Deux pianos à la Maison symphonique de Montréal
Comme presque à chaque année depuis maintenant près de trois décennies, je m’immerge dans le Festival international de jazz de Montréal, le temps de quelques concerts. Plusieurs ont été mémorables, comme me le rappelait il y a quelques jours, mon (grand) ami Martin Bolduc, le plus fidèle de mes compagnons d’excursions jazzistes : le saxo ténor George Adams et son ami le pianiste Don Pullen, le saxo Chico Freeman et le pianiste Mal Waldron, le quartet de Charles Lloyd avec la pianiste Geri Allen, le Clarinet Summit qui a réuni, le temps de quelques concerts, quatre des plus grands clarinettistes de l’histoire du jazz en Jimmy Hamilton, Alvin Batiste, John Carter et David Murray.
Il y eu aussi les prestations zorniennes de 2010 de même que
l’étonnante prestation du pianiste Ahmad Jamal qui a célébré ses 80 ans avec
fulgurance accompagné d’un duo non moins énergique. Et j’en passe… Herbie
Hancock, avec le bassiste Dave Holland et le batteur Jack De Johnette, le World
Saxophone Quartet et même l’imbuvable Keith « Liberace » Jarrett dont
j’ai quitté la prestation au bout d’une demi heure, n’en pouvant plus de la
prétention et de la grossièreté de ce petit, très petit homme.
Frisell,
imagine!!
Cette année, c’est l’équipe de l’inventif
guitariste Bill Frisell (Tony Schierr à la basse, Kelley Wollesen à la batterie
et Greg Leisz à la guitare clavier?) et leur assez fantastique hommage à John
Lennon (All We
Are Saying) .
Délaissant le terreau fertile des musiques trads
américaines qui l’a tant inspiré depuis plus de 20 ans, l’artiste et son groupe
se sont plongés dans une musique d’origine pop archi connue, la baignant d’une
influence jazz de haut niveau avec des introductions improvisées à la guitare
si tordues que les musiciens avaient l’air de se demander où Frisell s’en
allait avec ses doigts. Et puis deux ou trois notes de Julia, d’In My Life, ou d’Across the Universe leur permettait
d’embarquer dans le voyage étonnant du leader, lequel devait réserver ses
prestations les plus étourdissantes au cœur de Come Together et Strawberry Fields Forever où, délaissant
sa retenue habituelle, il est parti dans de furieux solis qui n’étaient pas
rappeler un certain Frank Zappa. Une heure et trois quart de pur bonheur, Imagine!
Barber/Werner,
musique de chambre
Je voulais entendre l’auteure-compositeure,
pianiste et chanteuse Patricia Barber en compagnie d’un autre pianiste, le
secret Kenny Werner, parce qu’il me semblait que c’était là un des rares
concerts vraiment jazz de l’édition 2012 de ce festival de moins en moins jazz,
me semble-t-il. Patricia Barber est une véritable créatrice, une voix
jazzistique en elle-même et son style pourrait bien être celui d’un de ses
meilleurs albums, Modern Cool. Avec sa voix grave et
chaude, malgré son peu d’amplitude, elle séduit tout de suite. Non seulement
par le chant, mais aussi par son jeu de piano raffiné doucement et étrangement
bluesé. En cela, Kenny Werner, ne lui cède en rien, ajoutant une touche de virtuosité
à l’atmosphère feutrée imposée par dame Barber.
Martin, lui, s’y est intéressé pour une
raison de plus; le concert avait lieu dans le sein des saints, la Maison
symphonique, toute ne acoustique, dit-on. Wow, deux pianos seuls dans cette
enceinte, ce devait être une béatitude pour les oreilles et l’âme. Il a
tellement eu raison! D’ailleurs, on peut
entendre un peu ici, ce que ça donnait!!
J’aime Patricia Barber pour son Modern
Cool sorti deux ans avant le début du 21 siècle et qui met en scène,
entre autres, le merveilleux contrebassiste Michael Arnapol et le trompettiste
de la modernité, Dave Douglas. Un album majeur du jazz moderne, tout comme le
sont Verse
et Mythologies
ou elle s’investit avec une intelligence hors du commun dans la poésie d’Ovide.
En jazz, faut le faire!
J’aime Kenny
Werner pour cet hommage à New York (New
York Love Songs) avec lequel je l’ai découvert. Du piano solo
intimiste où l’amour est transposé en musique, amour des siens et de sa ville,
éloge à la beauté. Point.
