Je ne suis plus une jeunesse et j’ai lu, dans ma vie, des livres magnifiques de grandes et grands auteurs, de Cervantès à Nancy Huston en passant par les Balzac, Poulin, Anne Hébert, Dostoievsky, Wassmö, Cortazar et j’en passe et des meilleurs. Des réalistes, des rêveurs, des anarchistes, des romantiques aussi. Et voilà qu’au bout de tant de lectures, je tombe sur cet « opéra graphique » en 4 actes des Italiens Teresa Radice & Stefano Turconi. Un livre de mer, d’amour et de mort dans la grande tradition des romans d’aventures, aventures en pleines majuscules s’il-vous-plaît! Cette œuvre, car c’en est une, s’intitule LePort des Marins Perdus. Juste ce titre…
En deux mots, c’est l’histoire d’un jeune Anglais repêché
près des côtes du Siam, à bord du HMS Explorer, frégate de sa majesté
britannique. On est à la fin du 18e siècle et tout le monde retourne
en Angleterre, au port de Plymouth plus précisément. Sauf que ce jeune homme,
totalement amnésique, fait montre d’une remarquable connaissance intuitive de
la mer et de ses caprices. L’équipage n’est pas long à l’adopter.
Bon, arrivé à destination, l’officier Roberts qui l’a
repêché amène Abel (c’est son nom et la seule chose dont il se souvient) chez
les filles de l’ex-commandant Stephenson. C’est là que ça se complique, parce
que ce commandant était celui du HMS Explorer juste avant qu’on ne repêche Abel.
Dans les heures précédentes, il aurait tué des hommes de son propre navire et
se serait enfui avec un trésor enlevé aux Espagnols quelques jours auparavant.
Pourtant cet homme était, de l’avis de tous, la droiture même. Et si Abel se
retrouve dans la maison de ses filles, c’est parce que Roberts a un œil
intéressé sur l’aînée. De plus, il veut ramener à son bord ce jeune homme qui
fait tant pour le moral de l’équipage.
À Plymouth, le jeune
amnésique, en quête angoissée de son identité, rencontre Rébecca, la tenancière
du Pillar, la maison de plaisir de la place. C’est elle, âme profonde et
sensible, qui lui fournira les clés de son avenir… grâce à la poésie!
Alors, qu’est-ce qui m’a séduit dans cette histoire
d’apparence banale? D’abord, l’intrigue et le scénario. Le sous-titre « Un
opéra graphique en 4 actes » n’est en rien usurpé ni surfait. Au fur et à
mesure qu’on avance dans cette histoire de 300 pages, on est séduit par
l’intelligence de l’intrigue et le cheminement vers sa résolution.
Ensuite, on est « flabergasté » par la délicatesse
et la précision inouïe du dessin, un noir et blanc doux, presque pastel,
fourmillant de détails sur les lieux, tant la ville que la mer. La mer et ses
navires vous « chavire » de sa présence à chaque page, qu’elle soit
morte ou déchaînée. Les personnages sont tous et toutes bien nets et bien
définis. Ce Turconi est un as du crayon à main levé. On est ému, entre autres,
par la beauté sensuelle de Rébecca, la belle et douce tenancière du bordel.
Pour tout dire, c’est elle, le personnage central de cet opéra où la mort est
tellement vivante, où l’amour s’exprime avec une émotion bouleversante. Parce que ce livre,
au-delà de l’aventure, est d’abord une puissante histoire d’amour.
Et cela, on le doit à l’auteure du scénario, Teresa Radice.
Au-delà de la force des images, c’est celle du texte qui ressort. Cette auteure
est une écrivaine vraie et ses dialogues, fournis et riches, sont souvent d’une
vérité - romantique, soit, mais vérité quand même en ce qui me concerne,
criante. Son histoire met en scène des hommes et des femmes d’une bonté
naturelle (à la J.-J. Rousseau), à l’esprit élevé (même parmi la chiourme!) et
oeuvrant au mieux-être de l’humanité… tout à fait dans l’esprit du temps.
Et il y la poésie. Non
seulement celle de l’auteur, mais celle de tous les poètes cités au début de
chacun des actes de l’opéra, mais aussi, à l’occasion des longues rencontres
entre Rébecca et Abel où elle lui fait lire les Coleridge, Wordsworth, William
Blake, le Cantique des Cantiques, Robert Louis Stevenson, Shakespeare.
Pirandello, Neruda, Pozzi sont aussi conviés et l’auteure, Teresa Radice elle-même,
n’est pas en reste, qui conclut presque son ouvrage de ces mots :
« L’amour est plus fort que la mort. Et le nôtre ne
finit pas ici. Je sais, tu ne pourras pas me voir, me toucher. Mais je serai
près de toi. Crois-moi. Crois-moi. Je serai simplement… là où tu voudras me
chercher.
« Dans le vent qui gonfle les voiles. Dans la vague qui
brode, délicieuse, la ligne de flottaison. Dans le scintillement des perles
frêles de rosée, sur les fils d’herbe que l’aurore réchauffe.
« Ton sourire sera ma plénitude. Je m’enivrerai de tes
satisfactions. Je rirai avec toi, à la vue d’un arc-en-ciel, je palpiterai dans
les éclats d’océan à l’horizon, je serai frisson de feuille dans les murmures
de la brise chaque fois que tu seras ému. Je me ferai goutte de pluies pour
baiser tes lèvres, manteau de velours pour te protéger.
« Je serai les doigts de l’aube pour charmer tes
réveils, et t’accompagner chaque jour nouveau, Nath. (…) Merci d’avoir été
pour moi caresse de Dieu.»
Nath, c’est Nathan, le grand amour de Rébecca dont je n’ai
pas parlé. Faudra lire le bouquin pour connaître ce personnage essentiel, vraie
force et morale de la nature.
Le Port des Marins
Perdus est traduit de l’italien par Frédéric Brémaud. Mais, on trouve, à la
fin, tous les titres des poèmes en langue originale, pour qui voudrait les lire
dans le texte.
En outre, la musique est partout dans cet
« opéra ». Celle des marins, comme celle d’Abel qui joue si
merveilleusement du violon, comme celle encore, si chantante, des poèmes. Alors, je
vous le donne en mille, les auteurs offrent la « bande sonore » du
« Port des Marins Perdus » en fin d’ouvrage, qui va du trad trash de The
Pogues au Gloria de Vivaldi, en passant par les trames de films (The Mission,
The Piano, Master and Commander), des Cranberries à Tous les matins du monde de
Jordi Savall.
Ce livre a été écrit pour moi. Mais je veux bien le partager
avec vous! Alors, le livre de ma vie? Je l’ai cru profondément au moment de le
lire, mais bon, il y a tant de grandes œuvres. Celle-ci, en tout cas, m’a
grandement émue.
Teresa Radice et Stefano Turconi. Le Port des marins Perdus. Éditions Glénat, collection Treize
étrange, 2016, 299 p. pour la traduction française.
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