Nous sommes partis, ma Loulou et moi, le vendredi matin en passant par la réserve des Laurentides, puis en longeant le Saguenay du côté est et en prenant la route 138 jusqu’à Godbout, 70 kilomètres passés Baie-Comeau.
Des averses à n’en plus finir sur la 175 laissaient présager le pire. Comme baptême des vacances on ne pouvait imaginer mieux.
Le même jour, du soleil à n’en plus finir à Godbout, sur le bord de la mer. Ça a duré une semaine, jusqu'à samedi suivant. Une vraie litanie : soleil de l’aube au coucher, un ciel bleu à peine parfois nimbé d’une légère brume et pas de vent. Pas de vent; sur la Côte-Nord! Même les Godboutois n’y ont pas cru.
Même les prévisions météorologiques n’y ont pas cru. Sur notre radio maritime, on annonçait, jour après jour, un ciel nuageux avec 60 % de probabilité d’averses et possibilité d’un orage en fin de journée. Sans blague, on a cru « qu’ils » avaient installé une cassette dans notre radio. Ça, c’était la météo pour le reste du Québec, pas pour Godbout.
Le rituel de la mer
Alors le rituel s’est installé, pour ma douce et moi à tout le moins, et parfois en compagnie de l’ami Denis, on se levait un peu avant six heures le matin pour partir en kayak. C’était simple, on s’habillait convenablement (veste de sécurité, vêtement de néoprène), on traversait la rue et on allait cueillir nos embarcations sur la plage. De là, on partait vers le large, à deux ou trois kilomètres du rivage et on attendait les petits rorquals (8 mètres et 8 tonnes quand même et puis non, on ne dit pas petits rorquaux), les marsouins et les phoques qui ne manquaient pas de faire leur apparition tout autour de nous.
Après de déjeuner, on repartait, soit sur la belle rivière Godbout (une rivière à saumon), soit vers l’est sur le fleuve soit vers l’ouest.
À deux, à quatre ou à six, nous avons pagayé, pagayé à travers ce paysage paradisiaque avec sa côte granitique surmontée de fines épinettes, au milieu des eiders à duvet, des sternes, des goélands, des petits pingouins et des mergules nains (les plus petits des pingouins). Et toujours ce soleil, et toujours cette mer étale… La Côte-Nord, c’est mon pays favori, le plus sauvage, le plus près d’une nature inaltérée. Naviguer sur le grand fleuve à cette hauteur relève de l’extase la plus pure.
C’est dans cet esprit qu’une belle journée je suis parti avec Loulou, Michel et Denis en direction de Pointe-des-Monts, quelque 16 kilomètres à l’est de Godbout. On dirait que cette masse d’eau m’hypnotise, qu’il me faut toujours aller devant, toujours plus loin, toujours plus au large. Michel, d’ailleurs éprouve la même fascination. Bien sûr, ça m’a vite fait oublier la consigne de rester en groupe que nous nous étions donnée. Ma douce n’était pas contente, ça avait obligé tout le monde à forcer le rythme. Résultat, nous étions rendus en moins de trois heures alors que nous avions prévu prendre tranquillement la journée.
Une anecdote à propos de cette sortie et de la sorcellerie météorologique qui peut y régner. Le matin, très tôt, nous sommes allés porter une auto au lieu d’arrivée, question d’assurer la navette. À quelques centaines de mètres avant le phare historique de Pointe-des-Monts, nous avons repéré une baie qui nous permettait d’accoster en douceur. Parfait. Mais on a continué jusqu’au phare afin de s’enquérir du menu que le resto de l’endroit offrait pour le souper. À peine arrivé, la brume s’est abattue sur nous, une brume épaisse qui nous empêchait de voir le phare situé à 50 mètres de nous à peine. Catastrophe, c’en était fini de notre sortie, impossible de naviguer dans une telle purée de pois, même avec une boussole. La brume, sur la Côte-Nord, ça dure parfois des semaines!
Découragés, nous avons rebroussé chemin. De retour à notre baie, plus aucune trace de brume! Un grand soleil, une visibilité parfaite, à moins d’un kilomètre du phare. Ahurissant!
Le rituel de fin d’après-midi
En fin d’après-midi, commence un autre rituel, celui de la préparation du souper au moyen d’apéros successifs. On se réunissait d’abord sur la plage avec un verre de vin ou une bière dans une main et un livre dans l’autre et on fainéantait un peu pendant que Denis partait à vélo sur les pentes de la route 138 pour une course variant entre 20 et 30 kilomètres.
