samedi 22 octobre 2016

Musiques pour combler l'absence


Henri Matisse, La musique 1939
Albright-Knox Art Gallery, Buffalo, New York.

Comme ma douce est partie réchauffer le Nord de son ardente présence, je sublime son absence en écoutant tant de grandes musiques que, par moments, je ne sais même plus dans quel monde je vis. La faute revient à feu Charlie Haden, contrebassiste et humaniste; à John Renbourn, gentleman guitariste, seigneur de la folk contemporaine; à ces merveilleuses jeunesses, Leyla McCalla et Charles Richard-Hamelin, et enfin, surtout dirais-je, à cet immense poète de chez nous, Leonard Cohen, qui chante et récite ce qui pourrait bien être (on ne le souhaite surtout pas) son chant du cygne. Mais quel chant!

Hommage posthume à maître Haden



« Lors de la cérémonie commémorative en l’honneur de Charlie Haden qui se tint le 12 janvier 2015 à la mairie de New York, les membres du Liberation Music Orchestra se retrouvèrent pour lui dire adieu. L’occasion de réaliser le dernier rêve de Charlie Haden était trop belle, aussi se rendirent-ils aux studios Avatar. « Nous avons répété le lundi, la cérémonie a eu lieu le mardi et le mercredi, nous sommes allés en studio », se rappelle Ruth Cameron. « On a tous senti que l’esprit de Charlie était avec nous. » Cité par Alex Duthil, Open Jazz, France Musique.

Ça a donné cet album superlatif intitulé Time/Life, qui réunit cinq compositions pour grand orchestre (c’est bien la traduction de Big Band !?) sous la férule de l’éternelle arrangeuse et chef d’orchestre, Carla Bley, qui a dirigé tous les enregistrements du LMO depuis… 50 ans ! « Carla entend la musique exactement comme j’ai envie qu’elle sonne », ne se lassait jamais de répéter Charlie Haden. Le contrebassiste a réunit six fois son Liberation Music Orchestra pour des enregistrements, chaque fois défendre une cause socio-politique qui lui tenait à cœur. En fait cinq. Ce Time/Life étant posthume, comptant deux enregistrements réalisés en concert du vivant du musicien, qui, très malade, en appelait à la beauté de la vie et à la protection de l’environnement, comme il le fait à la fin de Song for the Whales, d’une voix faible mais non moins convaincu. L’album débute par le Blue In Green de MilesDavis/Bill Evans, lui aussi en concert du vivant du contrebassiste. Sur les trois autres compositions, enregistrées à titre posthume, c’est Steve Swallow, grand ami de Haden qui le remplace. Mais avec ou sans Charlie Haden, le Liberation Music Orchestra garde sa pureté et sa personnalité; celle d’un jazz libertaire et intense, souvent mélodique, et anarchique lorsque nécessaire.

Voici les titres des six parutions du LMO :

Charlie Haden,  Liberation Music Orchestra. Impulse. 1970. Réalisé en appui aux mouvements de libération d’Amérique du Sud. Quelques grandes pointures y apparaissent comme Gato Barbieri (saxos ténor) ; Don Cherry, Cornet et flûtes ou Roswell Rudd, trombone...

Charlie Haden, The Ballad of the Fallen, EMC, 1982.  En hommage aux victimes  de la guerre civile d’Espagne avec, entre autres merveilleux musiciens, Sharon Freeman au cor français ; le Cree-Kaw Jim Pepper et son alter ego afro-américain au saxo-ténor, Dewey Redan…

Charlie Haden and the Liberation Music Orchestra. Dream Keeper. Blue Note. 1991.  Où sont invoqués les libérateurs d’Afrique et, encore, d’Amérique du Sud. Joe Lovano, ténor, Ken McIntyre, alto, Amina Claudine Myers, piano et orgue, et le Oakland Youth Chorus s’y expriment ardemment.

Charlie Haden Music Liberation Orchestra. The Montreal Tapes. Verve Records. Paru en 1999. Un des moments les plus passionnants de l’histoire du Festival International de jazz de Montréal, que cette carte blanche de huit concerts offerte à Charlie Haden à l’été 1989, qui s’est conclu par le show débridé du LMO. Tous les concerts de cette série sont disponibles sur Verve.

Charlie Haden Music Liberation Orchestra. Not In Our Name. Verve 2006. Pour dénoncer les exactions du régime de George W. Bush dont la planète subie encore les affres une décennie plus tard. Le saxophoniste alto Miguel Zenon est particulièrement remarquable !

 Charlie Haden Music Liberation Orchestra. Time/Life. Impulse (pour boucler la boucle !) 2016. Peut-être l’album le plus émouvant, intensément exigeant à l’occasion. Les saxos ténor Tony Malaby et Chris Cheek, l’altise Lori Stillman, et le trompettiste Michael Rodriguez brillent particulièrement.

