vendredi 17 décembre 2021

Ma musique en 2021

Photo : Louise Séguin
 

J'ai beau ne pas être fana des rites et des traditions, il y en n'a quand même quelques-uns qui sont sacrés, comme la recension annuelle des musiques que j'ai aimées, qui m'ont troublées, bercées ou brassées plus ou moins joyeusement, qui m'ont me sentir vivant. Toutes sont expressions de la vie, de la connaissance humaine par l'art; toutes sont essentielles. 

Myriam Gendron, Ma délire, Songs of Love, Lost & Found


Le folk d'Amérique comme on ne l'avait jamais entendu chez nous, avec des accents bluesy du Mississippi, avec des intonations à la manière d'un Woody Guthrie où d'un Bob Dylan. Chansons du folklore d'ici (Par un dimanche au soir, C'est dans les vieux pays) ou d'ailleurs, revisitées dans un quotidien contemporain avec guitares et bruits d'ambiances, par la libraire poète Myriam Gendron qui aura mis 7 ans à peaufiner cette oeuvre unique. Un vrai bijou!!! 

En écoute: Poor Girl Blues




Disque disponible dans tous les formats (y compris les cassettes!) via Bandcamp


Daniil Trifonov, Bach : The Art of Life


J'attendais cet album avec fébrilité depuis que le grand pianiste russe est venu au Club musical de Québec en février 2020 offrir un concert mémorable où il avait programmé la totalité de cette oeuvre d'une complexité rare, l'Art de la fugue BWV 1080 de Jean-Sébastien Bach, ainsi qu'un arrangement pour la seule main gauche de la redoutable Chaconne de la partita  en ré mineur du même compositeur, mais arrangée par Brahms. Il aura fallu attendre un an la parution de ce disque à laquelle sont ajoutées des pièces de fils de Bach (Johann Christian, Carl-Philipp Emmanuel, Wilhelm Friedman) et des oeuvres tirées du petit cahier de sa femme Anna-Magdalena. On retient de tout cela la puissance phénoménale de la musique du père.

Le rendu sonore est magnifique et le pressage vinyle est absolument impeccable. On doit bien ça au grand maître de la musique occidentale. 

En écoute : La Chaconne en ré mineur


Disque : Deutsche Grammophon


Vikingür Olafsson, Mozart & Contemporaries



Tout ce que touche ce poète islandais du piano se transforme en art. Après un Bach fulgurant, un Glass hypnotisant, un Debussy-Rameau aux mille couleurs, ce Mozart est lumineux et plein de grandeur. Oui, Wolfie est l'honneur avec quelques-unes de ses plus belles oeuvres pour le piano ( sa sonate en ut mineur k. 457, sa fantaisie en ré k. 397); mais on y trouve aussi Haydn, Gallupi, ou Cimarosa arrangés ou pas par le pianiste. On a une grande impression d'unité dans la diversité et la rêverie. De la musique en état d'apesanteur, de la poésie pure.

En écoute : L'émouvante transcription d' Ave Verum  


Rhiannon Giddens, They're Calling Me Home



La très grande dame de la folk afro-américaine est, dirait-on, partout chez elle, dans le temps et dans les lieux. Installée en Irlande en compagnie de son complice musicien et conjoint Francesco Turrisi, elle s'investit ici dans Monteverdi et les vieilles complaintes italiennes de la Renaissance, les songs irlandais ou anglais (l'envoûtant When I Was In my Prime de Pentangle), les "hymnes" folkloriques d'Amérique avec une économie de moyens et une richesse vocale hallucinante! 



Disque Nonesuch 

Allison Russell, Outside Child



Membre fondatrice des Our Natives Daughters, tout comme Rhiannon Giddens d'ailleurs, Allison Russell a lancé son premier album sous le signe de l'héritage afro-américain, en fait afro-canadien puisqu'elle est née et a vécu sa jeunesse, difficile, à Montréal. Autrice, compositrice et interprète de son oeuvre, elle y explore les thèmes de la survivance, de la résilience et, au delà de la douleur, de la transcendance dans un esprit soul-blues-country assumé. Elle chante même en français des passages bien sentis sur le Montréal qu'elle a aimé...

À écouter : Nightflyer

Sam Shepherd, Promise, Floating Points



Le compositeur et docteur en neuro-sciences Sam Shepherd avait cette idée d'une musique d'inspiration spirituelle qui marierait l'art du vieux maître saxophoniste Pharoah Sanders à un accompagnement minimaliste du London Symphony Orchestra. Il aura mis 5 ans à réaliser cette oeuvre qui a séduit les critiques de partout sur la planète. Et moi aussi, qui n'ai crissement rien d'un critique, mais tout du passionné. À écouter de préférence en tout temps! Mais la nuit, c'est magique.

