Le Stabat Mater Rv 621 d’Antonio
Vivaldi est sans doute l’une des œuvres les plus saisissantes du
baroque religieux. Chant d’amour, de douleur et de mort, il a été composé pour
une voix (haute contre ou alto) et quelques instrumentistes (violons et
continuo) en 1712 pour être interprété dans une église de Brescia, berceau
ancestral de la famille du prêtre roux.
Déjà célèbre à l’époque pour la nouveauté de son style et sa
fulgurante virtuosité, Vivaldi sévissait à l’Ospedale de la Pietà de Venise, un
des quatre orphelinats pour jeunes filles de Venise, sa ville natale. Là, il y
enseignait le violon et la musique instrumentale. Pourquoi n’y a-t-il pas créé
son Stabat Mater, lui si conscient de la valeur de ses œuvres? Parce qu’à
l’Ospedale, la musique sacrée revenait au nébuleux et sobre Francesco Gasparini.
Parce que, dans les grandes institutions religieuses, comme la cathédrale
Saint-Marc, on se méfiait des nouveautés et de la légèreté des œuvres
vivaldiennes. Enfin, le Vivaldi lui-même n’était pas très porté sur la prière,
ayant très tôt demandé à être dispensé de dire la messe… pour des raisons de
santé. Pfff…
Mais bon, revenons-en à notre œuvre qui fut redécouverte en
1939 pour ne plus quitter le répertoire des concerts depuis. On ne compte plus
les enregistrements du Stabat Mater. D’abord chanté, au 20 siècle, par des
mezzo-sopranos et des sopranos, il a fait la part belle aux haute-contre du
renouveau du baroque, à compter du début des années 1970.
Avant cette date, il fallait compter sur la bouleversante
version de la contralto néerlandaise Aafje Heynis (avec le
chef musicologue Angelo Ephrikian, en 1967) pour avoir une idée de l’intensité
de l’œuvre. Malheureusement, l’orchestration ronflante de l’époque noyait un
peu le dramatisme naturel du chant.
En 1976, le haute-contre anglais James
Bowman en donnait une version des plus saisissante avec l’Academy of
Ancient Music dirigé par l’éminent claveciniste, chef-d’orchestre et surtout
musicologue Christopher Hogwood. Véritable
révolution dans la renaissance du chant baroque, cet enregistrement, désormais
devenu classique, est à l’origine d’une pléthore de versions dont chacune a ses
qualités.
Au cours des dernières années, en plus de celle de Bowman,
j’ai retenu celles de Sara Mingardo et du Concerto
Italiano dirigé par Rinaldo Alessandrini (Naïve), de Marie-Nicole
Lemieux avec l’ensemble Matheus sous
la baguette de Jean-Christophe Spinozi (Naïve), d’Andreas Scholl avec
l’Ensemble 415 de Chiara Banchini (Harmonia Mundi). Et il y cette toute nouvelle,
transcendante elle aussi, de Philippe Jarrouski avec son ensemble Artaserse
(Erato).
Haute-contre ou
contralto
Alors, homme ou femme, pour chanter cet œuvre? On sait qu’au
18e siècle, le chant des femmes était peu ou pas admis à l’église
(très peu chez les cathos, et pas du tout chez les luthériens). Et on est à peu
près certain que la première audition du Stabat Mater, à l’église de la
Congrégation des Oratoriens de Brescia, fut donné par un haute-contre,
c’est-à-dire, à un homme qu’on a émasculé pour préserver sa voix haute.
Cette « mode » est devenue une frénésie dans
l’Italie du 18e siècle et, à Naples par exemple, on en a compté plus
de 2 000 sur une période de 50 ans. Des enfants sacrifiés, principalement
recrutés dans les familles pauvres. C’est qu’un haute-contre à la Farinelli
attirait des foules dithyrambiques et assurait l’avenir non seulement du
chanteur, mais de toute sa famille. Mais bon… Disons aussi, que si les femmes
chantaient avec beaucoup de succès à l’opéra, elles devaient aussi concurrencer
les haute-contre, dans le genre. Handel, par exemple, utilisait l’une et
l’autre voix dans ses œuvres où, à l’occasion une mezzo jouait un rôle d’homme
et une haute-contre, celui d’une femme. Et même au 20e siècle!
Pourtant, qui de mieux qu’une mère, pour chanter l’amour et
la douleur d’un fils dûment planté sur une croix avec de solides clous? Je
dirais qu’avec tout ce que la musicologie nous a appris au cours du dernier
demi siècle, la question ne se pose pas vraiment. Si l’œuvre est interprétée
selon les canons de l’époque, avec l’instrumentation adéquate, homme ou femme,
peu importe, si l’intensité et la vérité y sont… Alors?
Alors, de toutes les voix citées plus haut, celle de Philippe Jarrouski me semble la plus
belle, la plus pure pour interpréter cette œuvre. D’autant plus que son album, Antonio
Vivaldi Pietà, réunit des motets rarement enregistrés comme Longe Mala, umbrae, terrores Rv 629, où
le très délicat Filiae mastrae Jerusalem
Rv 638 où la voix de Jarrouski est on ne peu plus bouleversante.
