s’y accrocher en cette période de l’année.  

Au tournant de la pointe, je suis attendu; un splendide plongeon catmarin monte la garde sur une mer d’huile. Il me regarde et on se croise. Lui aussi nage vers l’ouest, serein, calme comme si le fleuve lui appartenait. Il me salue de son chant aigu, nettement moins mélodieux que celui de son cousin, le plongeon huard. Mais je ne vais pas me plaindre d’un si bel accueil. C’est à ce moment, en longeant l’île aux Corneilles, que je perçois le bruit assourdissant qui m’envahit. Là-bas, quelques centaines de mètres à droite, tout près de la rive, une cinquantaine d’oies blanches caquètent vivement. En face, sur les trois ilôts rocheux qui forment la frontière nord de l'archipel, des centaines de goélands de toutes les sortes piaillent : je reconnais les goélands à bec cerclé, les argentés, les voraces goélands marins et, oh, une rare mouette blanche, et des mouettes tridactyles aussi. Les inévitables cormorans, qui volent en procession, sont également dans le décor.

Et là, wow, voilà un beau canard, l’eider à duvet qui se tient en gang, surtout des mâles, pendant que les femelles couvent.. C’est sa gang qui émet ce son si caractéristique, comme un marmonnement incessant, comme des poules de mer. Et enfin, passent en escadrons ces petits pingouins que je convoitais, que j’espérais tant voir. Eux et leur vol si rapide qu’on peine à les suivre, un peu comme ceux des guillemots à miroir… Nooooon! Eux aussi sont là, quelques-uns du moins. Quel moment excitant!


(Photo : Louise Séguin)

Je pagaie, je pagaie, en pleine euphorie devant cette manne ailée qui, bien sûr, s’envole à mon approche pour mieux se re-poser derrière moi. Au loin, en face, l’île Brulée que je n’ai même pas encore atteint et dont la pointe regorge de volatiles bruyants. Alors, je m’arrête, me calme pour profiter totalement du moment. Je ferme les yeux, et me laisse dériver au cœur de cette faune céleste, seul humain à bord et au cœur de l’archipel. J'exulte, bien sûr! Comment pourrait-il en être autrement? Et ce fleuve étale qui contraste tant avec le couvert sonore ambiant; une jungle marine.

Un grand moment que j’ai hâte de rapporter à ma douce, elle qui m’a aidé pour la mise à l’eau, moi qui suis pris avec un mauvais genou qui me fait maudire la marche. Ma Loulou, qui sera bien récompensée demain matin lorsque, avec le brillant guide Pierre Brasseur de Zodiac-Aventurenous irons encore plus loin, vers l’île de la Providence, l’île aux Patins, et Grande-Île, haut lieu de nidification! Là, nous aurons l’opportunité de faire de la photo à notre goût.


 Chambre avec vue (dixit Loulou),
mouettes tridactyles et petits pingouins.
(Photo : Gilles Chaumel)


Eider à duvet, mâle.(Photo : Gilles Chaumel)


La conversation (Photo : Gilles Chaumel)

On  passé toute une semaine à Kamouraska, Louise et moi, aux chalets du capitaine Haddock, en plein cœur du village, tout près du quai. Notre ami Pierre Lemire, maître d’œuvre de la SEBKAqui s’évertue depuis plus de 20 ans à mettre en pratique les vertus de l’écotourisme, nous a reçus comme seul l’être généreux qu’il est, sait le faire.

jeudi 9 mai 2019

Messe en si mineur de Bach


Bernard Labadie survole l’Éverest



Souvent, dans une œuvre que tu connais bien, dont tu possèdes des enregistrements de référence, aller l’entendre en concert peut s’avérer décevant si l’interprétation n’est pas à la hauteur des attentes que tu en as, même inconsciemment. Alors, quand on a affaire à un chef-d’œuvre aussi immense que la messe en si mineur de Jean-Sébastien Bach, que tu écoutes depuis des décennies, t’attends beaucoup, tout athée que tu sois…

Avec ma douce, dimanche dernier, nous avons donc assisté au concert des Violons du Roy et de la Chapelle de Québec qui donnaient justement, au Palais Montcalm, l’œuvre en question. À l’orchestre et au chœur, s’ajoutaient quatre solistes, la soprano Lydia Teuscher, l’alto Iestyn Davies, le ténor Robin Tritschler et le baryton-basse Matthew Brook. À la direction de cet édifice, son penseur et son animateur pour l’occasion, celui pour qui Bach est un dieu, Bernard Labadie. Un seul qualificatif pour résumer notre sentiment commun au cours et à la fin du concert : subjugués.

Subjugués par la puissance du chœur d’ouverture, par les voix littéralement transcendantes qui portaient une infinie dose de spiritualité; subjugués par chacun des solistes dont les airs semblaient été écrits pour chacun d’eux. Cet alto, Iestyn Davies, est l’un des plus émouvant que j’aie entendu et le mariage vocale avec la soprano Lydia Teuscher dans le Christe eleison était parfait de lyrisme et de retenu; l’air du ténor Tritschler dans le benedictus était un pur bonheur et le Spiritum Sanctus de la basse de Matthew Brock totalement convainquant. Subjugués enfin, par l’orchestre dans son tous et ses parties (la flûte traversière, le hautbois, plus particulièrement. Subjugués, enfin, par le chef et maître d’œuvre Bernard Labadie, comme on l’est à chacun des concerts qu’il dirige. Et comme, ici, il dirigeait une des plus grandes œuvres de la musique occidentale, on peu dire qu’il a survolé l’Éverest.

Labadie a une connaissance intime de Bach. C ’est, je n’exagère pas, son chouchou, son dieu en musique. Il le cultive depuis sa prime jeunesse comme il l’a montré, dernièrement au critique du quotidien Le Devoir, Christophe Huss. Depuis la fondation des Violons et de la Chapelle de Québec dans les années 1980, on ne compte plus les concerts où les œuvres du cantor de Leipzig a tenu l’affiche : Art de la fugue, variations Goldberg, Offrande musicales, cantates. Mais avec cette Messe en si mineur, présenté pour la première fois en 17 ans par maître Labadie, on peut dire qu’on a assisté à un évènement mémorable. 

Et maintenant, à quand un enregistrement pour pérenniser la chose???