Le premier, paru en français en 2010, s’appelait… The Rest Is Noise (ah, ces Français, si
fiers de se coloniser par l’anglais. Sont pas les seuls, remarquez). Le second,
paru en 2015, toujours chez Actes Sud, s’intitule Listen to This, et pour qu’on comprenne bien qu’il s’agit d’une
version française, on a ajouté un sous-titre des plus pertinent, La musique dans tous ses états. Car
c’est bien de cela dont il s’agit. De quoi je cause? De deux grands bouquins
portant sur la musique occidentale, essentiellement des 20e et 21e
siècles, signés Alex Ross.
Le monsieur Ross en question est un des plus fins
musicologues connu, critique musical au New Yorker
depuis 1996, poste qu’il a obtenu à l’âge de 28 ans. Reconnu comme une somme
unique, The Rest Is Noise était finaliste au Prix Pulitzer en 2008 et l’œuvre a
été primée dans les plus grands quotidiens étatsuniens : le Washington
Post, le New York Times où le Newsweek. Ces bouquins n’ont pourtant rien d’américain,
ils sont universels. Enfin presque…
The Rest Is Noise commence ainsi : « Si, au total, toute musique agit sur
l’auditeur par le mêmes lois de l’acoustique, mettant l’air en vibrations de
manière à engendrer toutes sortes de sensations, celle du XXe siècle,
cependant, s’est désintégrée en une multitude de cultures et de sous-tendances,
chacune ayant développé ses propres canons et son propre lexique. (…) Les
séquences hip-hop dont raffolent tant d’ados font souvent bondir leurs ainés,
Les standards populaires qui ont bercé la génération de nos parents et de nos
grands-parents semblent d’un kitsch insupportable aux oreilles de leurs petits
enfants. » p. 16
Quant à Listen to This, le premier chapitre,
« Écoute-moi ça » débute par ces phrases : « Je déteste la ‘musique classique’. Pas la
chose en elle-même, bien sûr, mais le nom
qu’on s’évertue encore à lui donner et claquemure cet art bien vivant
dans une sorte de parc à thème artificiellement dédié au passé. Ce nom
invivable, qui semble rendre impossible que la musique telle qu’on la concevait
au temps de Beethoven puisse encore voir le jour aujourd’hui, Ce nom qui
renvoie aux limbes de travail de milliers de compositeurs en activité, réduits
à devoir expliquer à un public suffisamment informé par ailleurs, les tenants
et aboutissants de leur gagne-pain. Cette locution – musique classique – est un
chef d’œuvre de contre-publicité, un repoussoir contre toutes les tendances de
l’heure… » p. 21
Et en quelque 1 200 pages, l’auteur, présente les musiques
qui ont fait le 20e siècle, les « classiques » évidemment du Salomé
fondateur (l’opéra) de Richard Strauss, pis la musique dan la Russie de
Staline, pis dans l’Allemagne d’Adolf, pis dans les USA de Theodore, il nous
cause de Britten, de Ligeti, mais aussi du Duke, de Bob Dylan, de Radiohead, de
Björk, du minimalisme, de Marian Anderson ou de quelle manière la technologie a
changé, voire bouleversé, notre rapport à la musique.
Pour qui s’intéresse profondément aux musiques de notre
monde, ces bouquins sont essentiels. Ils sont le fait d’un esprit pénétrant,
d’un auteur qui écrit remarquablement bien, qui est passionnant et passionné.
Ah, j’oubliais. Bien de son siècle, le cher homme dispose
d’un site Web remarquable qui permet aux lecteurs de ces deux bouquins
d’écouter des extraits musicaux dont il cause dans ses livres! À cette adresse!
http://www.therestisnoise.com/noise/
Alex Ross. The
Rest Is Noise. À l’écoute du XXe siècle. Actes Sud, 2010, 763 p.
Alex Ross. Listen To This. La
musique dans tous ses états. Actes Sud. 2015. 504 p.
Bïa, navigation
estivale
Je devais être le seul à ne pas m’être baigné dans l’eau
douce du dernier album de Bïa, sentant bon la bossa, la langueur, la chaleur,
la sensualité. Il s’appelle Navegar,
ce qui vous l’aurez compris, signifie naviguer! Et ça tangue, tout en
délicatesse, en portugais surtout, en français, en anglais aussi.
Bïa, la chanteuse, compositrice brésiliano-québécoise, a
lancé son septième album il y a quelques semaines déjà. Plus d’une vingtaine de
musiciens y participent, tant de Montréal que de Rio. Mais pour garder le tout
simple, claire, intime, la dame en a choisi seulement deux ou trois par
chanson. Et quelles chansons! Quelques grands classiques interprétés avec
grande distinction; comme Besame Mucho,
Cucurrucucu Paloma ou l’émouvante Melodia Sentimentale du grand Heitor
Villa-Lobos. Et que dire de sa déroutante version d’Eleanor Rigby de mon oncle Paul McCartney avec le brillant
Bernard Falaise à la guitare électrique, rare moment non acoustique de l’album.
