Henri Matisse, La musique 1939
Albright-Knox Art Gallery, Buffalo, New York.
Comme ma douce est partie réchauffer le Nord de son
ardente présence, je sublime son absence en écoutant tant de grandes musiques
que, par moments, je ne sais même plus dans quel monde je vis. La faute revient
à feu Charlie Haden, contrebassiste et humaniste; à John Renbourn, gentleman
guitariste, seigneur de la folk contemporaine; à ces merveilleuses jeunesses, Leyla McCalla et Charles Richard-Hamelin, et enfin, surtout dirais-je, à cet
immense poète de chez nous, Leonard Cohen, qui chante et récite ce qui pourrait
bien être (on ne le souhaite surtout pas) son chant du cygne. Mais quel chant!
Hommage posthume à maître Haden
« Lors de la cérémonie commémorative en l’honneur de Charlie
Haden qui se tint le 12 janvier 2015 à la mairie de New York, les
membres du Liberation Music Orchestra se retrouvèrent pour lui dire adieu.
L’occasion de réaliser le dernier rêve de Charlie Haden était trop belle, aussi
se rendirent-ils aux studios Avatar. « Nous avons répété le lundi, la
cérémonie a eu lieu le mardi et le mercredi, nous sommes allés en studio »,
se rappelle Ruth Cameron. « On a tous senti que l’esprit de Charlie était
avec nous. » Cité par Alex
Duthil, Open Jazz, France Musique.
Ça a donné cet album superlatif
intitulé Time/Life, qui réunit cinq
compositions pour grand orchestre (c’est bien la traduction de Big
Band !?) sous la férule de l’éternelle arrangeuse et chef d’orchestre, Carla Bley, qui a
dirigé tous les enregistrements du LMO depuis… 50 ans ! « Carla entend la
musique exactement comme j’ai envie qu’elle sonne », ne se lassait
jamais de répéter Charlie Haden. Le contrebassiste a réunit six fois son
Liberation Music Orchestra pour des enregistrements, chaque fois défendre une
cause socio-politique qui lui tenait à cœur. En fait cinq. Ce Time/Life étant posthume, comptant deux
enregistrements réalisés en concert du vivant du musicien, qui, très malade, en
appelait à la beauté de la vie et à la protection de l’environnement, comme il
le fait à la fin de Song for the Whales,
d’une voix faible mais non moins convaincu. L’album débute par le Blue In Green
de MilesDavis/Bill Evans, lui aussi en concert du vivant du contrebassiste. Sur
les trois autres compositions, enregistrées à titre posthume, c’est Steve
Swallow, grand ami de Haden qui le remplace. Mais avec ou sans Charlie Haden,
le Liberation Music Orchestra garde sa pureté et sa personnalité; celle d’un
jazz libertaire et intense, souvent mélodique, et anarchique lorsque nécessaire.
Voici les titres des six parutions du LMO :
Charlie Haden, Liberation
Music Orchestra. Impulse. 1970. Réalisé en appui aux mouvements de
libération d’Amérique du Sud. Quelques grandes pointures y apparaissent comme
Gato Barbieri (saxos ténor) ; Don Cherry, Cornet et flûtes ou Roswell
Rudd, trombone...
Charlie Haden, The Ballad
of the Fallen, EMC, 1982. En
hommage aux victimes de la guerre civile
d’Espagne avec, entre autres merveilleux musiciens, Sharon Freeman au cor
français ; le Cree-Kaw Jim Pepper et son alter ego afro-américain au
saxo-ténor, Dewey Redan…
Charlie Haden and the Liberation Music Orchestra. Dream
Keeper. Blue Note. 1991. Où sont invoqués les libérateurs
d’Afrique et, encore, d’Amérique du Sud. Joe Lovano, ténor, Ken McIntyre, alto,
Amina Claudine Myers, piano et orgue, et le Oakland Youth Chorus s’y expriment
ardemment.
Charlie Haden Music Liberation Orchestra. The
Montreal Tapes. Verve Records. Paru en 1999. Un des moments les plus
passionnants de l’histoire du Festival International de jazz de Montréal, que
cette carte blanche de huit concerts offerte à Charlie Haden à l’été 1989, qui
s’est conclu par le show débridé du LMO. Tous les concerts de cette série sont
disponibles sur Verve.
Charlie Haden Music Liberation Orchestra. Not
In Our Name. Verve 2006. Pour dénoncer les exactions du régime de
George W. Bush dont la planète subie encore les affres une décennie plus tard.
Le saxophoniste alto Miguel Zenon est particulièrement remarquable !
Charlie Haden Music Liberation
Orchestra. Time/Life. Impulse (pour boucler la
boucle !) 2016. Peut-être l’album le plus émouvant, intensément exigeant à
l’occasion. Les saxos ténor Tony Malaby et Chris Cheek, l’altise Lori Stillman,
et le trompettiste Michael Rodriguez brillent particulièrement.
