Comme disait l’autre : Frères humains, laissez moi vous
raconter comment ça s’est passé.
J’ai ouvert la porte au médecin qui venait de sonner chez
mon frère. Il est entré et est allé s’assoir en face de Claude couché sur son
divan. Claude s’est assis, péniblement.
- - Alors, comment ça va aujourd’hui?
- - Mal, très mal, j’ai mal un peu partout.
- - Qu’est-ce que vous pensez qu’il va arriver?
- - Je vais mourir.
- - Oui, c’est cela. Vous allez mourir. Mais nous
ferons en sorte que ça se passe le plus doucement possible, sans souffrance.
Ça a été le début d’une fin très rapide pour mon frère
cadet, victime consentante d’un fulgurant cancer du poumon. À 63 ans. Je dis
consentant, parce que cette maladie devait couver depuis longtemps et il n’a
consulté que lorsque se déplacer lui était devenu pénible, incapable qu’il
était de respirer. Le diagnostique est tout de suite tombé, comme mes bras.
- - Dis donc, Claude, il y a longtemps que tu avais
des difficultés de respiration??
- - Oh, trois ou autre ans…
- - Euh, pis t’as pas eu l’idée de consulter
avant??????
- - Ben, ça ne me faisait pas vraiment mal, pas
comme maintenant.
- - Ben, tu vas peut-être en mourir!!!
- - J’ai pas peur de mourir, ça ne me dérange pas.
Et il a tenu parole. Pas de chimio, pas de radiothérapie,
juste une médication palliative. Deux mois. Et le voilà parti, résilient comme
pas un, avec un détachement des plus zen. Décidément, ce frère n’a jamais rien
fait comme les autres. Et ce n’est pas son ange gardien, ma sœur Christine, qui
me contredira.
Une soeur et deux frères, Claude, Christine et Gilles.
Claude Chaumel était un être généreux, ténébreux, solitaire,
mélomane fini comme son aîné avec qui il partageait sa passion musicale. Il
aura vécu seul toute sa vie, sauf pour une courte période de deux ans. Serveur
respecté du Château Frontenac où il a fait carrière (Il fallait voir la haie
d’honneur que lui a réservée le personnel de la vénérable institution lors de
sa retraite en 2013), ex-mécanicien dans sa jeunesse, et, un court temps, artiste soudeur dilettante pratiquant au
garage Ruelland de la rue Christophe-Colomb, dans le quartier Saint-Roch de
Québec, résument son parcours.
Claude mon frère que j’ai si peu connu.
Gilles et Claude.
Je n’ai pas tant de souvenirs de notre enfance commune.
Alors que je recherchais les amis et les activités les plus casse-cou, lui
préférait jouer seul ou avec notre jeune sœur. Sauf les fois où on se
bataillait… c’est à dire souvent. Je me rappelle sa passion pour les modèles
réduits, les casse-têtes ou toute activité qui exigeait patience et dextérité.
Impossible de trouver là un terrain d’entente entre nous.
Il détestait l’école. Il a toujours détesté l’école. S’il
était efficace en maths, tout le reste lui puait au nez. Résultat, il avait 12
ou 13 ans lorsque, au beau milieu d’un après-midi des plus scolaires, à vélo et
cigarette au bec, il tombé face-à-face avec… ma mère! Grosse commotion dans la
famille, pas besoin de vous dire. Ma pauvre mère, qui se désespérait de son
avenir et elle est allée elle-même l’inscrire, quelques années plus tard en
mécanique à l’école technique de Québec, boulevard Langelier. Il en est
ressorti diplômé et s’est empressé d’acheter un beau Chevrolet 1953 qu’il a
entièrement remis à neuf, sauf pour une pièce que le service d’inspection du
Bureau des véhicules automobiles, la SAAQ de l’époque, l’a obligé à changer.
Comme, il ne la trouvait pas (et on ne peut pas dire qu’il fait des efforts
incommensurables pour la trouver), il a vendu l’auto… et n’a plus jamais
conduit. Un rêve en fumée.
À l’époque de notre adolescence, rue Arago est, nous avions
quelques amis communs, les moins sportifs, à qui il avait trouvé pour chacun,
un surnom. Murielle (Yéyelle), Jacques (Wayne, parce qu’il était toujours en
train de se peigner au Brylcream
comme le bellâtre qu’il prétendant être), Magella (Mina, du nom de sa mère,
Malvina, un surnom vraiment cruel quand on sait que la mère en question ne
cessait de couver jusqu’au harcèlement ce gros garçon athlète né), et bien
d’autre encore dont je n’ai plus mémoire.
C’est durant vers le début de la vingtaine que nous avons
été le plus proche, en tout cas, dans mon souvenir. C’était l’époque où l’on
partageait l’électrophone de ma chambre, un peu buzzés au hasch, à écouter
Black Sabbat, Grand Funk RailRoad, Blue Cheer, les Rolling Stones et surtout
Jimmy Hendrix, à fond la caisse.
On mettait Crosby, Stills, Nash and Young, pour regarder ses
photos, la photographie qui fut la seconde passion du frère. Toile de fenêtre
baissée, drap blanc au mur, on regardait les magnifiques diapositives de la
ville qu’il prenait à toute heure du jour, préférablement entre 4 et 7 h, les
matins d’été. J’ai encore en tête ces images aux couleurs si chaudes du
kodachrome 25 montrant les levers de soleil sur la terrasse Dufferin, les
paysages sereins des Plaines d’agréable (sic), du Vieux-Québec libre de toute
circulation, de toute présence humaine.
Entre 4 et 7, c’était l’heure où il quittait les bars pour
sa quête d’images. Et à trop, trop fréquenter les bars… Claude a perdu tout son
matériel photo et ses images dans l’incendie qui a affecté son appartement. Il
aurait pu y laisser sa peau. Une cure de désintoxe s’imposait, il ne pouvait
plus fonctionner. Et une seule a suffi!
Mais, et c’est tellement dommage, ça en fut fini de la
photographie, lui qui avait monté son labo de développement et faisait de
splendides noir et blanc. De tout cela, rien n’est resté. Quelle perte.
Le frère a toujours eu ce côté caustique et ironique qui lui
permettant de se moquer de tout un chacun.
Dernier jour d'un carrière bien remplie avec deux sympathiques collègues.
Ces derniers jours, enlevant son gilet pour que l’infirmière
puisque lui prodiguer des soins, il a eu ce mot de dépit, devant ce corps
maigre, décharné, voir rachitique qui était devenu le sien : Auschwitz
tabarnac. Personne n’a été surpris, peu de faiblesses avaient crédit à ses
yeux. Et pourtant, c’était le plus généreux des hommes, mes fils, ses neveux,
l’adoraient, ses collègues du Château Frontenac le respectaient haut plus haut
point. Et s’il a fait quelques voyages de pêche avec quelques-uns d’entre eux, rien
ne laisse croire qu’il ait pu continuer à les fréquenter. Mais qu’en sait-on???
Christine, notre sœur et son ange, n’en sait pas plus.
La pêche!!! S’il y avait une occasion de réunion familiale,
c’était bien cette activité qui passionne tant l’autre Claude, ex-agent de
conservation de la faune et mari de Christine, l’autre ange gardien du frère.
Si ces deux-là adoraient la pêche, c’était souvent ma douce Loulou qui
provoquait les occasions, de belles sorties sur les lacs de la réserve de
Laurentides. Ô grands moments de sérénité!!!!
La sérénité, voilà son état désormais et pour toujours. Salut,
frère aimé!!!
Ah oui. Oubliez les funérailles, y en n’a pas.
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