Reste que dans cet univers, ce sont les femmes qui brillent le plus. Carla Bley par ses talents complices d’arrangeuse et de chef d’orchestre et Ruth Cameron, conjointe aimante et agente de Charlie Haden qui fait tant et tant pour transmettre sa mémoire. C’est à Ruth Cameron-Haden que l’on doit le si bien nommé Time/Life.

Leonard Cohen, la sombriété sereine


You Want It Darker est le 14e album de ce poète qui a voulu être folksinger alors que la folk tirait sa révérence. On écoute avec beaucoup de sérénité, ce « testament » de l’homme de 82 ans qui raconte, de sa voix grave, envoûtante mais si apaisante, sa vie dédiée à la quête d’un absolu qui l’a constamment déçu mais dont il ne garde aucun regret.

En fait, on l’écoute en boucle, cet album, à cause de son rythme lent, de cette voix grave qui  nous rentre dedans des mots définitifs, les mots d’un sage qui a eu une vie qu’on imagine libre, entièrement faite de ses choix et qui nous en donne la recette. Cherchez, cherchez le sens de la vie, mais rien ne dit que vous le trouverez. Ça n’a pas d’importance. L’important, c’est la quête, là réside le bonheur. Bon, ok, je délire un peu, mais c’est ce que je retiens de ce maître que je connais encore  si peu.

Que ce soit à travers les femmes qu’il a vénérées sa vie durant, les religions qui l’ont obsédées, où la poésie qu’il n’a cessé, jour après jour, de convoquer et de créer, Cohen livre ses dernières réflexions, comme le vieux sage qu’il est, en 9 chansons qui, cette fois, bénéficient d’arrangements dignes des textes qu’ils habillent. 

Il faut entendre le chœur et le violon hébraïsant dans la trop belle It Seemed the Better Way (Sounded like the Truth/But it’s not the truth today) et l’habillage très folk de Leaving the Table (I’m Leaving the Table/I’m out of the Game). Il faut aussi entendre la quasi monastique chanson titre, You Want It Darker, si vraie, « I’m ready my lord » que certains ont cru qu’il refaisait le coup de David Bowie, mourir avant de lancer son album. Il a dû émettre un communiqué pour annoncer qu’il était toujours. Mais selon, son fils Adam, grand artisan de cet album si remarquable, Leonard ne va quand même pas très bien.

Ici, comme ailleurs, (le Guardian le qualifie de chef-d’oeuvre) cet album est célébré comme il se doit. Faut juste l’écouter. Il fait tant de bien !

Leonard Cohen. You Want It Darker. Columbia. 2016

Ma si chère Leyla…


Ben là, on descend dans le bayou avec cette violoncelliste newyorkaise d’origine haïtienne qui veut retrouver, chez les Cajuns, les sources du français d’Amérique. Leyla McCalla qu’elle s’appelle, et ce disque, A Day for the Hunter,  A Day for the Prey, est son second opus. Le premier, Vari-colored Songs, qui se voulait un hommage au poète et écrivain Langston Hughes, s’abreuvait aux mêmes sources et aussi à celle du poète du Harlem des années 1960.

Leyla a été, en quelque sorte, recrutée par le groupe Carolina Chocolate Drops, le blue grass nègre, au tournant des années 2010, alors qu’elle jouait, sur une coin de rie de La Nouvelle-Orléans, des suite pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach. Impressionnées, les gouttes de chocolat l’on invité à faire partie de l’ensemble, avec lequel elle s’est produite quelques années, avant de prendre son envol en solo… en compagnie de son chum, le guitariste, banjoiste et autres cordiste saguenéen, Daniel Tremblay ! Ben oui, un Québécois. Depuis, ils sillonnent l’Amérique et l’Europe, refaisant vivre la culture francophone mais aussi anglo, du continent. Folk d’Amérique, donc.

Du folk au violoncelle ?? Ben oui, ce n’est pas une première, faut écouter Crooked Still ! Mais à la façon de Leyla, le violoncelle devient, pizzicato, quasiment un instrument de percussion tout autant qu’un accompagnateur des plus lyrique. Mais c’est le chant qui prime, chez Leyla, avec ces vieilles mélodies cajuns, haïtiennes où américaines qu’elle fait revire pour les rendre plus vraies que nature, hors du temps et des modes. « This album is dedicated to the human spirit, ever in search of freedon, love, sxafe barbor and a sense of home », écrit-elle, sur la pochette. Il a bien besoin de tout cela le human spirit actuel. Leyla McCalla est ma nouvelle héroïne, une vraie drogue!