Reste que dans cet univers, ce sont les femmes qui brillent le plus. Carla
Bley par ses talents complices d’arrangeuse et de chef d’orchestre et Ruth
Cameron, conjointe aimante et agente de Charlie Haden qui fait tant et tant
pour transmettre sa mémoire. C’est à Ruth Cameron-Haden que l’on doit le si
bien nommé Time/Life.
Leonard Cohen, la
sombriété sereine
You Want It Darker est le 14e
album de ce poète qui a voulu être folksinger alors que la folk tirait sa
révérence. On écoute avec beaucoup de sérénité, ce « testament » de
l’homme de 82 ans qui raconte, de sa voix grave, envoûtante mais si apaisante, sa
vie dédiée à la quête d’un absolu qui l’a constamment déçu mais dont il ne
garde aucun regret.
En fait, on l’écoute en boucle, cet album, à cause de son rythme lent, de
cette voix grave qui nous rentre dedans
des mots définitifs, les mots d’un sage qui a eu une vie qu’on imagine libre,
entièrement faite de ses choix et qui nous en donne la recette. Cherchez,
cherchez le sens de la vie, mais rien ne dit que vous le trouverez. Ça n’a pas
d’importance. L’important, c’est la quête, là réside le bonheur. Bon, ok, je
délire un peu, mais c’est ce que je retiens de ce maître que je connais encore si peu.
Que ce soit à travers les femmes qu’il a vénérées sa vie durant, les
religions qui l’ont obsédées, où la poésie qu’il n’a cessé, jour après jour, de
convoquer et de créer, Cohen livre ses dernières réflexions, comme le vieux
sage qu’il est, en 9 chansons qui, cette fois, bénéficient d’arrangements
dignes des textes qu’ils habillent.
Il faut entendre le chœur et le violon hébraïsant dans la trop belle It Seemed the Better Way (Sounded like
the Truth/But it’s not the truth today) et l’habillage très folk de Leaving the Table (I’m Leaving the
Table/I’m out of the Game). Il faut aussi entendre la quasi monastique chanson
titre, You Want It Darker, si vraie,
« I’m ready my lord » que certains ont cru qu’il refaisait le coup de
David Bowie, mourir avant de lancer son album. Il a dû émettre un communiqué
pour annoncer qu’il était toujours. Mais selon, son fils Adam, grand artisan de
cet album si remarquable, Leonard ne va quand même pas très bien.
Ici, comme ailleurs, (le Guardian
le qualifie de chef-d’oeuvre) cet album est célébré comme il se doit.
Faut juste l’écouter. Il fait tant de bien !
Leonard Cohen. You Want It Darker. Columbia. 2016
Ma si chère Leyla…
Ben là, on descend dans le bayou avec cette violoncelliste newyorkaise
d’origine haïtienne qui veut retrouver, chez les Cajuns, les sources du
français d’Amérique. Leyla McCalla qu’elle s’appelle, et ce disque, A Day
for the Hunter, A Day for the Prey, est
son second opus. Le premier, Vari-colored
Songs, qui se voulait un hommage au poète et écrivain Langston Hughes,
s’abreuvait aux mêmes sources et aussi à celle du poète du Harlem des années
1960.
Leyla a été, en quelque sorte, recrutée par le groupe Carolina Chocolate
Drops, le blue grass nègre, au tournant des années 2010, alors qu’elle jouait,
sur une coin de rie de La Nouvelle-Orléans, des suite pour violoncelle de
Jean-Sébastien Bach. Impressionnées, les gouttes de chocolat l’on invité à
faire partie de l’ensemble, avec lequel elle s’est produite quelques années,
avant de prendre son envol en solo… en compagnie de son chum, le guitariste,
banjoiste et autres cordiste saguenéen, Daniel Tremblay ! Ben oui, un
Québécois. Depuis, ils sillonnent l’Amérique et l’Europe, refaisant vivre la
culture francophone mais aussi anglo, du continent. Folk d’Amérique, donc.
Du folk au violoncelle ?? Ben oui, ce n’est pas une première, faut
écouter Crooked Still !
Mais à la façon de Leyla, le violoncelle devient, pizzicato, quasiment un
instrument de percussion tout autant qu’un accompagnateur des plus lyrique. Mais
c’est le chant qui prime, chez Leyla, avec ces vieilles mélodies cajuns,
haïtiennes où américaines qu’elle fait revire pour les rendre plus vraies que
nature, hors du temps et des modes. « This
album is dedicated to the human spirit, ever in search of freedon, love, sxafe
barbor and a sense of home », écrit-elle, sur la pochette. Il a bien
besoin de tout cela le human spirit actuel. Leyla McCalla est ma nouvelle
héroïne, une vraie drogue!