À son retour, on rentrait à la cuisine pour préparer le repas à l’aide d’un nouvel apéritif. Lors de la réunion pré-expédition, j’avais demandé à Johanne de nous préparer sa lasagne, ce à quoi elle a agréé avec beaucoup de bienveillance. Elle est unique sa lasagne parce qu’elle n’utilise jamais tout à fait les mêmes ingrédients, Jo, même si certains s’y retrouvent à coup sûr. Voyez ce que ça a donné cette fois-ci : des aubergines, des épinards, des poires, des champignons (de gros portabellas), de la sauce tomate aux anchois, de la sauce Béchamel, des pâtes et du fromage évidemment. Je ne vous dirai pas combien de bouteilles de vin on a bu pour arroser dignement ce mets digne des dieux.
Et ça s’est répété comme ça tous les soirs, l’osso bucco de Michel et d’Hélène qui, pêcheurs impénitents, nous ont aussi, quelques jours plus tard, servi un succulent repas de maquereau pêchés au bout du quai local. Il y a eu aussi les pâtes aux crevettes, parmesan et citron de Loulou et sa pizza aux piments forts, rien qui ne pouvait être rehaussé par l’absorption d’un nombre indéterminé de bouteilles de vin.
La soirée s’est terminée sur la plage à quelques reprises, autour d’un feu de bois de grève, Jo et Loulou en profitant pour oser se baigner dans la mer froide. En fait, côté baignade, c’est la rivière qui a eu le plus de succès dans le groupe, toute la semaine durant.
La grande mer
Et puis il y a eu les émotions de la dernière journée de kayak, en direct de Pointe-des-Monts. Nous avions décidé d’y aller tous les six car le paysage environnant, tant minéral que floral et animal, est fascinant et que la baie Saint-Augustin offrait un havre confortable pour le dîner. Cependant, contrairement à Godbout, les vents sont plus présents à la Pointe puisque c’est là que débute vraiment l’estuaire du Saint-Laurent.
Ce mercredi, le vent venait du sud-est, c’est-à-dire qu’il traversait le fleuve sur toute sa largeur, sans obstacles, avant d’arriver sur la côte. C’est ce qu’on appelle le fetch. Plus il vient de loin plus la vague est grande. Ce matin-là, le vent avait beau n’être qu’à 15 nœuds, les vagues qu’il provoquait plus au large étaient impressionnantes, jusqu’à un mètre cinquante par moment. De grandes vagues sur lesquelles montaient et descendait nos bateaux.
Là je me suis inquiété un peu pour les éléments les moins expérimentés de notre groupe. Chavirer dans une mer ainsi agitée ne rendrait pas la récupération facile, d’autant plus que les notions de récup n’étaient au même niveau chez tout le monde. Pour vous dire vrai, je ne me suis pas éloigné de qui que ce soit lors de cette sortie.
Bilan d’amitié
Pourtant, tout le monde a été emballé, voire enivré par cette sortie, ayant l’impression, et c’était la réalité, de vivre une aventure hors de l’ordinaire.
Finalement, c’est ce sentiment d’avoir vécu une belle aventure commune que chacun et chacune de nous a retenu de ce voyage un peu magique. Une sollicitude continuellement partagée et le plaisir constant de faire plaisir à l’autre ont guidé toutes nos actions, provoquant sans cesses rires et sourires… S’il n’y avait pas eu cet énervé toujours prêt à partir au large tout seul sans s’occuper des autres, c’aurait été absolument parfait.
Musique
Vous vous doutez bien qu’on a écouté de la musique durant cette semaine, surtout que l’ami Denis est aussi patron d’une boutique de disques, Sillons le disquaire, pour ne pas le nommer, ayant pignon sur la rue Cartier. Alors?
Alors il y a un disque qui m’a bien impressionné réalisé par un musicien qui ne m’impressionne pas du tout, Wynton Marsalis et un autre que j’aime bien, le vieux Willie Nelson. Hein? Un trompettiste de jazz avec un chanteur country? Ben oui, surtout que les deux viennent du coin (la Louisiane pour le premier, le Texas pour le second) et que le sujet est en le blues, un genre qui rejoint les deux comparses. Le titre : Two Men with the Blues. On y entend Basin Street Blues, Georgia on my Mind, le Caledonia de Muddy Waters, et d’autres titres dans la même veine. Ça ne réinvente rien et ça n’invente rien non plus, ces mecs ne sont pas des inventeurs de quoi que ce soit.
Cependant, l’idée de joindre la guitare et l’harmonica country au piano, au saxo et à la trompette donne un résultat fantastique. Le vieux Willie s’en tire à merveille et l’intro de Marsalis sur Night Life donne des frissons. Un disque qu’on écoutera tout l’été jusqu’à Noël tout au moins.
Gilles Chaumel
Le lundi 4 juillet 2008
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