samedi 6 février 2021

Archie Shepp, l'âme Noire



 

J'ai connu Archie Shepp en 1978, grâce à un ami disquaire qui m'a mis un album Denon japonais dans les mains intitulé Duet - Archie Shepp/Dollar Brand. " Tiens, écoute ça; on vient de le recevoir et il est en promotion. Profites-en! " 

Je n'avais aucune idée de quoi il retournait. À l'époque, outre Miles (pour Kind of Blue), Louis Armstrong et Sidney Béchet, je ne connaissais rien au jazz. Ça n'entrait pas dans mes habitudes d'écoute folk, blues ou classique, voire de rock et d'un peu de prog. Mais ce passionné de Luc me connaissait mieux que moi-même. Cet album allait tout changer. Des musiques en duo, comme un dialogue intime, libre d'entraves et de codes, exprimant passions, douleur, amour, fraternité. Comme un exercice de libération. 

Archie Shepp avec McCoy Tyner au piano, John Coltrane
 et le producteur de la maison Impulse, Bob Thiele (1965?)

De découvrir en cet artiste un ardent militant des droits civiques avait tout pour plaire à celui qui avait eu Pierre Vallière et son Nègre blanc d'Amérique pour modèle, qui avait lu (un ti-peu) Marcuse, Illich et Edgar Morin, bref qui se dit "progressiste." De ce Duet, je suis passé à Four for Trane, à Blasé que j'ai mis un temps à apprivoiser. Archie shepp était associé de près au mouvement des Black Panthers dont il se voulait, par le free jazz qu'il a incarné à plusieurs titres, une voix musicale. Pour Shepp, il y avait non seulement le cri de guerre, mais aussi le respect des ancêtres et des traditions : le blues, le gospel, le spiritual. 

Toutes ces influence se retrouveront dans sa (ses) musiques à compter des années 1970 avec des albums comme Attica Blues (sur l'émeute de la prison new-yorkaise d'Attica) ou The Cry of My People; sur Goin' Home ou Trouble in Mind. Ce ne sont là que quelques jalons d'une oeuvre protéiforme qui compte plus d'une centaine d'enregistrements.



Et c'est avec cet héritage qu'à 83 ans, associé au brillant pianiste Jason Moran, le vénérable maître a mis son âme dans cet enregistrement sublime et bouleversant, Let My People Go. C'est beau, beau à pleurer comme le montre cette captation vidéo de

Sometimes I Feel Like a Motherless Child 

Bonne écoute!


Pour en savoir plus... c'est court, mais on y trouve l'essentiel. surtout, ce Free Jazz permet de saisir tout l'esprit d'un mouvement libertaire qui a toute une résonance actuelle.  



Maxime Delcourt. Free Jazz. Le Mot et le Reste, 2016