Je suis fasciné autant par le clavecin que par le piano. De si grandes oeuvres ont été consacrées à ces instruments. Voici trois interprètes hors du commun, dans le sens, bon ou mauvais d'outranciers, qui nous livrent es oeuvres qui le sont tout autant. Et si vous voulez en savoir plus sur leurs instruments, je ne saurait trop vous recommander la lecture du livre de Dieter Debrandt intitulé Le roman du piano, publié dans la série Babel, d'Actes Sud.
Le mélodiste tourmenté… et son interprète
Le mélodiste, c’est Franz
Schubert, celui qui a écrit des lieder par centaines, quelques
symphonies miraculeuses, des sonates pour le piano et des quatuors d’un lyrisme
envoûtant, un quintette à cordes qui est peut-être le plus beau morceau de
l’histoire de la musique de chambre. Et toutes ces œuvres oscillent
incessamment entre lumière et ombres et cela, au cœur même de chaque mouvement.
Quand on est syphilitique à 24 ans, maladie incurable et mortelle au début du
19e siècle, ça oriente un avenir… On le découvre de façon saisissante
dans le nouvel album du pianiste David
Fray intitulé très justement Fantaisie.
Fantaisie parce qu’on y trouve la célèbre Fantaisie en fa
mineur pour piano à quatre mains (D. 940) ainsi que l’Allegro en la pour les
mêmes mains (D 947), la chantante et rare Mélodie hongroise en si mineur (D
817), et surtout la Sonate en sol majeur dite Fantaisie (D894), qui est, pour
moi la plus belle œuvre pour piano de ce poète de la musique mort à 31 ans.
Dans le cas de la sonate, le terme fantaisie qui lui a été
accolé par l’éditeur qui voulait préparer l’acquéreur à une œuvre des plus
insolite, particulièrement dans son premier mouvement. « Car dès les
premières notes on pourrait rendre justice au commerçant : a-t-on déjà
entendu pareille entrée de jeu? Un simple accord piano, dont la résonance est réveillée à l’instant où elle
s’évanouirait par une petite broderie qui en prolonge indéfiniment l’écho.
Personne n’avait jamais eu l’idée de jouer ainsi de la résonance du son… »
(Rémy Stricker).
Fantaisie donc ou, dans les parties à quatre mains, Jacques
Rouvier, le maître de David Fray rejoint l’élève pour faire chanter
superlativement la musique. Qu’on ne se trompe pas, le vrai maître de ce disque
est le jeune Fray qui, déjà, nous avait donné des Impromptus (D. 899 et D. 935)
d’exception de ce même Schubert.
Dans la sonate, Fray « …chante au piano un Schubert
monté sur coussin d’air », comme le dit si bien le critique Christophe
Huss, dans le quotidien Le
Devoir. Il en fait entendre toutes les nuances, des plus tendres aux
plus inquiètes. Un fichu de bel album. Recommandé sans restriction.
David Fray
(invité Jacques Rouvier), Schubert, Fantaisie.
Disque Erato
Pure Création
Ça fait des années que je râle contre Keith Jarrett, que j’ai
qualifié plus souvent qu’autrement de Liberace du jazz, pour son comportement
sur scène, baveux et grossier, comme une diva qui se tire en l’air et ne se
repogne plus. C’est ce que faisait Liberace, mais en souriant, lui, pas en
grognant. Et peut-être aurait-on
pu passer ces caprices disgracieux, au Jarrett, s’il s’était contenté de jouer
du piano. Mais non, il faut qu’il marmonne parfois plus fort qu’il ne joue,
pire que Glenn Gould, c’est dire. Mais voilà, pour souligner ses 70 ans, le
pianiste vient de publier, sur étiquette ECM, une œuvre appelée Creation. On y trouve neuf
improvisations solo, enregistrées en 2014 dans les villes de Toronto, Tokyo,
Rome et Paris. Une pure merveille d’intimité et de sobriété.
En fait, en écoutant de Jarrett, on ne peut penser qu’au
dernier Liszt, Franz de son petit nom, celui qui, au seul piano, confiait ses
pensées musicales les plus profondes, frisant même l’atonalité à l’époque où ce
mot n’existait sans doute pas. Le Jarrett de Creation sonne comme un requiem,
grave et beau. Même qu’il marmonne presqu’en silence. Je souligne qu’il s’agit
là d’improvisations pures. Elles n’ont donc pas d’autres titres que Part I, II,
III, IV, etc. comment fait-on pour les distinguer? On ne les distingue pas. Il
suffit de mettre le disque sur la platine et de se laisser pénétrer par ce long
voyage magnifique, intense et… serein. Jamais je n’aurais cru utiliser un jour
ce qualificatif à propos de cet être que, jusqu’ici, je considérais comme
imbuvable. De la très grande musique.
Keith Jarrett, CREATION, disque ECM
Bach à la Rondeau!
Avec sa tête de hipster électrique, on imagine mal Jean Rondeau comme interprète de
l’austère Jean-Sébastien Bach. Rectifions d’entrée de jeu, Bach n’a rien
d’austère. Suffit d’écouter ses Branle Bourgeois (concertos Brandebourgeois)
pour s’en rendre compte. Une énergie folle s’en dégage. Ensuite, le jeune
claveciniste de 23 ans (jouer du clavecin et s’appeler Rondeau, c’est le pied!)
cache, sous son air goguenard, l’âme d’un très grand musicien. Son premier
album solo, BACH Imagine, le prouve amplement avec son programme de
transcription d’œuvres pour luth, violon, flûte transcrites pour le clavecin où
trône, majestueusement, au cœur du disque, la célèbre Chaconne tirée de la suite en ré mineur pour violon solo.
Voilà un Bach réfléchi, senti, intériorisé, loin de la
virtuosité gratuite (le jeune homme a toute de même les doigts drôlement déliés
et l’imagination fertile), qui commence par le magnifique prélude de la suite
en ut BWV 997, originellement pour luth, tout en douceur, remarquablement
rythmé. Et c’est parti pour 80 minutes de grand art, d’esprit fin, d’ornements
savants mais discrets qui culmine avec la puissance d’invention de la chaconne.
Pour qui aime le clavecin, BACH Imagine est un must absolu!
Jean Rondeau est la Révélation musique instrumentale de
l’année 2015 aux Victoires de la musique classique.
Jean Rondeau. BACH Imagine. Disque Erato. O
825646 220090
1 commentaire:
Quand j'habitais en Allemagne, à la fin de mon adolescence, il y avait un clavecin à la maison. La passion que j'éprouvais pour cet instrument! Au bout de quelques jours, l'homme chez qui j'habitais (mon "père d'accueil") m'a dit d'une grosse voix : "Eh, oh! Ce n'est pas un piano! Il faut y aller délicatement, tout en subtilité." Il était professeur de musique à l'université de Hambourg. Je m'éveillais le matin au son des sonates de Mozart ou des nocturnes de Chopin sur le piano à queue... et du clavier bien tempéré au clavecin. J'ai appris à parcourir de façon légère mais ferme le clavier du clavecin. J'ai toujours adoré Bach - qui n'est pas austère, mais certainement minutieux et balisé. Il m'arrive encore de le jouer avec trop d'intensité (sur mon piano impossible à accorder de façon satisfaisante), mais le cadre solide de ses compositions empêche de déraper... et console toutes les difficultés.
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