À écouter : Promises

Disque Luaka Bop, disponible sur Bandcamp


Charles Lloyd and the Marvels, Tone Poem




Mon vieux maître Charles Lloyd, cetvénérable saxophoniste qui se voit comme le fils spirituel de John Coltrane, est toujours aussi actif et inspiré à l'âge de 83 ans. Au moment d'écrire ces lignes, il est en tournée en Europe avec le guitariste Bill Frisell, l'un des Marvels avec qui il a réalisé cet album intense intitulé Tone Poem pour le compte de la série Tone Poet du célèbre label de jazz Blue Note. On y retourne des compositions du maître, mais aussi d'Ornette Coleman, de Thelonious Monk, de Leonard Cohen et de quelques autres.  

Les Marvels portent bien leur nom; outre le renommé Bill Frisell, on y retrouve Greg Leisz à la steel guitare, Reuben Rogers à la contrebasse et Eric Harland à la batterie, ces deux derniers étant associés au maître depuis plus de 15 ans. Tantôt tendre, souvent véhément, l'art de Charles Lloyd est toujours aussi inspiré, enivrant et tellement pertinent. Son oeuvre, en tant que leader, compte plus de 40 titres.

On écoute : Tone Poem
 
Disque Blue Note

Sons of Kemet, Black to the Futur


Depuis quelques années, la scène londonienne du jazz est sans aucun doute la plus dynamique, la plus dansante, métissée comme aucune, tant dans ses genres musicaux que par ses acteurs/trices. Sons of Remet est l'un des groupes phares de cette scène qui fait danser toute la ville. Le groupe a comme leader le saxophoniste/clarinettiste Shabaka Hutchings et les musiques qu'il proposent une saveur politique revendicatrice, Your Queen is a Reptile 2018 s'en prend à l'impérialisme anglais, alors que cette nouvelle production, Black to the futur, se veut un éloge à l'identité noire. À la musique se mêlent les voix revendicatrices de poètes et rapppeurs engagés : Moor Mother, Angel Bat David, Liane La Havas, entre autres. Mentionnons la présence du fabuleux tubiste Theon Cross que l'on peut entendre sur ...

À écouter : Pick up your Burning Cross  

Disque Impulse 

Sortis des voûtes, Hasaan Ibn Ali et John Coltrane



Des concerts inédits, il y en aura toujours qu'à un moment où l'autre, on ressortira des des voûtes, comme cette fabuleuse prestation du célébrissime A Love Supreme que maître Coltrane donnait à Seattle en octobre 1965. C'est puissant, intense et, il faut le dire, s'adresse aux oreilles aguerries, aux oreilles musclées et aux esprits ouverts. 

Personne ne vous en tiendra rigueur si vous ne connaissez pas Hasaan Ibn Ali (1931-1980), obscur pianiste de Philadelphie, mais véritable génie créateur qui n'apparaissait que sur un seul disque de 1964, sous le nom du Max Roach Trio. L'éditeur, Nesuhi Ertegun Atlantic Records, ne voulait pas produire le disque d'un inconnu. Mais devant la qualité de la prestation, il s'est ravisé et a fait enregistrer Hasaan avec un band remarquable. Titre : Metaphysics. Mais le disque n'est jamais sorti, son auteur ayant été arrêté pour possession de marijuana. Le reste de l'histoire est compliquée, l'entrepôt d'Atlantic ayant brûlé en 1978, on a cru cette musique magnifique et profondément originale, toujours aussi moderne en 2021, disparue en fumée... On en retrouve les péripéties sur All Music



P. S.



Découverte des dernier jours grâce à l'animateur et vulgarisateur scientifique Matthieu Dugal (et mélomane très averti), cette splendeur d'airs de Bach et de Handel, entrecoupés de musiques instrumentales de ces deux génies Allemands. Le réputé ensemble Pygmalion de Raphaël Pichon, grand spécialiste des musiques baroques, et de Jean-Sébastien Bach en particulier, s'est associé à la soprano Sabine Devieilhe dans cette somptueuse réalisation. Voici ce qu'en dit Mathieu : Ça fait plusieurs disques de Sabine Devieilhe que j'écoute depuis quelques années et à chaque fois je suis soufflé par cette voix qui n'a absolument rien à envier aux plus grandes sopranos de l'histoire, point.
" Son timbre et son phrasé sont d'une limpidité incroyables, elle ne force jamais, on dirait qu'elle pourrait monter indéfiniment dans les aigus et ça serait jamais criard. Pas d'effets faciles ou quétaines non plus, c'est tout en retenue. La grande classe.
" Pis l'orchestre, omfg. Rarement entendu un ensemble aussi inspiré dans ce répertoire (pour l'anecdote Raphaël Pichon est d'ailleurs le conjoint de Sabine Devieilhe).
" Jouer avec conviction, c'est ça."

Comme les grands artistes se rencontrent, parfois ils vont même jusqu'à s'unir; Sabine et Raphaël sont mari et femme.