Leyla McCalla. A Day for the Hunter, A Day for the Prey. Jazz Village Records, 2016

Folk toujours, mon coco…


Billy Bragg est un chanteur de gauche, anglais, revendicateur, râleur et collaborateur de longue du groupe américain Wilco. Ça veut dire qu’il mêle la folk, à l’occasion, au punk. Mais ce qui a attiré le Bragg dans les mailles du producteur, compositeur, chanteur, guitariste ethno-musicologue Joe Henry, c’est cette connivence commune pour la tradition folk, le rôle que le chanteur, la chanteuse d’histoires politiques, peut jouer dans les changements sociaux. Le Henry, il a produit les Ramblin’ Jack Elliott, les Carolina Chocolate Drops, le Allen Toussaint posthume, Bettye Lavette, Teddy Thompson ou Loudon Wainwright III. C’est dire qu’il en connaît un bout. Tiens, il avait aussi réalisé de dernier album de Billy, Tooth and Nail, full folk simple guitare et vois pour qu’on comprennent bien les choses qui y sont dites.

De cette identité d’esprit et de valeurs vient de naître Shine a Light, un album qui réunit les deux compères et leurs guitares, pis c’est tout. Tout c’est tout, dans tous les sens du terme et c’est bien assez ! Pour que vous compreniez bien de quoi il retourne, il vous faut savoir que cet album est sous-titré Fiel Recordings From the Great American Railroad, et ce n’est pas de la frime. Ce disque a réellement été enregistré à bord de trains au Texas, à Chicago, Los Angeles, San Antonio. Une seule chanson a été enregistrée dans un lieu fixe, un hôtel ; elle s’intitule, comme il se doit, Waitin for a Train. Ah, mais je ne vous ai pas dit qu’il s’agit de chanson de hobos, ces gens qui, trop pauvres, voyageaient, à leurs risques et périls, clandestinement abord des trains : The Midnight Special, Railroad Bill, Railroading on the Great Divide, John Henry, Hobo’s Lullaby pour ne nommer que celles-là ! C’est une partie de l’histoire américaine qui a été vécue là la et chantée d’innombrables fois. Rappelez-vous Woody Guthrie !

J’ai la chance d’avoir le vinyle et sa magnifique pochette…


John Renbourn, feu le guitariste du ciel


Quand tu veux écouter de la guitare acoustique, mélodique, moderne mais ancrée dans les temps anciens, tu écoutes John Renbourn. Le vénérable musicien anglais, décédé en 2015 d’un malaise cardiaque à l’âge de 70 ans, aura eu le temps de laisser un dernier enregistrement, en concert intime, avec son partenaire de longue date, Wizz Jones. Il s’agit, ici aussi, d’un concert à deux vois intimes et surtout, à 20 doigts magiques qui reprennent de vieux classiques de Big Bill Broonzy, Bob Dylan, Bert Jansch (son alter ego dans le groupe Pentangle). Ça s’appelle Joint Control.

Qu’ils chantent à l’occasion, est anecdotique, pas que les voix soient désagréables, au contraire, mais ce sont les sonorités savamment mêlées des deux musiciens qui charment au-delà des mots. On est ici dans le sacro-saint du folk blues anglais des années 1960 qui produit tant de grands guitaristes dont Renbourn était un des fleurons : Ralph Mc Tell, Martin Carthy, Richard Thompson, Bert Jansch pour ne nommer qu’eux. Au-delà de la nostalgie, c’est un magnifique hommage au folk anglais qui nous est offert. Profitons-en !!

John Renbourn, Wizz Jones, Joint Control. Riverboat Records. 2016

Il y a Hamelin et… Richard-Hamelin


Il s’appelle Charles Richard-Hamelin et non, Charles-Richard Hamelin et n’a, faut-il le préciser aucun lien de parenté avec Marc-André Hamelin, l’immense virtuose pianiste québécois, un des meilleurs au monde. Mais Charles, sachons-le, est sur ses traces. Bon, ok, il a, il a du chemin à faire avant de prétendre de quelque façon que ce soit à la grandeur de son aîné. Mais son deuxième prix au concours Chopin de 2015 et ce récital qui vient de paraître sur étiquette Analekta, témoignent de son indéniable talent.

Ici, on entend Beethoven, Enescu et Chopin Live, mais avec pas d’applaudissements. Et c’est tout bon. On y retrouve l’esprit de chaque compositeur et si les rondos de Beethoven passent bien, on est épaté par la Suite no. 2 du grand compositeur roumain George Enescu qu’on entend trop eu souvent au disque. Et Chopin, c’est la tasse de thé de Richard-Hamelin. Alors, on a hâte à la suite des chose, le jeune a tout bon.


Quand à l’aîné, je vous parlerai une autre fois des fabuleux quintettes pour piano et cordes de Franck et Debussy qu’il vient d’enregistrer. Magistral…

Charles richard Hamelin. Live Beethoven-Enescu-Chopin. Analekta. 2016



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