mardi 9 février 2010

Misères et splendeurs de l’amer Indien


Ai passé une partie de ma vie près des cultures amérindiennes d’ici. Mes fils sont, d’un peu loin c’est vrai, des métis d’Ilnus de Mashteuiash que j’ai fréquentés plusieurs années. J’ai été, plus de 10 ans, rédacteur en chef de Rencontre, un magazine gouvernemental publié quatre fois l’an à l’intention des populations amérindiennes et inuit du Québec. Ce magazine était principalement constitué de reportages que nous réalisions quatre fois l’an dans l’une ou l’autre des 54 communautés. J’ai ainsi pu vivre plusieurs séjours dans des réserves et au cœur de la forêt amérindienne qui, croyez-moi, n’a rien à voir avec celles des Blancs.

C’est à Rencontre que j’ai engagé ma Loulou qui est devenue ma conjointe, elle qui a vécue chez les Inuit de nombreuses années et travaillé auprès des Cris comme coordonnatrice de la cour itinérante du Québec. C’est pourquoi j’ai pu apprécier à sa juste valeur le roman si émouvant de Lucie Lachapelle, Rivière Mékiskan.

Lucie, c'est celle qui tient le melon d'eau. Elle est entourée de Mylène Martel, de Marie-Ève, la fille de Lucie à qui est dédié le livre, de Janine Parent et de ma Loulou. Une soirée d'amies où les fruits et les légumes étaient à l'honneur... hi, hi, hi.

Lucie, c’est une grande amie de ma douce qui l’a rencontré à Puvirnituq, dans les années 1970. Lucie n’est pas romancière, mais cinéaste, scénariste et réalisatrice. Il y a une quinzaine d’années, elle a fait paraître, pour le compte de l’Office nationale du film, La Rencontre (qui n’a surtout rien à voir avec la revue!) qui portait sur les conjoints blancs qui vivaient avec des Autochtones, soit dans les communautés soit en ville. Enfin, le père des enfants de Lucie est cri par sa mère et plusieurs aspects de Rivière Mékiskan sont inspirés de la vie de cette famille abitibienne.

L’histoire? Alice, la jeune vingtaine, vit à Montréal depuis sa tendre jeunesse. Un jour elle reçoit un appel du bureau du coroner qui lui apprend que son père est mort. Cause du décès : intoxication à l’alcool sur fond d’itinérance. La jeune fille n’est pas surprise. Elle n’a que faire de ce père qu’elle déteste et que sa mère a fui du cœur de l’Abitibi. Contre toute attente, Alice décide de ramener les cendres de ce père indigne au cœur de ce pays inconnu pour elle, dont elle n’a que de vagues réminiscences.

Si l’on a quelques difficultés à comprendre la logique d’Alice en début de roman, si on ne saisit pas trop pourquoi elle doit assumer seule la charge de disposer du corps (si ce n’est que Louise, sa mère, a décidé de nier complètement l’existence de cet homme et de sa famille), on est tout de suite happé par le récit qui suit, dès qu’Alice met le pied dans le train qui la mène dans ce coin perdu de Mékiskan.

Il s’agit d’un puissant voyage initiatique où Alice découvrira le drame irréparable qu’ont subi son père et les siens au cours de leur existence : dépossession territoriale, morale et physique de ces gens qui, pour certains, vivent tant bien que mal le long de la ligne de chemin de fer qui va de La Tuque à Senneterre alors que d’autres arpentent les réserves. Désoeuvrement et alcoolisme font des ravages mais l’étincelle demeure, le rire, la magie de la vie en forêt et des êtres mythiques et mystiques qui y vivent.

Dans sa « …Trop bruyante solitude », le grand écrivain tchèque Bohumil Hrabal fait dire ceci à son héros, pilonneur de livres : « si je savais écrire, moi, j’écriras un livre sur les plus grands malheurs et les plus grands bonheurs des hommes. » Lucie Lachapelle a écrit ce livre. Avec elle, on a droit à un récit de l’intérieur de cette vie de semi-nomades du Moyen Nord. La vieille Lucy, tenante d’un savoir ancestrale, initiera sa petite-nièce au quotidien difficile des siens et fera rencontrer à la petite urbaine la partie amérindienne de sa famille. C’est d’elle aussi qu’Alice apprendra leur triste histoire.