Jazz-t-on
encore au FIJM?
C’est la question que je me suis posée en
regardant la programmation de l’édition du plus gros festival de jazz du monde,
à ce qu’on dit. De tous les spectacles annoncés en primeur, aucun n’était le
fait d’artiste de jazz. Des poppeux en vedette partout.
C’est pourquoi j’avais choisi Patricia
Barber et Kenny Werner, de vrais pianistes de jazz, et en duo en plus, une
rareté. Outre Bill Frisell, je ne voyais pas beaucoup d’artistes de jazz
intéressants. C’est vrai que j’ai complètement raté le trompettiste Ambrose Akinmusire
que j’aurais bien aimé entendre. Même pas vu le nom. Faut dire que les jazzmen
et jazzwomen se perdaient dans la foule des musiciens pop et de ceux qui
pratiquent la musique dite du monde.
Martin et moi, on était d’accord, le FIJM se déjazzéifie de plus en plus. Mais le chroniqueur Philippe Rezzonico, de la vénérable maison de Radio-Canada, a une autre opinion qu’il vaut la peine de lire. Oui, il y a encore du jazz au Festival plus que dans n’importe quel autre festival du genre sur la planète. C’est son point de vue et il l’illustre fort bien!
Martin et moi, on était d’accord, le FIJM se déjazzéifie de plus en plus. Mais le chroniqueur Philippe Rezzonico, de la vénérable maison de Radio-Canada, a une autre opinion qu’il vaut la peine de lire. Oui, il y a encore du jazz au Festival plus que dans n’importe quel autre festival du genre sur la planète. C’est son point de vue et il l’illustre fort bien!
Palatino
Bon. Il est vrai que les grands disques de
jazz se font rares, aussi. Mais
même Boris Vian, en son temps, déplorait la chose. Elle n’est donc pas neuve.
C’est pourquoi il ne faut pas bouder notre plaisir en écoutant le Back In Town d’un
quartet orignal qui réunit le contrebassiste français Michel Benita, le
tromboniste américain Glenn Ferris et les Italiens Polo Fresu (trompette) et
Aldo Romano (baterie) sous le nom de Palatino.
« Surgi au mitan de la décennie 1990, Palatino a réveillé le jazz européen
par son audace et sa décontraction », explique Loïc Picaud, chroniqueur à Music
Story (un site français, évidemment). Et c’est tout à fait ça, audace et
décontraction. Audace d’une formation qui réunit trompette et trombone comme
solistes, et décontraction d’un swing sans cesse renouvelé, rajeunissant le
bop, le modernisant avec un sourire de tous les instants !
Patti Smith
Je ne connais pas trop la carrière de
l’impétueuse Patti Smith, pas tellement attiré par la rage de sa musique. Mais
là, je dois avouer que je suis un peu scié. Banga, son dernier opus, où elle
célèbre tant Bougalkov que les acteurs Maria Schneider et Johnny Depp où la
chanteuse Amy Wynehouse. À 65 ans, la Patti a la voix profonde et grave d’un
poète d’outre-tombe et raconte, dans Constantine’s Dream
(un texte quasi mystique d’après Le Rêve de Constantin, de Piero della Francesca), elle chante et récite avec
la conviction des artistes bénis des dieux des chansons foutument bien écrites
et inspirées. Un grand disque de rock !
Domenico Gabrielli
Le jazz existait-il au 17e siècle. On
n’est pas loin de le croire en écoutant l’étrange album du violoncelliste Bruno
Cocset et ses musiciens des Basses réunies. Intitulé La Nascita del Violoncello, (la naissance du violoncelle), le disque présente
surtout l’œuvre de Domenico qui, en 1689, publiait le premier livre de musique
pour violoncelle de l’histoire, quelque 30 ans avant les célèbres suites pour
violoncelle d’un dénommé Jean-Sébastien Bach. À travers les passagallia,
ricercar et sonata, c’est à une œuvre de défricheur à laquelle on assiste, des
pièces où l’improvisation est à l’honneur, d’autres qui sont des études de
sonorités pour ce nouvel instrument dont on ne recense la première mention
qu’en 1665. C’était beaucoup cela, la musique du premier barrique, pas encore
figée dans ses formes définitives de sonares, concertos u symphonie, une
musique qui se définissait au fur et à mesure qu’elle s’émancipait de la voix.
Une musique qui évoluait sans cesse sous le coup de la recherche et de
l’improvisation.
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