Une fois, c’était l’histoire d’un gars qui voit mourir son
père à quelques mètres de lui, dans « son » bois, tiré dans la tête par
la police. Le gars, Alexandre, s’enfuit alors à travers branchages, roches,
hautes herbes, fougères de cette partie sale de la forêt bois où il tombe,
s’égratigne, se grafigne, se balafre, s’estourbit avant de déboucher, étourdi, sur
le chemin qui donne juste devant la maison de Tison.
- La voix d’Alexandre : Alexandre que je m’appelle, et je suis le fils d’André. Il ne faut pas oublier mon nom, celui de mon père. Alexandre, c’est comme si le père avait son nom dans le mien. Alexandre : André. Comme s’il était un peu de moi depuis le début de l’histoire. Et quand on m’appelle Alex, c’est comme si le père disparaissait une fois de plus. Un trou dans ma vie. Une béance dans la tête. » (p.10)
Pour en revenir à lui, Tison, ce n’est pas son vrai nom.
René qu’il s’appelle. Mais quand on a la face qui a péri dans un incendie,
c’est le genre de surnom dont on hérite à son corps défendant. C’est lui qui va
redonner vie, si on peut dire, à Alexandre. Et il y a aussi Marie-Soleil, l’amie
d’enfance et douce voisine, Marianne, l’amoureuse et danseuse-boiteuse, l’Ours,
homme immense à qui il fait la lecture, Denis la police. Et surtout, ce père
écrasant, ce Broche-à-Foin, homme à tout faire dans le village de
Paris-du-Bois, homme au passé secret qui, lui, déteste la littérature à en
faire une maladie. André Marchant, de son vrai nom.
- La mémoire d’Alexandre : Chaque fois que j’ouvre un livre, j’entends la voix du père qui m’avertit : « La vie, c’est pas là-dedans, pas dans les livres. » (p. 134)
Et il aura cette sentence envers son fils de 5 ans :
« Tu es un homme maintenant. Tu te tais et tu apprends. »
Ça se passe dans le Bas-Saint-Laurent, cette histoire-là, à
Paris-du-Bois, pas loin de la frontière américaine. Ça fait que Tison qui, de
sa maison en marge du village, aperçoit Alexandre sortir du bois drôlement
amoché, le recueille et le soigne. Et,
dans les heures qui suivent, tous les deux s’apprivoisent à coup de littérature,
littérature qui s’avère la sève de vie de ce roman, de presque tous les
personnages. Tout est littérature dans ce roman hors norme, avec sa structure qui
entremêle prose, théâtre (grec!) et poésie; action et intériorité, avec tous
ces personnages qui, un jour ou l’autre, se rencontreront, à cause de ce
territoire de bois (debout) habité comme une âme qui nous définit.
-
« Il y a le bois : la poignée de
chênes qui dépassent d’une tête la canopée boréale rongée par le rouille de
l’automne, les seuls qui ont encore une belle masse de feuilles au faîte. »
(p. 64)
Il
y a le bois partout parce que Broche-à-foin l’a voulu ainsi, y vivre avec le
vrai monde comme il dit, pas comme un « ostie » d’intellectuel
déconnecté. C’était sa hantise, à Broche, de ne pas vraiment faire partie du
vrai monde, comme il le voyait. Et, de
fait, il n’y arrivera pas complètement. Broche à foin, c’est lui le père à qui
rien n’est arrivé sauf cette mort spectaculairement idiote, lui qui n’est
arrivé à rien, finalement, dans la vie. André, qu’il s’appelle, cet homme sans
passé et sans histoire connue sauf celle du jour où il est arrivé à
Paris-du-Bois.
Bref, à la suite de la mort du père, Alexandre le littéraire
part en ville, à Québec, à la recherche du passé de cet homme qui l’a malmené,
qui le hante au tréfond de lui-même et c’est cette histoire qui nous est
contée. Une grande histoire fabuleusement racontée!
Quand à l’auteur, sachons qu’il est camionneur, poète,
écrivain, auteur d’un autre roman remarqué : Rose
Brouillard, le film.
Jean-François Caron. De bois debout.
Éditions La Peuplade, Chicoutimi, 2017, 394 p.
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