Quelques compositions aussi, seule ou avec des invités comme
Andréa Lindsay et… Gianmaria Testa. Si cette chanson de Testa, La Tua Voce (Ta voix), où le chanteur
italien tient la guitare et Érik West-Millette, la contrebasse, si cette
chanson, dis-je, ne vous remue pas au fond de l’âme, alors… on n’est pas fait
du même bois. Quelle merveille de tendresse, quel mariage de voix! On en fond
littéralement.
Bref, Navegar,
qui, au fond, raconte les pérégrinations de cette citoyenne du monde qu’est
Bïa, Navegar, c’est le disque qui imprégnera notre été.
Bïa, Navegar. Disque
Biamusik
André Leroux, Synchronie-Cités
Oubliez ce titre à la Pérusse et écoutez cet album du
saxophoniste André Leroux comme le
meilleur de la longue carrière de ce musicien inspirant. D’aucuns, comme Alain Brunet de La Presse,
considèrent Leroux comme un des meilleurs saxos ténors de la planète, rien de
moins. Avec Synchronie-Cités, il fait une démonstration éloquente
de son jeu, mais aussi des ses qualités à mener de main de maîtres, une
phalange de musiciens de haut niveau.
Mariant quelques ballades bien charpentées (Inner Space
Boss, Synchronitité, Outer Space Boss) à des compositions plus swing (Ejecta)
ou quasi mystiques (Undertaking), André Leroux convainc, entre autres, par sa
sonorité coltranienne terriblement intense. Et surtout, il a su, au bout de
tant de temps, s’entourer d’un équipe superlative de musiciens dont plusieurs
ont contribué de leurs propres compositions : Benoît Charest à la guitare (Les triplettes de Belleville, ça vous
dit quelque chose?), l’inventif Frédéric
Alarie à la contrebasse (son intro sur Ejecta vaut l’achat de ce disque à
lui seul!), le virtuose du
trombone Muhammad Abdul Al Khabyr, le
délicat et talentueux James Gelfand
au piano et le polyrythmicien Christian
Lajoie à la batterie.
Outre un jeu d’ensemble impeccable et des soli souvent
remarquables, chaque musicien a contribué d’une ou deux compositions de son
cru. Pourtant, on a là un disque d’une impeccable unité sonore. Que voilà un
album riche, complexe, protéiforme, swinguant et… intense, répétons-le. On y
sent une complicité parfaite entre des musiciens de métier, parmi les meilleurs
de la scène canadienne!
André Leroux. Synchronie-Cités. Disque Effendi
Petite fille bleue, revisitée
À peu près tout le monde connaît le nom de Nina Simone, cette chanteuse qui a
fait de la chanson Noire, un hymne, qu’elle a décliné tantôt en jazz, tantôt en
soul ou en blues. Cette femme-piano, qui rêvait d’être concertiste et qui a dû
renoncer à cause de la couleur de sa peau, est connue, entre autres, pour sa
version de Little Girl Blue, où l’on
entend autant Bach que Duke
Ellington. Cette mélodie de boulevard, dont elle a fait un immense succès, se
trouve aujourd’hui sur l’album… d’une violoncelliste, SoniaWieder-Atherton.
Sonia Wieder-Atherton une musicienne de renom, qui a étudié,
entre autres avec Maurice Gendron et Mstislav Rostropovitch, mais qui a refusé de se
cantonner au seul domaine classique. Après avoir enregistré des chants juifs,
des mélodies russes, accompagné l’acteur Sami Frey dans une bouleversante
lecture de l’Ecclésiaste, la voici qu’elle propose un hommage à Nina Simone, un
hommage pour violoncelle, piano (Bruno Fontaine) et percussions. Oui, un disque
classique pour celle qui aurait voulu être pianiste classique, un disque qui
reprend quelques-unes des plus belles mélodies de Nina Simone (Black is the
colour of my true love’s hair, Black Swann, Hey Buddy Bolden) et quelques oeuvres
du style Brahms-Bach ou Rachmaninoff, des compositeurs chéris par madame
Simone. Alors ?
Alors,
c’est magnifique de tendresse et de lenteur. Comme si cet album se voulait un
baume sur les vicissitudes de la chanteuse, la reposer d’une vie trépidante
certes, mais aussi fortement engagée en faveur des droits civiques. Un disque
de velours où la langueur n’est brisée qu’à l’occasion (I Wish I Knew How it
Would Feel to be Free et Return Home). Au total, beaucoup d’émotion, le jeu
profond et grave de la violoncelliste rappelant, à chaque instant, la voix
profonde et grave de la chanteuse. Comment dire ? Majestueusement intime.
1 commentaire:
Merci de toutes ces belles suggestions :-) Le dernier de Bïa est en effet vraiment bon.
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