dimanche 14 avril 2013

La chronique des disques, le chant des hommes... et des femmes


Le chant des hommes, c'est aussi celui de femmes: 

Poétique, politique, lyrique, mélodique, recherchée, complexe, ou simple comme bonjour, la musique est un humanisme. Elle devrait l’être en tout cas, à l’image de toutes les passions qui nous habitent, parfois révélatrice d’un état d’âme, parfois apaisante, parfois impétueuse. Humaniste dans le sens d’une pensée qui met au premier plan le développement des qualités essentielles de l'humain… et de l’humaine, évidemment. Alors voilà, une autre chronique de disques et d’humanité !

Vivaldi : Concerti per violino V ‘Per Pisendel’


Encore un disque de concerti pour violon d’Antonio? Ben oui. Et il n’y pas dequoi s’en étonner. Après tout, le Prêtre roux, qui n’avait de prêtre que le nom, en a écrit plus de 300, uniquement pour le violon. Or, la maison Naïve et la bibliothèque nationale de Turin, qui gère le fonds d’archives personnel du musicien, se sont engagés à en publier l’intégrale sonore de ce fonds au cours des prochains 20 ans. Déjà 10 ans que c’est commencé. Concerti de toutes sortes, opéras, musique sacrée, tout y passe.
Alors voilà, c’est le cinquième volume consacré aux concertis pour violon, et c’est le plus… fantastique. Voilà. Fantastique dans le sens de virtuosité, d’inventivité dans l’ornementation et l’improvisation du soliste, subtilité de l’accompagnement orchestral, beauté des œuvres choisies. Le soliste… ah oui, je ne vous ai pas dit, le soliste est russe! Des Russes, à par l’incomparable Viktoria Mullova, c’est une rareté dans la musique baroque, du moins jusqu’à tout récemment. Celui-là, Dmitry Sinkovsky, est vraiment une très grande pointure.

Au cours de la dernière décennie, Giuliano Carmignola nous avait habitué aux plus grandes prouesses vivaldiennes en matières d’improvisations et de virtuosité. Le voilà battu sur son propre terrain, le Vénitien, notamment dans le fameux concerto RV 212, S. Antonio In Padoa 1712. Cette œuvre, qui comporte, dans les mouvements extrêmes, de folles cadences improvisées, permet à Sinkovsky de montrer une science et une vélocité proprement époustouflante. Et tout le reste de l’album est à l’avenant, tant avec le soliste qu’avec l’orchestre, Il Pomo d’Oro qui fait montre d’une science du baroque remarquable.

Tout cela n’est pas sans rappeler le volume IV de cette série qui mettait en scène le même orchestre, dirigé cette fois par le (presque) non moins talentueux Ricardo Minasi et dont je vous causais dans une chronique précédente.

Brillant étudiant au conservatoire de Moscou, Sinkovski est tombé dans le baroque comme Obélix dans la potion magique. Un naturel plus grand que nature. Son Vivaldi est incisif, inventif à chaque écrite ou improvisée, d’une délicatesse infinie dans les mouvements lents. L’orchestre, Il Pomo d’Oro, tout italien qu’il soit, s’est vu enrichi de quelques violonistes russes pour l’occasion. Tous des jeunes. Qui a dit que le classique et la musique ancienne d’intéressait plus la jeunesse? Pas les musiciens en tout cas. Bref, en deux mots, ce Vivaldi est un album re-mar-qua-ble.

Rayuela



Rayuela signifie marelle en espagnol. C’est aussi le titre d’un grand roman de cet écrivain argentin quasi mythique en son pays et qui s’appelle Julio Cortazar. Un de mes auteurs favoris, le Cortazar en question. Alors voilà, il y a ce jeune saxo d’origine portoricaine,  Miguel Zenon, qui s’est associé au pianiste français Laurent Coq, pour… concocter à leur façon, un Marelle à l’image de celui de Cortazar, qui reprend, en musique, les lieux et les personnages du roman. « Composé à la manière d’un puzzle, ce roman est à la fois une intense histoire d’amour (entre Horacio Oliveira, sculpteur argentin qui débarque sur Paris pour effectuer son éducation sentimentale, et la Sybille, uruguayenne au passé trouble), un traité de métaphysique, une introduction à la pataphysique, une ode au jazz et au Paris des années cinquante. » Et c’est un livre qui peut se lire du début à la fin, mais aussi dans le désordre en commençant par le chapître 73, puis le 1 et l3 2, puis le 116, etc. Une oeuvre unique, aussi bien dire.

Le Rayuela du duo Zenon/Coq est conçu de la même façon, on peut l’écouter de 1 à 10, mais aussi dans un désordre « programmé » : 4-8-1-3-etc. Deux musiciens accompagnent les deux solistes. En fait, tous sont solistes à tour de rôle, selon le personnage qu’ils mettent en scène ou le lieu qu’ils décrivent. À ce jeu, le violoncelliste-tromboniste ( !) Dana Leong est tout simplement prodigieux. On y trouve le percussionniste-batteur Dan Weiss.