Leyla McCalla. A Day for the Hunter, A Day for the Prey. Jazz Village Records, 2016
Folk toujours, mon coco…
Billy Bragg est un
chanteur de gauche, anglais, revendicateur, râleur et collaborateur de longue
du groupe américain Wilco. Ça veut dire qu’il mêle la folk, à l’occasion, au
punk. Mais ce qui a attiré le Bragg dans les mailles du producteur,
compositeur, chanteur, guitariste ethno-musicologue Joe Henry,
c’est cette connivence commune pour la tradition folk, le rôle que le chanteur,
la chanteuse d’histoires politiques, peut jouer dans les changements sociaux.
Le Henry, il a produit les Ramblin’ Jack Elliott, les Carolina Chocolate Drops,
le Allen Toussaint posthume, Bettye Lavette, Teddy Thompson ou Loudon
Wainwright III. C’est dire qu’il en connaît un bout. Tiens, il avait aussi
réalisé de dernier album de Billy, Tooth and Nail, full folk simple guitare et
vois pour qu’on comprennent bien les choses qui y sont dites.
De cette identité d’esprit et de valeurs vient de naître Shine a Light, un
album qui réunit les deux compères et leurs guitares, pis c’est tout. Tout
c’est tout, dans tous les sens du terme et c’est bien assez ! Pour que
vous compreniez bien de quoi il retourne, il vous faut savoir que cet album est
sous-titré Fiel Recordings From the Great
American Railroad, et ce n’est pas de la frime. Ce disque a réellement été
enregistré à bord de trains au Texas, à Chicago, Los Angeles, San Antonio. Une
seule chanson a été enregistrée dans un lieu fixe, un hôtel ; elle
s’intitule, comme il se doit, Waitin for
a Train. Ah, mais je ne vous ai pas dit qu’il s’agit de chanson de hobos,
ces gens qui, trop pauvres, voyageaient, à leurs risques et périls,
clandestinement abord des trains : The
Midnight Special, Railroad Bill,
Railroading on the Great Divide, John Henry, Hobo’s Lullaby pour ne nommer
que celles-là ! C’est une partie de l’histoire américaine qui a été vécue
là la et chantée d’innombrables fois. Rappelez-vous Woody Guthrie !
J’ai la chance d’avoir le vinyle et sa magnifique pochette…
Billy Bragg & Joe Henry, Shine a Light, Field Recordings from the Great American Railroad. 2016
John Renbourn, feu le
guitariste du ciel
Quand tu veux écouter de la guitare acoustique, mélodique, moderne mais
ancrée dans les temps anciens, tu écoutes John Renbourn. Le
vénérable musicien anglais, décédé en 2015 d’un malaise cardiaque à l’âge de 70
ans, aura eu le temps de laisser un dernier enregistrement, en concert intime,
avec son partenaire de longue date, Wizz Jones. Il s’agit, ici aussi, d’un
concert à deux vois intimes et surtout, à 20 doigts magiques qui reprennent de
vieux classiques de Big Bill Broonzy, Bob Dylan, Bert Jansch (son alter ego dans
le groupe Pentangle). Ça s’appelle Joint
Control.
Qu’ils chantent à l’occasion, est anecdotique, pas que les voix soient
désagréables, au contraire, mais ce sont les sonorités savamment mêlées des
deux musiciens qui charment au-delà des mots. On est ici dans le sacro-saint du
folk blues anglais des années 1960 qui produit tant de grands guitaristes dont
Renbourn était un des fleurons : Ralph Mc Tell, Martin Carthy, Richard
Thompson, Bert Jansch pour ne nommer qu’eux. Au-delà de la nostalgie, c’est un
magnifique hommage au folk anglais qui nous est offert. Profitons-en !!
John Renbourn, Wizz Jones, Joint Control. Riverboat Records. 2016
Il y a Hamelin et…
Richard-Hamelin
Il s’appelle Charles Richard-Hamelin et
non, Charles-Richard Hamelin et n’a, faut-il le préciser aucun lien de parenté
avec Marc-André Hamelin,
l’immense virtuose pianiste québécois, un des meilleurs au monde. Mais Charles,
sachons-le, est sur ses traces. Bon, ok, il a, il a du chemin à faire avant de
prétendre de quelque façon que ce soit à la grandeur de son aîné. Mais son
deuxième prix au concours Chopin de 2015 et ce récital qui vient de paraître
sur étiquette Analekta, témoignent de son indéniable talent.
Ici, on entend Beethoven, Enescu et Chopin Live, mais avec pas
d’applaudissements. Et c’est tout bon. On y retrouve l’esprit de chaque
compositeur et si les rondos de Beethoven passent bien, on est épaté par la
Suite no. 2 du grand compositeur roumain George Enescu qu’on entend trop eu souvent
au disque. Et Chopin, c’est la tasse de thé de Richard-Hamelin. Alors, on a
hâte à la suite des chose, le jeune a tout bon.
Quand à l’aîné, je vous parlerai une autre fois des fabuleux quintettes
pour piano et cordes de Franck et Debussy qu’il vient d’enregistrer. Magistral…
Charles richard Hamelin. Live Beethoven-Enescu-Chopin. Analekta. 2016
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