« Ce n’est qu’hier soir, alors que je marchais dans les
rues trempées de Vallcarca, que j’ai compris que naître dans cette famille avait
été une erreur impardonnable. »
Ainsi débute Confiteor, le quatrième roman du
philologue et universitaire catalan Jaume Cabré, un livre d’un profondeur
abyssale, tant dans la beauté que dans l’horreur. Et en effet, le jeune Adria a
été élevé dans une famille aisée qui a construit sa fortune sur le vol et la
dénonciation, mené par un père rusé et véreux, Félix, qui n’a aucune affection
pour son fils mais qui exige de le voir réussir en tout ce qu’il lui dictera.
La mère, Carme Bosch, effacée et repliée du vivant du mari, deviendra une
administratrice redoutable de la boutique d’antiquité familiale lorsque celui-ci sera assassiné. Si, comme son conjoint, elle est aussi affectueuse qu’un poteau de clôture, elle assurera cependant l’avenir de ce fils doué en tout, particulièrement pour la musique et les études de civilisation.
Confiteor, c’est donc
l’histoire de cet Adria Ardèvol élevé dans l’Espagne franquiste, qui deviendra
grand spécialiste de l’histoire de la pensée européenne et de sa douce Sara
Voltes-Epstein à qui le héros écrit une longue lettre de 771 pages qui
constitue, en fait, le roman. Non seulement y raconte-t-il sa vie et celle de
ceux qui l’entourent, Bernat, violoniste moyen qui deviendra aussi écrivain
moyen, de sa femme Tecla, de Max, le frère de Sara, et du destin rocambolesque
et tragique du violon d’exception qui appartient (?) à la famille, œuvre du
luthier Lorenzo Storioni, Crémonais de la fin du 18e siècle.
C’est encore et
surtout celle de l’œuvre d’historien de la pensée et de l’esthétique d’Adria
Ardèvol, qui nous promène de la fin du 15ième siècle au début du 21ième.
Au cœur de ce long et fascinant périple, le mal. Celui qui, par la « sainte »
Inquisition a marqué le Moyen-Âge et la Renaissance, celui qui, au 20ième
siècle, a causé l’extermination de dizaines de millions de personnes sous la
botte de totalitarismes d’une sauvagerie sans nom. On y cause tortures,
violence extrême et de l’horreur sans nom du crime gratuit. :
« - La haine
justifierait-elle le crime?
-
Non, mais elle l’explique. Et le crime gratuit
est non seulement épouvantable,
mais inexplicable
-
Et un crime au nom de Dieu? intervint Sara.
-
C’est un crime gratuit, mais avec un alibi
subjectif.
-
Et si c’est au nom de la liberté? Ou du progrès?
Ou de l’avenir?
-
Tuer au nom de Dieu ou au nom de l’avenir, cela
revient au même. Quand la justification est idéologique, l’empathie et le
sentiment de compassion disparaissent. On tue froidement, sans que la
conscience en soit affectée. Comme dans le crime gratuit d’uns
psychopathe. » p.547
Et à l’inverse,
de tout temps, l’humain a été en quête de beauté et s’est exprimé au moyen de
formes d’art qu’il a poussé vers des sommets vertigineux, tant en peinture
qu’en musique, ce que Cabré démontre avec virtuosité dans Confiteor.
Mais le plus remarquable dans ce bouquin, magnifiquement
imaginé et écrit, c’est sa construction. On assiste, tout au long de l’œuvre, à
un maelström spacio-temporel savamment ordonné. Les lieux, les actions, les
réflexions, les histoires de tous les personnages s’imbriquent d’un paragraphe
à l’autre.
Ainsi une discussion qui commence entre Adria et Bernat sur
la magie de la musique de Schubert, se poursuit-elle, dans le même paragraphe,
entre deux nazis du camp d’Auschwitz-Birkenau qui font des expériences cruelles
sur des enfants. Le plus dérangeant, c’est que tout ce beau monde a le même
point de vue.
Adria parle-t-il du violon, qu’on se retrouve derechef avec
Jachiam Mureda, chanteur de bois, au cœur de l’Italie de la fin du 17ième
siècle. C’est lui qui a trouvé le bois dont Storioni construira le violon qui
sera proposé plus tard au violoniste de la Cour de France, Jean-Marie Leclair
et qu’on retrouvera chez les Ardèvol à la fin du 20ième. Et ce bois,
provient des environs du monastère de Sant
Pere del Purgal, construit au 14ième siècle et qui figure sur un
tableau de Modest Urgell installé chez les Ardèvol et qui aura toujours fasciné Adria, comme si
c’était son monde qu’on y trouvait.