Que Zenon soit Latino et Coq, Français, n’est pas innocent, Cortazar ayant vécu tant en Argentine qu’en France et le roman se déroulant dans les deux pays. Tout au long de l’album, très inspiré, on oscille entre compostions très écrites, voire atmosphériques à l’occasion, et savoureux délires de solistes, notamment de la part du saxo et du violoncelliste.

« Notre seule vérité possible doit être invention, c'est-à-dire écriture, littérature, peinture, sculpture, agriculture, pisciculture, toutes les "tures" de ce monde. Les valeurs, des tures, la sainteté, une ture, la société, une ture, l'amour, une pure ture, la beauté, la ture des tures." - J. Cortazar, Marelle, p. 398, Gallimard, L’imaginaire

Mediterraneo


La luthiste/théorbiste allemande Christina Pluhar est une spécialiste des mixités musicales anciennes méditerranéennes, particulièrement italiennes, voire sud-américaines.  En fait, la musicienne se passionne pour les musiques traditionnelles, savantes ou populaires, où l’influence latine se fait sentir. Une passion qui agit comme un véritable virus pour tous ceux et celles qui ont le malheur d’y porter l’oreille

Que ce soit Homo fugit velut umbra (Stefano Landi), Treatro d’amore ou Via Crucis où on la retrouve dans l’Italie du 17 siècle, que ce fut au Mexique (Los Impossibles) ou en Amérique du Sud (Los Parajos Perdidos), la dame et son ensemble L’Arpeggiata nous transporte dans des mondes rares où les sonorités des instruments à cordes pincées (luths, harpes, théorbes, saz, guitares, clavecins, psaltérions, lyres, rebec), et frottées (violes, violons, basses), soutenues par de sensibles percussions, font, c’est le moins que l’on puisse dire, merveille. Et que dire des voix!

Dans Mediterraneo, son tout nouvel opus, ces voix, celles de Misia (Portugal), Nurial Rial (Catalogne), Raquel Andueza (Espagne), Vincenzo Capezzuto (Italie) et Katerina Papadopoulou sont littéralement envoûtantes. Ballades et danses anciennes aux pays des oliviers, les plus vieilles œuvres remontant au milieu du Moyen-Âge, d’autres se rapportant à des styles nationaux comme le Fado (superbe Misia!), vous voilà parti pour un voyage dans le temps et la beauté dont nul ne sait quand vous reviendrez!

Emmylou Harris & Rodney Crowell



Ils se sont rencontrés à l’aube de leur carrière respective, en 1975 ou 1977, au temps des premiers albums de la dame, l’Emmylou, de son Pieces of Sky et de son Luxrury Liner, au temps du regretté Gram Parsons qui, le premier, a fait connaître la chanteuse.

Si, tout de suite, ils ont sympathisé, Rodney Crowell et Emmylou Harris auront connu des carrières parallèles qui se seront croisées à l’occasion. Et le voilà réunis, 30 ans plus tard, pour un album et une tournée déjà entrepsies. Rodney, le chanteur compositeur, épris des musiques sources de son pays américain, a jouré quelques années dans le band de la dame à la voix d’or. Emmylou, ben Emmylou, on le sait bien, c’était pareil. C’est encore comme ça…

Alors voilà, leur album s’appelle Old Yellow Moon, un disque qui sent bon les retrouvailles, chaleureuses on s’en doute, un rappel aux premières années, quelques merveilles de chansons comme Back When We Were Beautiful,  Bluebird Wine reprise de 1977 ou encore cette Old Yellow Moon totalement nostalgique. Et ce n’est pas un défaut. Un country folk tout ce qu’il y a de bien

dimanche 7 avril 2013

Dans la série 216 Arago Est, La tannerie Nazaire-Fortier




La tannerie Nazaire Fortier co. dans les années 1950.
Photo : Richard Harry / Bibliothèque de la Division des Archives de la Ville de Québec

Ma sœur Christine m’a écrit dernièrement : « Sommes passés sur Saint-Vallier Est ce midi. Ils ont mis à terre l'ancienne tannerie qui sentait tellement mauvais dans le temps... Je ne sais ce qu'ils vont construire. »
 
Des condos et des coops d’habitation, que je lui ai répondu en précisant que ça faisait deux ans que l’opération démolition était entamée. C’est situé juste au coin de la rue Des Voltigeurs qu’on vient tout juste de rebaptiser rue Nazaire-Fortier. Et Nazaire Fortier, c’est justement le nom de la tannerie qui trônait sur ce coin depuis plus d’un siècle, dernier vestige de ce quartier ouvrier spécialisé dans la confection de chaussure qui faisait vivre des centaines de familles jusqu’à la fin des années 1960, à Québec.