Aucune complaisance dans ce récit où l’on traîne une femme saoule, ivrognesse d’habitude, dans les poubelles sous les yeux de son fils; la famine qui tuait autrefois des familles et cette histoire, vraie, de la grand-mère d’Alice qui a tué un orignal d’un coup de hache. On y découvre aussi des pages sublimes sur la vie quasi spirituelle au campement, sur le pouvoir du shaman chasseur et la place des animaux, sur la purification et les visions dans la tente de suée où Alice revoie son père.

Mais au-delà du récit, c’est le ton qui frappe, la vérité qui s’en dégage. L’auteure connaît intimement le monde dont elle parle et, avec l’expérience que j’en ai, tout ce qu’elle raconte est profondément vrai. Alice ne peut que sortir grandie de son voyage. Le lecteur aussi.

À mon avis, un seul roman avait, jusqu’ici, réussit (brillamment) à mettre en lumière la relation ambiguë des Québécois blancs et des amérindiens. C’est le Cowboy, de Louis Hamelin. Aujourd’hui, Lucie Lachapelle reprend le flambeau, aussi simplement que la vieille Lucy, qui raconte la vie des siens du haut de sa misère et de sa sagesse. La parution de ce livre est un événement.

Quarante ans de blues?

La semaine dernière, j’ai attrapé un coup de vieux. Assez violent même. J’écoutais un disque intitulé Three for All, un trio jazziste mené par le saxophoniste Jerry Bergonzi. C’est ex-cel-lent. Le Jerry, il a toute une sonorité, un phrasé chaleureux et ses compos sont résolument modernes sans rien de free, mais avec beaucoup d’invention et d’idées qui se succèdent à bon rythme. Ses deux copains, le bassiste Dave Santoro et le batteur Andrea Michelutti, ne lui cèdent en rien, dialoguant, pardon trialogant allègrement le patron. Ressemble un peu au regretté Bob Berg, le Bergonzi, et ce n’est pas parce que leur nom commence par les mêmes trois premières lettres.

Mais ce n’est pas la musique qui m’a donné un coup de vieux. Je n’avais, avant ce mardi, jamais écouté ce musicien qui avait pourtant joué avec Dave Brubeck au début des années 1970 et qui a enregistré une dizaine d’albums sous son propre nom. Et moi qui raffole des saxos ténor. ET c’est là que ça a commencé à faire mal. Depuis combien de temps est-ce que j’écoute du jazz et des saxos ténor? Ça fait, ça fait… ouch, ayoye, ça fait presque que 35 ans! J’ai commencé à 23 ans, je pensais avoir entendu tous les grands de Traumbauer à Murray en passant par tous les Young Hawkins Rollins Coltrane Shepp Ayler et compagnie. Heureusement, heureusement; il n’y a pas de retraite pour les jazzeux, peuvent devenir gâteux et s’adonner à leur vice en toute quiétude jusqu’à ce que la mort les sépare. Et en apprendre jusqu’au dernier moment!

Exaltatant!

Par le passé, on a trop souvent associé la musique de Fryderyk Chopin à du divertissement de demoiselle en mal de pamoison. Peut-être est-ce parce que le souffreteux personnage détestait donner des concerts devant de grandes salles et préférait ceux, plus intimes, des salons. Peut-être aussi est-ce que son œuvre est essentiellement pianistique? Pourtant, études préludes nocturnes ballades scherzos et polonaises connaissent tous des moments forts, voire d’une puissance suprême. Cette force, on a pu la découvrir au cours des dernières décennies grâce à des musiciens de caractère comme Samson François, Arturo Benedetti Michelangeli, Krystian Zimerman entre autres. En fait, Chopin, dont c’est le deux centième anniversaire cette année, ne manque pas de grands interprètes pour défendre son œuvre.

Le dernier en date s’appelle Nelson Goerner. Il est d’origine brésilienne et vient d’enregistrer, pour l’institut Chopin de Varsovie, un récital mêlant ballades et nocturnes. Non seulement offre-t-il un jeu des plus étonnant et brillant, mais il le fait sur le piano préféré de Chopin, un Pleyel datant de 1848. Quelle sonorité, quelle force, quelle émotion nous sont transmis dans cet enregistrement remarquable. Une merveille!

Bonne semaine!

1 commentaire:

Unknown a dit...

Salut mon ami Gilles,
À quelques années de distance, tes textes demeurent toujours aussi beau de vie et lumineux de quotidien. Au plaisir de te lire encore.
Merci et bonjour à ta belle.
Ion