samedi 29 mars 2014

Négritudes musicales

Source : La pie rouge

La Négritude occupe une place prépondérante à Folk d'Amérique, l'émission radiophonique que je produis et anime sur les ondes de la station de radio CKRL-89,1, à Québec. Tout simplement, parce que les Noirs d'Amérique ont, pour exprimer leur condition, créé deux genres musicaux qui ont marqué le 29ième siècle d'une très grande partie de l'humanité : le jazz et la forme qui en constituait l'essentiel, le blues.

Aujourd'hui encore, ces formes musicales ont gardé toute leur pertinence, même si le jazz, plus particulièrement, a évolué dans mille directions; l'improvisation ayant pris autant de tangentes que la créativité des musiciens lui en a permis. Mais peu importe, la musique noire, qui de ces formes a pris des proportions protéiformes, aura donné la soul, le rythm'n blues, le rock et influencé directement les groupes les plus importants de notre histoire musicale: Les Beatles, les Rolling Stones, mais aussi les U2 de ce monde et même, plus récemment, les incontournables Tom Waits et Jeff Beck qui le clament haut et fort.

Bon, tout ce préambule pour vous présenter quatre albums qui viennent sortir des bacs des disquaires ou d'apparaître dans le cyberespace, oeuvres de l'immense saxophoniste Archie Shepp, de la violoniste de jazz Regina Carter, de la compositrice-chanteuse et violoncelliste folk Leyla McCalla et fin fin de l'inoubliable bluesman Sam Lightnin' Hopkins.

I Hear the Sound


À l'automne 1972, les détenus de la prison d'Attica dans l'État de New York se sont mutinés pour dénoncer les conditions épouvantables de détention dans lesquelles ils vivaient. Quelque 1 000 d'entre eux tenaient en otage 33 employés et gardiens. Le gouverneur de l'État, Nelson Rockfeller fait donner l'assit où ont péri 29 prisonniers et 10 otages... tous tués par les forces de l'ordre, contrairement à ce qui avait d'abord été prétendu. 50 % des détenus étaient des Noirs alors qu'ils ne représentaient, à l'époque, à peine 15 % de la population américaine.

En janvier, Archie Shepp, compositeur et saxophoniste militant, monte au front et enregistre un projet musical et politique audacieux qui s'est intitulé Attica Blues, qui reprend, sous le thème de l'oppression de la négritude, les différents genres musicaux élaborés par les Noirs d'Amérique, seule véritable innovation artistique que l'Amérique étasunienne a apporté au monde. Un message d'espoir.

Début 2013, Shepp récidive sur le même thème avec un album qui s'intitule " I Hear the Sound ", qui réunit quelques-unes des plus grandes pointures du jazz français, un quatuor à cordes et quelques monstres sacrés du jazz américain : la pianiste et chanteuse Amina Claudine Myers, le batteur-volcan Famoudon Don Moye, Reggie Washington à la basse et la jeune merveille de la trompette, Ambrose Akinsmusire dont ont causera dans une prochaine chronique. Le nom du band? Je vous le donne en mille : Attica Blues Orchestra. Ça dit tout!

En fait, il me semble que cette mouture rénovée et polie est encore meilleure que la première, arrangements mieux fignolés, orchestrations solides, solos (écoutez moi Akinmusire dans Cry of My People , cliquez-y!!!) fiévreux et un Shepp dans une forme qu'on ne lui a pas connue depuis des années. Une oeuvre d'une grande puissance. Ce que l'espoir peut faire!



Vari-colored Songs



Il n'est pas rare de trouver Leyla McCalla sur le coin d'une rue, dans le vieux cartier français de La Nouvelle-Orléans, à jouer l'une des suite pour violoncelle de Bach. Oui, oui, le Jean-Sébastien tellement plus connu aujourd'hui qu'en son temps. Mais bon, il ne s'agit pas de lui, mais de Leyla, très jeune musicienne originaire de New-York fascinée par ses racines musicales, le créole haïtien de ses parents, l'héritage cajun de la Louisiane où elle réside depuis quelques années, la folk pour mettre en valeur la poésie de son pays, celle de Langston Hughes, ce grand écrivain de la renaissance de Harlem de qui elle a mis en musique plusieurs titres de cet album si bien nommé, Vari-Colored Songs.

Qu'elle s'accompagne de son violoncelle (pizzicato ou à l'archet), du banjo ou de la guitare, qu'elle profite de la participation de l'un ou l'autre de ses copains des si talentueux Carolina Chocolate Drops, Leyla McCalla propose une folk à nul autre pareille, authentique mais originale, puisée à même les racines immémoriale de son Amérique. en deux mots, c'est tout beau, tout vrai, et on en redemande!!!

Southern Comfort n'est pas qu'une boisson...



...c'est aussi un formidable album de jazz de la violoniste Regina Carter. La musicienne de Détroit, qui s'est fait connaître, en début de carrière, pour ses prestations d'avant-garde avec l'excellent String Trio de New-York notamment, nous amène cette fois-ci aux sources sudistes de la musique familiale avec ce Southern Comfort aux relents africains (Miner's Child), country (Hickory Wind), cajun (blues de Basile), folk (Cornbread Crumbled in Gravy) ou même moderne (étonnant See See Rider!).

Avec des musiciens qui se nomment Martin Sewell (guitare), Will Holshouser (accordéon) ou Jesse Murphy (contrebasse), on ne peut pas dire que la dame s'est entourée d'un brochette toute étoile. Mais    tous apportent apportent aux musiques d'Hank Williams, de Gram Parsons et aux chants traditionnels ou aux musique d'inspirations soul qu'ils interprètent une couleur fascinante, mise en valeur par les arrangements du vibraphoniste Stefon Harris (qu'on n'entend d'ailleurs pas).

Texas Blues




Il n'y a pas que le blues du Delta dans le sud étasunien, celui du Texas compte aussi son nombre de grandes pointures, dont les plus remarquables sont sans doute Blind Lemon Jefferson et l'excellent guitariste et chanteur Sam "Lightnin' " Hopkins dont les albums solos ne sont rien moins que remarquables.

Comme bien des musiciens noirs du Sud, Hopkins (1912-1982) a fait carrière à la dure, étant même emprisonné dans les années 1930, pour d'obscures raison. Ayant accompagné Jefferson à ses début, Lightnin' a travaillé longtemps à Houston et dans les états de la Louisiane et du Mississippi, dans les années 1940 avant de profiter grandement du revival blues des années 1960. Voix rocailleuse, jeu de guitare fascinant (Rolling Stone l'a classé au 71e rang des 100 meilleurs guitaristes de tous les temps) Lightnin' Hopkins représente sans aucun doute la quintessence du blues traditionnel du Sud.

Pour s'en convaincre on écoutera l'album éponyme que la Smithsonian Folkways depuis 1959. À lui seul, son Bad Luck and Trouble vaut l'achat. Écoutez-le en cliquant sur le titre!!

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