Je déteste ça qu’on appelle roman graphique une bande
dessinée. C’est du snobisme de mon point de vue. Un point, c’est tout. Qu’elle
soit vraie ou fictive, il s’agit toujours de raconter une histoire au moyen de
cases, de dessins, de bulles et, à l’occasion, d’encadrés. Et justement, il y a petit malin qui a trouvé le moyen de mer encore plus la confusion en insérant des pages de mots, témoignages touchants et très littéraires, de l’un ou l’autre de ses
personnages, au coeur même de sa bd. Il s’appelle Pedrosa (Cyril de son petit nom) et son bouquin, vraie
somme humaniste, compte quelque 330 pages. Intitulée Les
équinoxes, l’œuvre a remporté, au Festival Lucca en Italie, le prix du
meilleur… roman graphique.
Ça raconte quoi, Les équinoxes ? Ni plus ni moins que le
questionnement de tout un chacun sur le sens de la vie… depuis l’origine de
l’humanité. Ça se passe dans la France d’aujourd’hui, facilement reconnaissable
par le ton et les tics langagiers. L’éditeur, Dupuis, série Aire Libre, en dit
ceci : « Tenter de capter, malgré son évanescence, ce
sentiment de solitude qui nous saisit face à la complexité du monde. Cet état
d'âme qui, s'il nous isole de nos semblables, est peut-être ce qui fait de nous
des humains. Outrepassant par la grâce du dessin le principe selon lequel il
faut se taire sur ce dont on ne peut pas parler, Cyril Pedrosa suit les
méandres de cette émotion, nous livrant un magistral récit en quatre tableaux.
Quatre tableaux, pour quatre saisons et autant de personnages en quête de leur
destinée, à travers l'espace et à travers le temps.
« Autour de lieux, à l'occasion de
luttes, ces êtres sans attaches vont croiser d'autres solitudes et tisser les
uns avec les autres le fil ténu d'une conscience happée par l'inconnu et
tourmentée par l'énigme du sens de la vie. Chaque saison a son identité
graphique, chaque voix également. »
Quatre saisons donc, chacune annoncée par
un jeune personnage préhistorique dont on ne situera le rôle qu’au bout du
récit. Récit ? Hum, pas vraiment, mais des moments de vie marquants de
quelques personnages, surtout les plus âgés, comme Louis, ce vieux sage,
ex-syndicaliste communiste qui, dans ses derniers jours, vit pour les livres
qui ont fait sa vie (Thomas Pynchon et Virginia Wolf sont notamment cités) et
la musique qui les accompagne. Il fera d’ailleurs cadeau de quelques titres à
Antoine, son jeune ami qui l’accompagnera jusqu’aux derniers moments.
Il y a Pauline, pauvre et désoeuvrée, qui
survit (psychologiquement) grâce à la photographie ; Christine et Vincent,
divorcés déçus, et leur fille Pauline qui vit chez l’un et chez l’autre et
elle ; le jeune frère de Vincent,
apprenti curé avec qui il a de vigoureuses discussions ; la sœur du vieux
Louis, aussi âgée que lui et qui vit difficilement son déclin. Samir, le
grutier, qui découvrira inopinément une porte vers la préhistoire… Et il y a
l’amour qui se fraie un chemin dans tous les interstices de la vie… comme les
mots.
Les mots qui viennent, comme des espaces de
roman, s’insérer à points nommés,
surtout comme pour mettre des mots sur les prises de photos (les
Français diraient shootings) de Pauline. On entre alors, le temps d’un, deux ou
trois pages, dans la tête de réflexions
du sujet « shooté » … des pages fascinantes, écrites avec une plume
aussi sensible que précise. Une grande œuvre !!!
Pour accompagner la lecture
Il est souvent question de musique dans Les
équinoxes. La mélancolie aigre-douce la bande-dessinée (je persiste et
signe) s’accommode parfaitement de l’écoute des Nocturnes de Chopin ou des
suites pour violoncelle de Bach, entre autres. Voici deux suggestions…
Frédéric Chopin, Nocturnes,
interprétés par Pascal Amoyel, Disque Calliope. La spiritualité au piano.
Jean-Sébastien Bach. Suites pour
violoncelle seul. Interprétés par Jean-Guihen Queyras. La version de
référence actuelle, à mon avis. Chant profond et prise de son inouïe.
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