Pourtant, comparée à celles de Marie-Nicole
Lemieux et de Sara Mingardo, on
trouve moins d’engagement dans le Stabat Mater du haute-contre. Moins aussi que
chez James Bowman, je dirais. Les deux femmes, contraltos, ont la voix grave à
souhait et le chant, dès le Stabat mater dolorosa d’ouverture, absolument déchirant
et bouleversant. Surtout, dans chaque cas, l’orchestre est plus incisif, et à
choisir à tout prix, on préférera peut-être Mingardo pour l’accompagnement
exemplaire du Concerto Italiano.
Andreas Scholl? Contrairement à ses apparitions en concert
où il est magistral, ce contre-ténor ne convainc guère, à mon sens, sur disque,
comme si son chant était constamment forcé…
Bon, pour conclure, Mingardo et Lemieux pour la conviction
et la force du chant dans les Stabat Mater, et Jarrousky pour la beauté, la douceur
de la voix et l’originalité du programme…
Jazzons maintenant!!
Contrebassiste, chef d’orchestre, compositeur, Charlie Haden aura participé à
des centaines d’enregistrements au cours de sa longue carrière. Toutefois, aucun,
à ma connaissance, n’offre autant de musicalité, de sens mélodique, de swing
ardent ou relaxant que cet opus le réunissant au guitariste de la délicatesse, Jim Hall.
Cet album, qui porte comme titre le nom des deux
protagonistes, a été enregistré en juillet 1990, dans la série Jazz Beat de l’édition 1990 du Festival
international de jazz de Montréal. Ce moment a dû être véritablement mémorable pour les mélomanes
présents. Dire qu’il aura fallu attendre près de 25 ans pour que les absents
n’aient plus tort. Deux musiciens, alors au faîte de leur art, qui se
connaissaient depuis plus d’un demi-siècle, s’y sont retrouvés pour une première
fois en concert en duo. La complicité, le swing, les échanges harmonieux, le
plaisir évident à créer se sentent à chaque note et dans chaque silence. Que ce
soit dans le Bemsha Swing de Monk,
tout plein d’allant et de fines syncopes, ou dans une ballade aussi intimiste
que le First Song de Charlie Haden (composé
pour sa femme et gérante Ruth Cameron, si je ne m’abuse), qui reçoit ici une
lecture d’anthologie de la part de son auteur. Charlie y va d’un solo
proprement inouï de tendresse. Ah, et ce Body
& Soul! Et le swing de Big Blues!
Et, etc…
Faut dire que les deux musiciens sont des habitués de la formule
en duo, Jim Hall en ayant enregistré de remarquables avec le pianiste Bill
Evans et le contrebassiste Ron Carter, alors qu’Haden en compte plus d’une
dizaine (avec les Kenny Barron, Kid Jarrett, Chris Anderson, et même Pat la
mitaine, c’est tout dire!). Mais celui-ci, avec le délicat Jim Hall, se hisse, à
mon avis, en haut de la pile et constitue, quant à moi, la plus belle parution
jazz de 2014 à date.
Il faut aussi noter la qualité sonore impeccable de
l’enregistrement de ce concert. Les instruments sonnent comme s’ils étaient
dans votre salon et les applaudissements de ce public on ne peut plus attentif
ne gênent en rien l’écoute.
Paru au moment même de la mort du célèbre contrebassiste
(pour une fois, il semble s’agir d’une simple coïncidence), cet album marque la
xe renaissance de l’étiquette Impulse, créée par
Bob Thiele pour mettre sur la carte (on the map? Suggestion : mettre en
valeur, faire connaître) l’œuvre de John Coltrane. Associée, donc, à l’avant-garde
à son origine, Impulse nage dans de toutes autres eaux avec ce premier opus. On
a hâte d’entendre la suite!
Sad-Eyed Lonesome
Lady, Steph Cameron
Voilà un titre qui sonne comme celui d’un vieux Bob Dylan…
Tiens, la pochette ressemble à s’y méprendre à celle de « The Times, They
Are A Changin’ », album du vieux chantre qui date de 1964. Hasard? Que
nenni! Steph Cameron est
amoureuse de cette époque qu’elle n’a pas connue, mais dont l’écho l’interpelle
drôlement.
Voilà une jeune fille de 22 ans, folksinger au fond de l’âme et au bout de ses doigts de guitariste
virtuose, qui a de la graine de
hippie en elle et qui raconte et chante, à sa façon, les histoires, si
actuelles, des anciens : les Doc Watson, Sam Lightnin’ Hopkins, Dave Van
Ronk ou Joni Mitchell de ce monde. Même les titres ont cette couleur
folk : Sad-Eyed Lonesome Lady,
Goodbye Molly, Blues at My Window, Cry Baby, Many Miles to Go…
Originaire de
Saskatoon, au cœur des plaines de l’Ouest, elle vit sur l’Île de Vancouver dans
une « communauté » à son image et dont elle raconte la vie. C’est
aussi une grande voyageuse à l’image de son Railroad
Boy, elle qui a traversé le continent de part en part avec des moyens de
fortune.
Malgré son évocation des anciens, toutes ses compositions
sont originales. Elle, qui s’était déplacée à Toronto pour enregistrer une
seule chanson, a quitté la ville trois jours plus tard, tout un album en poche!
Avec juste sa voix et sa guitare, elle a convaincu les producteurs! Une voix,
une guitare, c’est tout ce que ça prend quand on a quelque chose à dire et de
belles mélodies pour y déposer les mots. Steph Cameron nous offre les deux avec
panache… et on la reçoit avec beaucoup d’émotion. En ce qui me concerne, c’est
ma nouvelle idole!
Disque : Pheromone Recordings
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