C’était le dernier vestige de ce quartier ouvrier où l'on trouvait juste en face, une usine de talons et de semelles de chaussures où nous allions ramasser des résidus de talons hauts dans la chute à déchets quand on était petits. Sur Saint-Vallier, côté nord, on trouvait une immense usine à chaussures, Ritchie and Co. et un coin de rue plus plus à l'est, l'usine de patins Daoust.

On allait aux vues au théâtre Impérial et au Princesse, rue Saint-Joseph.
Source : Archives publiques Canada. Edwards, W.B. Ville de Québec, service de police. Archives du service de l’aménagement du territoire.
En fait, au début du vingtième, la ville comptait quelque 43 tanneries. On y trouvait donc chaussure à son pied !  À quelques rues de là florissaient la taverne Royale (Dorchester) et celle du Chat Blanc (de la Couronne), rendez-vous des travailleurs après la job. Oh, il y en avait  sûrement d’autres, mais celles-ci me sont restées en mémoire, probablement parce qu’elles ont été les dernières. La fin de semaine, les travailleurs allaient aux vues (comme ils appelaient alors les cinémas) en famille, au Princesse ou à l'Impérial, rue Saint-Joseph. Les plus olé-olés, les plus riches, fréquentaient aussi le Bal Tabarin, le cabaret de strip-tease de rue De la Couronne que j’ai eu la chance.

J’ai été élevé sur Arago, deux rues en haut de la tannerie Nazaire Fortier. La rue Arago a compté, elle aussi, son lot de tanneries avant 1950. Elles avaient déjà disparues quand je suis né. Mais je suis assez vieux pour me rappeler les trottoirs de bois devant notre maison et le frigo à glace de la voisine d’à côté. Vestiges des temps anciens.

Que faisaient les voisins, comme travail? Je ne me suis vraiment jamais posé la question. Dans les usine environnante? Pas que je me souvienne pour ceux que je connaissais. Je me rappelle les chauffeurs de taxis. Il y en avait deux, des Bérubé, dont les voitures étaient stationnées sur le terrain jouxtant notre maison. Beaucoup de journaliers, comme on appelaient ces travailleurs manuels non spécialisés, qui étaient au service de la Ville ou du ministère de la Voirie quand ils n’étaient au chômage. L’épicier Boiteau était un ancien policier. Le pompier  Blouin s’était recyclé dans la rénovation. Les Ruelland étaient garagistes de père en fils,  et passaient leur vie à débosseler et à repeindre autos et camions. L’un des fils, trapu et musclé, était gardiens de prison. Ça m’a toujours étonné, lui, toujours l’air si gentil et un peu naïf en apparence.

Bon, on était un peu plus vieux que ça, mais pas mal la même allure...

L’hiver et le printemps, mes chums pis moé, on jouait au hockey sur le rue Christophe-Colomb, le long du mur de la tannerie. Pourquoi là précisément? Parce qu’on pouvait pratiquer, en toute impunité, nos snap shots (sic) sur les murs de bois gris bleu de la bâtisse. On avait sept, huit, neuf ans et chaque fois qu’on en réussissait un bon, ça fait un boum profond et jouissif comme sur une vraie bande de patinoire de la ligne (sic) nationale. On se prenait pour Bob Rousseau ou Yvan Cournoyer. Et comme le bruit dans la tannerie était intensément plus fort que nos pauvres tirs, on ne se faisait jamais avertir. Heureusement, parce que quand on était une dizaine à snapper, c’était assez cacophonique.

Je comprends mieux aujourd’hui, pourquoi les vieux qui restaient en face nous haïssaient tellement.
Seulement, on ne pouvait jouer là que la fin de semaine, car les jours de semaines, les vans étaient perpétuellement stationnées devant les grande portes de la tannerie pour y décharger les peaux de vaches par centaines. D’autres ramassaient les retailles nauséabondes, vraiment, des peaux tannées et baignant dans un jus infernal, jus qui s’écoulait dans la rue avant d’emprunter les égouts.

Trash, le quartier? Non, pas vraiment. Ça faisait juste partie de ce milieu urbain où se côtoyaient les ateliers d’usinage qui fournissaient le matériel aux manufactures environnantes, les maisons unifamiliales et les blocs à plusieurs logements. Pour profiter des arbres, se rendre au coin de chez nous et monter la côte de la Négresse, pardon, la Côte-Badelard dont le cap était jonché de cerisiers. Ou alors sur le splendide boulevard Langelier, à quelques coins de rues, paré sur un kilomètres de magnifiques ormes matures. Ou dans notre cour!!!

En fait, ce qui, dans mon souvenir, étaient le plus dérangeant et nauséabond, c’était la gare d’autobus, située juste au nord de la tannerie, coin Caron et Charest où, jour et nuit, une quarantaine de bus laissaient tourner à tour de rôle, leurs diésels aussi tonitruants que polluant. Chaque jour, nous traversions la cour des bus pour nous rendre à l’école et traverser le passant boulevard Charest de préférence sur la lumière rouge. À 8 ans, on aimait ça vivre dangereusement…