Que ce soit dans les faiblesses du quotidien qui affligent les personnages, Adria et Bernat en premier lieu, ou dans les grandes tragédies inhumaines de l'Histoire, le mal est partout dans ce livre. Le mal… et le mal absolu. La beauté aussi, par ailleurs, dans une partita de Bach, une sonate de Leclair, le tableau d'Urger, et dans les Sara, Laura, Tecla, les personnages féminins de ce beau livre.
Bref, à chaque page, presque qu'à chaque paragraphe de Confiteor, on voyage tant dans le temps, les lieux, les actions,
la pensée et les personnages. Si bien, qu'on ne peut se risquer à sauter une seule ligne de ce pavé de
quelque 770 pages sous peine d'être perdu dans l'espace-temps. D'ailleurs, le temps existe-t-il?
On ressort de Confiteor une peu changé… et c’est pour le
mieux.
Pour vous accompagner…
Pour vous accompagner dans la lecture de ce roman, je vous propose la musique de Jean-Marie Leclair, ses merveilleuses sonates pour le violon, tirées de son Quatrième livre et qui ont été enregistrées par Luis Otavio Santos, pour la maison Ramée. Écoutez ce bel Andante Affettuoso!
Le goût des mots
Le goût des mots
Un petit livre pour les amants des mots de la part de Philippe Delerm, le gars qui a écrit La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, ainsi que le très beau Sundborn ou Les Jours de lumière. Ici, d'autres plaisir minuscules à décrire les mots qu'il aime en 20 lignes, plus ou moins.
Il en aime ainsi une centaine qu'il décrit à sa façon qui ne serait pas nécessairement celle qu'on choisirait. Tant mieux, peut-être que ça pourra forcer quelques lecteurs et lectrices à se prêter à l'exercice et finalement, à apprendre à mieux se connaître en définissant à son tour les mots qu'ils aiment…
L'exercice est plus complexe qu'il n'y paraît, parce qu'il ne s'agit pas d'en donner une définition, y a des dictionnaires pour ça, mais bien d'explique ce qu'ils suggèrent à l'auteur. Par exemple…
Bonheur : S'il n'y avait qu'un mot, ce serait celui-ci. Bonheur, ce luxe douloureux, ce beau souci (…) Le monde nous envoie les pires nouvelles du monde, mais nous ne sommes pas dupes : tout ce pessimisme s'il n'y avait la certitude qu'autre chose nous mène qui dépasse de beaucoup la zénitude, la paix, l'équilibre ou l'harmonie…
Poire : …la poire est femme, avec des hanches douces et rondes; une courbe infinie dont on ne saurait dire où commence l'ampleur, mais c'est en bas que s'épanouit cette indolence souveraine qui donne soif de chair fondante, d'une mouillure lourdement sucrée…
Enfance : Comme il poigne loin, à l'intérieur, ai plus profond, comme il s'enfonce! On y échappe seulement quand on le vit!…
Mordoré : C'est un mot pour l'automne…
Bref, il y a beaucoup à découvrir dans cet exercice aux apparences légères. Lisez-le et essayez vous!
Philippe Delerm, Les mots que j'aime, Éditions Points (Hors-Série), octobre 2013, 128 p.
Il en aime ainsi une centaine qu'il décrit à sa façon qui ne serait pas nécessairement celle qu'on choisirait. Tant mieux, peut-être que ça pourra forcer quelques lecteurs et lectrices à se prêter à l'exercice et finalement, à apprendre à mieux se connaître en définissant à son tour les mots qu'ils aiment…
L'exercice est plus complexe qu'il n'y paraît, parce qu'il ne s'agit pas d'en donner une définition, y a des dictionnaires pour ça, mais bien d'explique ce qu'ils suggèrent à l'auteur. Par exemple…
Bonheur : S'il n'y avait qu'un mot, ce serait celui-ci. Bonheur, ce luxe douloureux, ce beau souci (…) Le monde nous envoie les pires nouvelles du monde, mais nous ne sommes pas dupes : tout ce pessimisme s'il n'y avait la certitude qu'autre chose nous mène qui dépasse de beaucoup la zénitude, la paix, l'équilibre ou l'harmonie…
Poire : …la poire est femme, avec des hanches douces et rondes; une courbe infinie dont on ne saurait dire où commence l'ampleur, mais c'est en bas que s'épanouit cette indolence souveraine qui donne soif de chair fondante, d'une mouillure lourdement sucrée…
Enfance : Comme il poigne loin, à l'intérieur, ai plus profond, comme il s'enfonce! On y échappe seulement quand on le vit!…
Mordoré : C'est un mot pour l'automne…
Bref, il y a beaucoup à découvrir dans cet exercice aux apparences légères. Lisez-le et essayez vous!
Philippe Delerm, Les mots que j'aime, Éditions Points (Hors-Série), octobre 2013, 128 p.
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